Les derniers attentats ou les faillites de gestion d’un été sanglant : Chronique d’une incompétence généralisée
La sinistre succession des derniers attentats qui ont fait au total 77 morts, entre ceux de Zemmouri, de Skikda, de Jijel, des Issers et de Bouira, appelle un certain nombre d’observations quant à la façon dont la situation créée par cette déferlante meurtrière signée Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et dénommée « expédition de la vengeance », a été « gérée » en haut lieu tant sur les plans sécuritaire que politique et communicationnel.
Sur le plan sécuritaire, on peut relever un certain nombre d’éléments qui rendent compte de la structure profonde du dispositif de défense actuel en expliquant, dans une certaine mesure, les difficultés à répondre efficacement aux frappes du GSPC. Il est à remarquer à ce propos un changement de donne fondamental au sein de l’équipe qui a eu à structurer d’une main de fer la lutte antiterroriste et qui a à son actif la gestion du dossier sécuritaire depuis le début du terrorisme en 1992 jusqu’à l’arrivée de Bouteflika au pouvoir en avril 1999.
Cette équipe comptait quelques figures emblématiques qui ont pour noms Nezzar, Smaïn et autres Mohamed Lamari. Avec d’autres officiers, ils constituaient le club des « janviéristes » en référence à l’éviction du président Chadli le 11 janvier 1992 et l’arrêt du processus électoral. Ils auront trouvé en la personne du général Liamine Zeroual le partenaire idéal pour mener à bien leur politique. Une politique qui a fait preuve, peu ou prou, d’une efficacité probante, avec tous les ratés, tous les dépassements et les graves atteintes aux droits de l’homme qu’on lui connaît.
Le 27 août, un an se sera déjà écoulé depuis la mort du n°2 du DRS et pilier du contre-espionnage algérien, le général-major Smaïn. Nombre d’observateurs avaient noté, au moment d’inhumer à El Alia le très controversé chef de la sécurité intérieure et initiateur de l’accord de trêve avec l’AIS, qu’une page de l’histoire contemporaine de notre pays était définitivement tournée. A l’état-major de l’ANP, c’est une lapalissade d’alléguer que Gaïd-Salah n’a pas l’étoffe ni la poigne du général de corps d’armée Mohamed Lamari, l’ancien gourou de l’ANP ayant quitté le sérail avec fracas peu après la réélection de Abdelaziz Bouteflika pour un second mandat le 8 mai 2004.
Sans être forcément dans le secret des dieux, d’aucuns estiment que l’équipe actuelle en charge de la sécurité n’a pas le « background » de la première et le paysage politico-sécuritaire donne le sentiment d’un collège affaibli par les coups de boutoir d’un Bouteflika jaloux de ses prérogatives mais sans vision claire, oscillant sans cesse entre calculs politiciens et coups de sang feints, dictés davantage par un contexte mondialisant circonscrit par le syndrome du 11 septembre et le paradigme américain de la lutte antiterroriste. Sur le plan interne, le pays semble débouler en roue libre vers sa chute, avec un Bouteflika autoritaire, tautologique, n’ayant plus que le mystérieux Toufik pour modérateur, lui qui a réussi même à mettre le général Larbi Belkhir, le faiseur de rois, sur la touche.
Dans quelle mesure ce changement de personnel, ce changement de paradigme et la réorganisation des services de sécurité ont-ils affecté la conduite de la politique sécuritaire du pays ? Voilà une question lancinante à méditer. Autre point soulevé de façon récurrente à chaque recrudescence des expéditions terroristes : le sacrifice du corps des patriotes, ces auxiliaires de l’ANP investis dans la lutte antiterroriste de « proximité ». Il convient d’emblée de relever que le corps des patriotes était surtout efficace durant la première décade du terrorisme, celle de la « guerre classique », autrement dit la guérilla des maquis, avec la Mitidja comme terrain central des affrontements.
Quel serait l’apport de ce contingent dans le cas d’une guérilla de type Al Qaïda, c’est-à-dire basée sur l’opération kamikaze comme modus operandi et spécialisée dans les attaques urbaines ? Toujours est-il que la façon avec laquelle les éléments de ce corps ont été remerciés et leurs droits bafoués a suscité un sentiment d’ingratitude de l’Etat envers ses fantassins, ceci au moment où le discours sur la « mansuétude » de ce même Etat abreuvait de son pathos les repentis des GIA et autres ex-djihadistes célébrés comme des guérilleros fabuleux, avec en prime les excuses de la République. Autant de maladresses qui ont créé un climat de démobilisation psychologique délétère et un sentiment d’absence de vision, de stratégie hardie de la part de nos gouvernants. Bref : un sentiment de flou sémantique généralisé.
La « moussalaha » passe par la tête
Sur le plan politique, il y a cette énorme couleuvre restée en travers de la gorge du peuple nommée « moussalaha ». La politique de réconciliation nationale se pose de plus en plus comme une recette empoisonnée, un processus bâclé, mal ficelé, en l’absence d’un véritable travail cathartique sur le modèle « justice et vérité » comme cela a été initié sous les auspices du président Mandela en Afrique du Sud. Le référendum du 29 septembre 2005 a été tout simplement une mascarade – une de plus – et il n’est pas étonnant que le package « conciliationniste » du président Bouteflika soit reçu comme une œuvre démagogique et une manœuvre politicienne au contenu vicié. En témoigne la question vicieuse, objet de la consultation populaire : « Etes-vous pour ou contre la paix ? »
Le référendum, rappelons-nous, avait été improvisé dans la précipitation, sans débat contradictoire, donnant lieu à une plateforme d’entente nationale complètement creuse. Résultat des courses : on a peut-être désarmé quelques djihadistes et délogé quelques desperados islamistes des maquis, mais leur a-t-on réellement arraché des mots de repentance ? Leur a-t-on réellement ôté de la tête l’idée révolutionnaire et le projet insurrectionnel avec le califat comme projet subliminal ? Combien ont exprimé humblement des regrets pour les crimes qu’ils ont commis ? La récente sortie publique de Abdelhak Layada sur les colonnes d’El Khabar, exempte de toute remise en question, nous permet de douter que le processus « mental » de la « moussalaha » ait jamais abouti.
Avec le bilan lourd des derniers attentats, digne des pires cauchemars de la longue nuit des années 1990, Abdelaziz Bouteflika ne peut honnêtement continuer à claironner son « triomphe » d’avoir désamorcé nos maquis par l’amnistie, cette panacée miracle où 200 000 victimes passaient par pertes et profits. Le chef de l’Etat, si tant est qu’il fut capable d’un rien d’humilité, ne peut que faire un aveu d’échec de sa thérapie par l’amnésie/amnistie. Au soir de l’attentat particulièrement sanglant des Issers qui avait fait 43 morts, Djamel Ould Abbès, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité nationale, était l’invité de la chaîne Al Arabiya.
Sa prestation, disons-le sans méchanceté, était à la mesure de l’incompétence générale du régime à gérer une situation qu’il ne contrôle déjà plus sur les plans militaire et politique. Le fiasco communicationnel incarné par Djamel Ould Abbès face à la caméra d’Al Arabiya, qu’il confondait lamentablement avec le JT lénifiant de l’ENTV, en lui serinant le discours d’usage sur les « indjazate » de « fakhamatouhou » et le miracle de la réconciliation nationale « adoptée à 99%, Madame, par le peuple algérien » (sic), dit tout le vide politique et toute la faillite morale des deux mandats de Bouteflika. Quel est le bilan réel des politiques de concorde nationale et de réconciliation nationale menées tambour battant ? Nous ne le saurons jamais faute d’une commission d’enquête indépendante, les deux chambres du Parlement étant une autre illustration de cette incompétence générale.
à suivre...
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