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La tradition familiale: Salah l’émigré

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  • La tradition familiale: Salah l’émigré

    L’atmosphère au village est étouffante. Le soleil implacable condamne toute activité à partir de 10h du matin. La sécheresse impitoyable a commencé à flétrir les familles des arbres assoiffés. Le ravin, jadis connu pour être le refuge des adolescents à la recherche de fraîcheur, n’est plus qu’un ruisselet rachitique où, par endroits, l’eau stagnante a des relents d’égout.

    La route poudreuse qui y mène est d’ailleurs déserte comme est déserte la place du village assommée par une canicule sans précédent. Seuls ceux qui ont la chance d’avoir un véhicule peuvent se permettre d’aller jusqu’à Tigzirt-sur-mer ou à Azzefoun pour voir la mer. D’autres s’organisent pour louer un taxi, mais la journée revient cher. Ceux qui ont le plus de chance sont ceux qui ont construit une maison à l’extérieur du village, ils peuvent ainsi, à l’ombre des figuiers providentiels, goûter à la paix et à la fraîcheur.

    Salah est de ceux-là. Sa carrière de travailleur émigré lui a permis de construire une imposante villa avec trois niveaux. Il a une vue imprenable sur le village.

    Des arbres fruitiers divers entourent d’un écrin vert sa maison aux tuiles rouges. Il a même creusé un puits pour rester à l’abri des coupures d’eau qui sont devenues monnaie courante depuis que la municipalité a décidé de capter les diverses sources jadis abondantes et redistribuer l’eau aux ménages. Depuis, l’eau s’est faite rare et les villageois superstitieux accablent l’ancien maire qui avait cru bien faire en évitant aux femmes la corvée quotidienne de la fontaine publique.

    Salah l’émigré, comme on l’appelle au village, est loin de toute cette préoccupation. Il attend avec impatience l’arrivée de son fils qui travaille «là-bas». Il a usé de ruse et de patience pour persuader son fils de venir se marier au village. Il lui a proposé une cousine au teint de pêche avec des taches de rousseur sur les pommettes.

    Il faut dire qu’il a travaillé au corps ce fils qui, un moment, avait voulu unir sa destinée à une française fort gentille mais dépourvue de charme. Salah avait insisté et c’était l’argument qui avait compté: la cousine étant la fille unique de son père, son fils pouvait hériter de tout le patrimoine du grand-père.
    Sans compter, bien sûr, les petits champs qu’ils ont achetés ici et là grâce au change parallèle des années 70 et 80.

    Maintenant, Salah ne change les euros de sa retraite que pour vivre confortablement. Il ne cesse d’ailleurs de répéter à son fils que l’euro aura toujours une valeur supérieure au dinar et qu’il vaut mieux épargner l’euro et dépenser le dinar. Salah a de qui tenir, puisque son père M’hend était surnommé «le Gaulois», à cause de sa stature, de sa force et de ses moustaches tombantes. Il était réputé surtout pour son grand appétit: des repas gargantuesques bien arrosés, faits de bouzelouf, de têtes de veau, de plats peu coûteux mais très nourrissants. C’était lui qui avait imprimé à la famille cette dynamique de croissance: en trois générations, leurs biens avaient décuplé. Bien sûr, M’hend le Gaulois repose maintenant à l’ombre d’un micocoulier au cimetière du village et toute la famille y vient lui rendre hommage une fois l’an.

    Cette semaine, tout le monde aura une pensée pour lui quand Salah passera le burnous neuf aux épaules de son fils, à la cérémonie du henné. Cela fait sourire Saïd, car son père avait eu le même geste trente cinq ans auparavant.


    Par Selim M’SILI, L'expression

  • #2
    C'est un très beau texte que tu nous livre la Morjane !

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