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Abane Ramdane Et Les Fusils De La Rébellion

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  • Abane Ramdane Et Les Fusils De La Rébellion

    ABANE RAMDANE ET LES FUSILS DE LA RÉBELLION DE BÉLAÏD ABANE
    Une plongée dans la mémoire

    Abane Ramdane a été l’un des architectes de la Révolution algérienne, son chantre, son enfant maudit.
    On a toujours affirmé que l’histoire de la Révolution algérienne manquait de repères. Cela est d’autant vrai que le peu d’écrits sur cette période charnière de l’histoire récente de l’Algérie, pêche par omission, pour ne point dire d’oublis délibérés qui, outre de dénaturer cette partie du vécu algérien entre 1945 et 1962, passent à la trappe des faits et des hommes qui ont contribué puissamment à mettre sur les rails la Révolution de Novembre 1954.
    Il en a été ainsi de Mohamed Boudiaf, de Krim Belkacem et autre Abane Ramdane, singulièrement, privant la jeune génération algérienne de ses repères historiques.
    De fait, les générations post-Indépendance n’ont eu ouïe-dire de l’existence de ces hommes que par accident. Des faits de la Révolution et de ses hommes ont été soumis à une lourde chape de plomb. Ce fut particulièrement le cas de Mohamed Boudiaf, découvert par les jeunes, au détour des événement de janvier 1992 et de la crise politique induite par l’annulation du scrutin législatif. En privant les jeunes de ces repères historiques que sont les hommes qui ont pensé et conduit la Révolution, sur lesquels un silence de tombe a été étendu et leurs actions politiques et militantes biaisées et banalisées, c’est toute l’Histoire de l’Algérie contemporaine qui a été ainsi mutilée. L’un de ces hommes, qui ont été à la base de la Révolution, est sans conteste, le martyr Abane Ramdane relégué aux oubliettes de l’Histoire. Certes, les hommes sont ingrats, mais l’Histoire a toujours su reconnaître, même avec retard, les siens, avec ces retours de manivelle à rebours du temps, qui ont participé à remettre les choses à l’endroit. Cette phase spécifique de l’Histoire de la Révolution, avec ses hauts et ses bas, il faudra bien, un jour ou l’autre, l’écrire. En attendant que ce jour arrive, que la Révolution trouve son (ou ses) historien(s), des passionnés de l’Algérie, défrichent ici et là le terrain. Et le cas Abane Ramdane, plus particulièrement, objet de maints livres, a peut-être trouvé son avocat en la personne d’un professeur de médecine, de prime abord, pas du tout destiné à une telle oeuvre. Conter Abane Ramdane, cet homme immense, aux dires de ses contemporains et compagnons de lutte, et admis comme tel par ses contradicteurs, n’est guère une sinécure. C’est pourtant la tâche à laquelle s’est astreint le professeur Abane, un proche parent du martyr qui, dans un ouvrage intitulé Abane Ramdane et les fusils de la rébellion, tente de rendre justice à un homme qui a été l’une des pièces maîtresses de la Révolution et instigateur du Congrès de la Soummam du 20 Août 1956. Belaïd Abane qui connut les fameux «centres de regroupement», plus que de donner un texte d’historien - ce qu’il se défend d’être et n’est pas en fait - témoigne, en revanche, de faits vécus qui éclairent autant que faire se peut sur les affres que la colonisation à fait subir au peuple algérien, par les répressions, les vexations et autres regroupements devenus la marque de l’occupation en ces années de braise. Il porte également et surtout un regard inédit sur l’homme et le martyr qu’a été Abane Ramdane. En quatre grandes parties d’un volume s’étalant sur 529 pages, l’auteur brosse un large tableau de la Révolution, ses forces, ses incertitudes, le courage de ses hommes et de ses femmes, le retournement des uns, les faiblesses, toutes humaines, des autres. En fait, Abane Ramdane et les fusils de la rébellion restitue des moments forts d’un soulèvement national dont il reste encore et toujours à en écrire le premier chapitre. Mais avant que d’en arriver à cette tâche considérable, qu’il appartient aux historiens algériens d’entreprendre, Belaïd Abane se limite plus modestement à évoquer un personnage central de la guerre de Libération que fut le défunt Abane Ramdane, son proche parent.

    De Cortès à Bugeaud
    En introduction, Belaïd Abane, revient, quelque peu amer, sur l’échec de l’Algérie post-Indépendance où, écrit-il, «il y a ceux qui ne croient que ce qu’ils voient, et qui constatent, à juste titre, que l’Indépendance n’a pas tenu ses promesses de libération sociale, que les ‘’les rapports sociaux’’ de classe sont toujours là et, qui plus est, les Algériens sont encore des mineurs politiques, pas tout à fait libres dans leur pays pourtant redevenu libre». Cela résume assez bien une opinion de plus en plus partagée par un grand nombre d’Algériens dépités par le retour du clanisme et du tribalisme alors qu’ici et là se sont constituées des «baronnies» qui ont fait main basse sur le pays. Ceci dit, et comme le précise Belaïd Abane, le présent volume - qui s’arrête en 1957 après la Bataille d’Alger - n’est que la première mouture d’un autre à venir dans lequel l’auteur promet de donner sa version sur les circonstances de la mort ou plutôt l’assassinat de Abane Ramdane.

    La longue nuit algérienne
    De Cortès à Bugeaud Dans cette première partie l’auteur fait un rappel historique des circonstances de l’occupation française et de la longue nuit coloniale qui s’en est suivie. Il y fera notamment le parallèle entre la conquête hispanique du Mexique et les «colonnes infernales» de Bugeaud. Les massacres, les destructions, l’esclavagisme au nom de l’Eglise et du roi, ont été le leitmotiv des conquérants espagnols qui soumirent les Indiens du Mexique et du Pérou. Bugeaud organisa des enfumades en Algérie pour imposer la colonisation au peuple algérien. «La conquête de l’Algérie et l’épopée de Bugeaud et de ses colonnes infernales, rappellent à maints égards la folle équipée de Cortès et des conquistadors au Mexique, et le sort des tribus algériennes, celui des petites ‘’nations’’ indiennes.
    Même esprit, mêmes méthodes, mêmes conséquences dramatiques sur l’organisation sociale de la population réduite en ‘’poussière’’, même déni des valeurs et des cultures autochtones, mêmes massacres et même ‘’aveuglement féroce’’, mêmes procédés de soumission et de dépossession, mêmes arguments de civilisation, de race et de religion supérieures», écrit l’auteur, retraçant un parcours similaire des esclavagistes espagnols et des tortionnaires français. Dans cette partie de l’ouvrage, l’auteur énumérera la longue guerre de conquête française faite de massacres, de razzias, de spoliation des populations et détailla les exploits d’hommes sanguinaires à l’image de Saint Arnaud, qui, se glorifiant de ses crimes, écrit en 1843 à son frère: «Le pays des Beni-Menasser est superbe et l’un des plus riches que j’ai vu en Afrique...Nous avons tout brûlé, tout détruit...Que de femmes et d’enfants réfugiés dans la neige de l’Atlas, y sont morts de froid et de misère.» Qui précise encore: «Les Brazes, je les ai brûlés et dévastés...Chez les Sidgads, même répétition en grand, c’est un vrai grenier d’abondance...Quelques-uns sont venus pour m’apporter le cheval de soumission. Je l’ai refusé parce que je voulais la soumission générale et j’ai commencé à brûler.» Saint Arnaud a écrit d’autres pages encore sanglantes dans lesquelles il dit comment il fit passer par le fil de son épée les «indigènes», se glorifiant des massacres ainsi commis. La «méthode» Lamoricière était identique, de même que celle de généraux et nobliaux venus participer à la curée des Algériens.
    La nation en marche
    Dans la légalité coloniale
    Dans cette seconde partie, Belaïd Abane conte les méfaits de la colonisation triomphante alors que les Algériens, qui «n’en pouvaient» mais, attendaient leur heure.
    Mieux vaut un cauchemar qui finit qu’un rêve inaccessible qui ne finit pas…

  • #2
    Suite...

    Suite...
    La récompense de la France: le 8 Mai 45
    Les Algériens prendront part aux deux grandes guerres mondiales de nations dites «civilisées» et contribueront même à la libération de la France. La récompense de la France, terre des libertés et des «droits de l’homme», fut les massacres de Sétif, Guelma, Kherrata et du Constantinois.
    L’auteur écrit à ce propos: «La France libérée de l’occupation allemande, les nationalistes algériens n’ont, en effet, qu’une idée en tête: libérer eux aussi leur pays de la domination coloniale et émanciper leur peuple. Ils n’ont pas oublié la promesse faite en décembre 1942 par l’amiral Darlan. S’ils prennent part à la guerre contre le nazisme» «la France ne manquera pas à ses devoirs envers les musulmans». Cela a donné Sétif et d’autres villes algériennes ensanglantées au moment où la France et l’Europe célébraient la victoire contre le nazisme. Que restait-il à faire pour les Algériens? Ce que la Déclaration de l’Homme et du Citoyen de 1793 (article 35) issue de la Révolution française préconisait: «Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.» Les Algériens savaient ce qu’il leur restait à faire.
    Abane Ramdane et l’unanimité nationale. C’est la troisième partie dans laquelle Belaïd Abane entre, si l’on peut dire, dans le vif du sujet en en venant au thème central de son propos: Abane Ramdane et sa part dans le concept de la Révolution et dans la prise de décision. La Révolution de 1954 a été une oeuvre de lente maturation, une oeuvre collégiale certes, mais dans laquelle des hommes à fortes personnalités, tel Abane Ramdane, y ont pris une part active, sinon décisive. Belaïd Abane suit, pas à pas, ce lent cheminement d’hommes contraints à la clandestinité et à vivre sous une constante pression, mais qui croyaient non seulement en la possibilité de la Révolution mais surtout en son triomphe. Beaucoup n’assisteront pas, hélas, à ce triomphe d’autant qu’à l’instar de Abane Ramdane, beaucoup moururent des mains mêmes de leurs propres frères de combat. Abane Ramdane fut ainsi la cheville ouvrière du Congrès de la Soummam, qui a défini les orientations et les objectifs de la Révolution. Cette section de l’ouvrage de Belaïd Abane, quoique la plus longue avec la quatrième partie consacrée à la Bataille d’Alger, se lit facilement, comme un vrai roman et apporte des précisions et des informations précieuses sur les circonstances de la tenue du Congrès, les hommes qui y ont participé, leur choix, la constitution du Conseil national de la Révolution algérienne (Cnra) composé de 34 membres (dont 17 suppléants).
    Il fallait organiser la Révolution aux plans politique, militaire et administratif. C’est d’ailleurs lors du Congrès de la Soummam et sur recommandation d’Abane Ramdane qu’il a été décidé de la primauté du politique sur le militaire. A l’arrivée, cela a été autre chose avec tout ce que cela a induit sur le devenir du pays.
    Mais cela est certes, un autre chapitre, non encore écrit, de l’histoire post-Indépendance.
    Abane Ramdane et la Bataille d’Alger.
    C’est sans conteste le gros morceau du livre de Belaïd Abane et prend près du tiers des 529 pages de l’ouvrage. Cela ne se raconte pas, il faut absolument lire Abane Ramdane et les fusils de la rébellion pour mieux comprendre une Révolution conduite par des hommes qui avaient des idées, du courage et, surtout, la foi dans leur combat pour la liberté.
    Le 3 Juillet 1962 en effet, l’Algérie retrouvait sa souveraineté après une nuit coloniale longue de 132 années.

    L’Algérie en Guerre
    Abane Ramdane et les fusils de la rébellion de Belaid Abane
    Edition L’Harmattan Paris juin 2008
    Collection Histoire et perspectives méditerranéennes.

    N. KRIM (l'expression)
    Mieux vaut un cauchemar qui finit qu’un rêve inaccessible qui ne finit pas…

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    • #3
      Abane Ramdane et la Stratégie militaire de la Guerre de Libération Nationale

      «La rapidité de l’attaque et de la retraite empêche la riposte de l’ennemi»: telle était le devise qui résumait la stratégie de l’ALN et qui lui avait permis d’étendre son emprise sur le tout le territoire entre novembre 1954 et début 1957.

      Bien que les forces d’occupation fussent passées dans la même période de 55.000 à 361.000 hommes sur la même période, elles n’avaient pas réussi à arrêter la progression de l’ALN, et les pertes qui lui étaient infligées par l’ennemi -en dépit de la croissance formidable de ses effectifs, de sa puissance de feu et de la densité de son implantation sur le territoire national- étaient acceptables. La population algérienne, de plus en plus mobilisée contre l’occupant, offrait suffisamment de volontaires non seulement pour remplacer les jounouds morts au combat mais également, pour accroître les effectifs de l’ALN. L’approvisionnement en armement, en munitions et en uniformes en provenance du Maroc comme de la Tunisie était suffisant pour maintenir et renforcer la capacité de combat de l’ALN.

      Cette stratégie, fondée sur des petites unités dont les effectifs dépassaient rarement les 50 jounouds, unités extrêmement mobiles et difficiles à repérer, empêchait l’ennemi d’utiliser de manière efficace sa puissance de feu et ses effectifs.

      La forme de guerre adoptée par l’ALN était dictée par le bon sens; la position géographique de l’Algérie, l’absence de frontières avec une puissance alliée et suffisamment riche pour dispenser l’aide nécessaire à une forme de guerre plus intense, la proximité du territoire national de l’adversaire, pays industrialisé, ayant des ressources humaines et matérielles de loin supérieures à celles que pouvait prendre en charge la population algérienne, alors pauvre et dont la majorité arrivait à peine à subvenir à ses besoins de base, les conditions climatiques et de relief du pays, faisaient de cette forme de guerre la seule soutenable sur la longueur de temps nécessaire pour forcer l’adversaire à accepter une solution politique.

      Cette guerre avait l’avantage de maintenir intacte la mobilisation populaire, car les sacrifices qui lui étaient demandés en termes humains, financiers et matériels, était acceptable. Certes la répression avait atteint un niveau d’inhumanité qui n’a pas encore été suffisamment décrit dans ses détails les plus barbares. Mais c’était là un coût accepté de la guerre de guérilla dans laquelle la population civile est le maillon faible sur lequel l’ennemi s’acharne, faute de pouvoir détruire le noyau fort de la résistance armée.

      C’était également, pour l’adversaire, une forme de guerre incompréhensible, car ses règles changeaient avec les circonstances spécifiques à telle ou telle région, telle ou telle localisation des affrontements.

      Donc, l’adversaire n’était jamais à l’abri de surprises qui pouvaient mettre à bas ses opérations les mieux préparées et les mieux appuyées sur des renseignements fiables. C’était pour lui une guerre coûteuse, car elle le forçait à multiplier les points fixes de surveillance, à maintenir une vigilance constante, à multiplier les opérations de recherche avec un faible espoir d’accrocher et de détruire les groupes de l’ALN, mobiles et flexibles, aisément pris en charge par la population, faciles à nourrir, à alimenter en armes et munitions et à soigner.

      Le fait même que l’adversaire avait multiplié par 6 ses effectifs en 28 mois prouvait que la stratégie de l’ALN avait réussi: on n’accroit pas ses effectifs et ses moyens militaires si on a pris la haute main sur son ennemi !

      La doctrine de Abane Ramdane sur la guerre révolutionnaire, doctrine incluse dans le document de la Soumman, changea du tout au tout, cette stratégie et mit l’ALN sur la voie de la destruction. Abane Ramdane avait imposé une analyse erronée de l’état d’évolution de la situation militaire. Il avait conçu cette doctrine, non sur la base de son expérience militaire, acquise pendant la Seconde Guerre mondiale, ni en tirant les leçons du terrain de la guerre de Libération, mais sur la base d’une lecture tronquée des oeuvres militaires de Mao Tsé-Toung, lecture qu’il n’avait pas complétée par la consultation du petit ouvrage en 13 chapitres sur l’art de la guerre, écrit au 6ième siècle avant Jésus Christ- du maître à penser de Mao, le général Sun Tze. Il est bon de citer celui-ci pour donner une idée de la gravité de l’erreur de Abane Ramdane, qui devait aboutir à des conséquences dramatiques sur le terrain, que seul le courage des jounouds de l’intérieur et la mobilisation de la population autour du thème de la Libération nationale ont permis de dépasser:

      «Ainsi, est-il dit, si tu connais tes ennemis et tu te connais toi-même, tu combattras sans danger; si tu ne connais seulement que toi-même, mais non ton adversaire, tu te mettras en danger constant; si tu ne connais ni toi-même, ni ton ennemi, tu seras toujours en danger... Cent victoires ne font pas le meilleur général. S’emparer de l’ennemi sans combat est le critère du bon général.» Apparemment, Abane Ramdane, qui domina les discussions entre les 16 membres directeurs du Congrès de la Soumman (20 Août- 10 septembre 1956) et fut le rédacteur principal du document final, réussit à imposer sa vision erronée à tous ses collègues. Seule l’expérience du terrain devait prouver que l’ALN n’était pas prête à passer à la guerre régulière totale.

      Les pertes terribles subies par l’ALN en 1957, après que les thèses militaires de Abane Ramdane aient été mises en oeuvre sur tout le territoire national, allaient prouver la gravité de son erreur, dont la conséquence immédiate aurait pu être la liquidation physique du mouvement armé par l’adversaire, dès 1957.

      La vision militaire de l’ennemi avait été rendue plus claire par la transformation des petites unités de l’ALN en unités du type adopté par les armées classiques; l’armée ennemie pouvait enfin appliquer toute sa puissance stratégique pour écraser, avec le maximum d’économie et le minimum de pertes, un adversaire qui enfin se montrait au grand jour, du fait même de sa nouvelle stratégie. Donc, d’une certaine façon l’analyse militaire de Abane Ramdane allait dans le sens des intérêts de l’ennemi, qui ne tarda guère à saisir l’initiative, vu qu’il avait déjà sur place les moyens nécessaires pour infliger des pertes irrémédiables à l’ALN. Le bon sens des commandants de l’intérieur, qui saisirent rapidement, et du fait des évènements, l’ampleur de l’erreur stratégique de Abane Ramdane, en revinrent à une stratégie militaire plus adaptée aux circonstances dans lesquelles ils se battaient.

      Joignant l’insulte aux coups, suivant l’expression, Abane Ramdane voulut faire porter le chapeau des pertes cruelles et insensées subies par l’ALN durant toute l’année 1957, à ses collègues de l’extérieur, en leur reprochant de ne pas approvisionner en armes suffisantes en qualité et en quantité l’armée de l’intérieur; il inversait ainsi le problème en voulant faire passer la thèse suivant laquelle on établit, sur la base d’une analyse livresque et irréaliste de la guerre, une stratégie sans se demander si on a les moyens de la mettre en application, puis on demande des comptes à ceux qui n’ont été pour rien dans sa conception et n’ont fait que la mettre en oeuvre pour éviter que tout le texte de la Soumman ne soit vidé de tout contenu s’ils avaient refusé à en faire appliquer la partie centrale, c’est-à-dire la stratégie militaire.

      La réalité du terrain devait rapidement prouver que la stratégie militaire imposée par Abane Ramdane ne pouvait déboucher que sur la décimation de l’ALN. L’installation par l’ennemi d’un barrage électrifié et fortifié aux frontières de l’Est et de l’Ouest, à partir de février 1957, ne fit que rendre encore plus évident le caractère mortel de cette stratégie. La mise en oeuvre de cette stratégie à travers toutes les wilayas du pays dans les premiers mois de 1957 aboutit à l’accroissement des pertes humaines et matérielles au sein de l’ALN.

      Une illustration des effets de cette stratégie peut être donnée par les évènements qui se déroulèrent dans la zone II, wilaya V, après la mise en oeuvre de cette stratégie.

      .../..

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      • #4
        La vision militaire de l’ennemi avait été rendue plus claire

        Le fait est qu’en mars 1957, après l’assassinat de Larbi Ben-M’hidi, qui avait eu lieu le 4 du même mois, Abdelhafid Boussouf, passé colonel commandant la wilaya V, décida de mettre en application les recommandations de Abane Ramdane, et donné l’ordre aux commandants de zone de constituer des katibas de 120 hommes en moyenne avec les sections d’une quarantaine de jounouds, qui étaient les structures adoptées jusqu’à cette période. Le capitaine Rachid, (de son vrai nom Mosteghanemi Rachid, ancien mineur en France et maître d’école coranique dans la région des Djabala) qui commandait alors la zone II de cette wilaya (couvrant les Beni-Khaled, les Beni-Abed, les Beni-Mnir, Souahlia, Msirda, Djabala, le mont Fillaoucène et Nédroma) créa 3 katibas avec les quelque quatre cents hommes de sa zone. Cette nouvelle structure était complètement en place début avril. Mais l’équipement mis à la disposition de ces nouveaux regroupements n’avait pas suivi, rendant la nouvelle organisation militaire quelque peu inefficace: l’armement était disparate, essentiellement des armes légères de toutes marques et de toutes origines, utilisant des munitions de toutes dimensions, rendant quasi impossible l’approvisionnement cohérent en munitions.

        Cette disparité de l’armement constituait un handicap mortel, maintenant que l’ALN voulait passer, suivant la doctrine militaire de Abane Ramdane, à l’affrontement direct avec l’ennemi; les jounouds disposaient d’armes légères de tout type et de tout âge, depuis le chassepot français datant d’avant la Première Guerre mondiale, en passant par le MAS 36 de l’entre deux guerres mondiales, le BSA anglais du début du vingtième siècle, le fusil Garant américain et la carabine légère américaine datant de la Seconde Guerre mondiale, le Mauser allemand de l’entre deux guerres, fabriqué en Tchécoslovaquie, des fusils de chasse sans grande efficacité pour les combats intenses, peut-être quelques Stati italiens récupérés des dépôts de l’armée italienne en Libye; chacune de ces armes avait son propre calibre de munitions; et l’armée la plus sophistiquée aurait été incapable de concevoir, avec les techniques informatiques ultramodernes actuelles, un système d’approvisionnement adéquat en munitions de cet armement hétéroclite.

        En termes d’armes à tir rapide, mitraillettes, fusils mitrailleurs et mitrailleuses, armes destinées à accroître la puissance de feu disponible en cas de combat violent, c’était le même niveau de disparité, associé à la rareté: quelques MAT 49 récupérés sur l’ennemi, deux à trois mitraillettes Thomson Marines américaines, quelques MP 34 allemands reçus début 1957, une mitrailleuse Lewis modèle 1911, calibre 7,62 avec chargeur cylindrique, lourde de 13 kg, se bloquant quand elle chauffait, c’est-à-dire quand on avait le plus besoin d’elle, un fusil mitrailleur BREN de conception tchèque et de fabrication anglaise, un MG34 allemand, tous deux pesant 12 kg, l’une et l’autre, utilisant des chargeurs à rubans, un fusil mitrailleur BAR belge; la seule arme lourde, pouvant être considérée comme de l’artillerie, était un mortier anglais de 5 pouces pour lequel il n’y avait plus de munitions. Quant à l’équipement de transmission, il consistait en un RCA marine américain destiné à l’équipement des bateaux de plaisance; son transport exigeait la mobilisation de deux mulets, puisqu’il était alimenté par deux grandes batteries de camions elles-mêmes chargées par un chargeur fonctionnant à l’essence et pesant dans les 20 kg.

        C’était là donc l’armée régulière de l’ALN ; elle ne faisait pas le poids devant la puissance de feu et les effectifs de l’armée coloniale, dotée d’armement de tous calibres normalisé, ayant en nombre appréciable des mortiers et des canons de campagne, des véhicules blindés de tous types, sans problème d’approvisionnement, capable de mobiliser une force de frappe aérienne et héliportée efficace contre les regroupements de l’ALN, faisant intervenir même la grosse artillerie de la marine dans les régions côtières.

        Face à cette armada, la seule supériorité dont disposait l’ALN était le courage de ses jounouds et la mobilisation de la population.

        La bataille de Fillaoucène devait donner, de manière catégorique, la preuve de l’ineptie de la stratégie militaire de Abane Ramdane. Entre le 9 et le 19 avril 1957, les trois katibas de l’ALN, composées de quelque trois cent soixante jounouds, et coordonnées par un certain Tétouan ancien caporal de l’armée d’occupation, qui avait déserté l’année précédente du poste de Bab el-Assa, se fortifièrent dans le djebel Fillaouacène, dans l’attente d’une attaque ennemie; Tétouan, qui avait reçu sa formation et son expérience militaire dans les rizières indochinoises, pensait pouvoir infliger à l’ennemi le type de défaite qu’il avait subi de la main des révolutionnaires vietnamiens.

        Les tirailleurs algériens n’étaient que de la chair à canon pour leurs commandants qui les jetaient à la mort sans hésitation, ni remords; et Tétouan, qui avait déjà passé une année dans l’ALN, n’arrivait pas à se débarrasser de la tournure d’esprit qui lui avait été inculquée par ses anciens supérieurs.

        Bien qu’il lui ait été vivement conseillé de renoncer à provoquer l’ennemi et lui permettre, ainsi, de mobiliser sa puissance de feu, Tétouan insista qu’il pouvait l’emporter sur les troupes ennemies les mieux équipées. Accusé de mollesse par son adjoint militaire Si Mahmoud, de son vrai nom Abdallah Arbaoui, ancien enfant de troupe qui avait fait sa formation à l’école d’infanterie de Cherchell, puis avait pris part à des combats en Indochine, le capitaine Rachid laissa faire Tétouan, mais il retira une katiba du Djebel Fillaoucène et alla, par prudence se réfugier dans le Djebel Trara, avec son adjoint politique nouvellement arrivé, Mohammed Ziani, dit si Belkacem, ancien instituteur au Maroc (ce dernier devait être, avec deux de ses compagnons, victime d’une trahison dans la région de Msirda, le 11 juillet 1957, et tué avec eux dans une cache par l’ennemi, sans avoir la possibilité ni de tirer une balle ni de lancer une grenade). Le 20 avril 1957, le deuxième bataillon du 5ème régiment de tirailleurs sénégalais, conduit par un certain commandant Aussudre, appuyé par un bataillon du 5ème régiment étranger d’infanterie, stationné à Maghnia, et d’autres troupes ennemies, dont des commandos de la DBFM (demi brigade de fusiliers marins) stationnée à Ghazaouet et ses environs, (et dont Jacques Chirac avait fait partie) soit en tout environ un effectif d’au moins mille soldats ennemis, furent envoyés pour déloger les deux katibas. Le combat commença à l’avantage de l’ALN, qui avait ouvert le feu sans attendre l’attaque ennemie. L’aviation d’appui au sol fut appelée et les avions de fabrication canadienne T6- armés de deux mitrailleuses et d’un lance-roquettes- se ruèrent sur les jounouds. Un avion de bombardement B26, pouvant lancer des bombes d’une tonne huit cents fut appelé également à la rescousse; les deux canons 155 stationnés dans le poste militaire de Ouled Hasna (connu également sous le nom de Aïn el-Kebira) intervinrent également contre les deux katibas. Le combat dura quatre jours et s’étendit de l’autre côté de la l’ancienne route de Tlemcen à Nédroma jusqu’à Oued el-Sbaâ où la katiba dans laquelle je me trouvais fut accrochée, perdit 8 jounouds et eut 12 blessés; moi-même ne dus la vie sauve qu’au fait qu’un obus de mortier ennemi tomba près sans exploser!

        Tétouan et une soixantaine de jounouds perdirent la vie à Fillaoucène même; une cinquantaine furent blessés et évacués vers un hôpital de fortune installé dans une grotte du djebel Sidi Sofiane, où ceux atteints de blessures graves moururent rapidement faute de soins, le seul infirmier dont disposait la zone ayant été tué au cours de la bataille, sans compter l’absence quasi-totale de médicaments.

        L’ALN n’aurait jamais dû accepter ce combat, qu’elle n’était nullement forcée de provoquer ou d’accepter, car il n’avait aucun sens sur le plan militaire et était perdu d’avance, car il ne changeait rien à la situation militaire dans la zone frontière avec le Maroc ou dans la wilaya V, à moins, évidemment, que l’on ne considère que l’objectif de la guerre de Libération fût d’avoir autant de «chouhada» que possible, ce qui est le comble de l’absurdité militaire. Après cette bataille, le capitaine Rachid eut le bon sens de dissoudre la katiba qui était restée intacte et de retourner à l’ancienne stratégie fondée sur de petites unités, ce qui évita à la zone V l’annihilation totale par l’ennemi! La bataille de Fillaoucène, un haut fait d’armes, dont on ne peut être que fier, constitua, néanmoins, un exemple particulièrement tragique du non-sens militaire qui découlait de la stratégie erronée de Abane Ramdane. En conclusion, il ne s’agit nullement de porter le blâme de cette triste et inutile bataille sur Tétouan, qui y perdit la vie, ni sur les jounouds, qui firent preuve d’un courage hors du commun, mais sur une stratégie mal pensée et que, dans des conditions d’intendance et de logistique optimales, il était impossible de mettre en pratique à l’intérieur du pays; l’une des conséquences de ce cette stratégie, fut la création de l’armée des frontières.


        par Mourad Benachenhou ancien officier supérieur de l’ALN

        Le quotidien d'Oran

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        • #5
          Ce fut particulièrement le cas de Mohamed Boudiaf, découvert par les jeunes, au détour des événement de janvier 1992 et de la crise politique induite par l’annulation du scrutin législatif. En privant les jeunes de ces repères historiques que sont les hommes qui ont pensé et conduit la Révolution, sur lesquels un silence de tombe a été étendu et leurs actions politiques et militantes biaisées et banalisées, c’est toute l’Histoire de l’Algérie contemporaine qui a été ainsi mutilée. L’un de ces hommes, qui ont été à la base de la Révolution, est sans conteste, le martyr Abane Ramdane relégué aux oubliettes de l’Histoire
          Normal car tous les algériens auraient su que nous étions gouvernés par ceux qui les ont assassinés.....
          Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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