Stéphane Bussard, de retour d'Assalouyeh
Vendredi 29 août 2008
Côte iranienne du golfe Persique, province de Bouchehr. Entre un relief montagneux qui cache des centaines de kilomètres de désert et les eaux tourmentées du Golfe, Assalouyeh apparaît comme une création sortie du néant. Dans les années 1980, l'endroit n'était qu'un terrain vague. Aujourd'hui, le site abrite le plus vaste centre industriel en construction de la planète. Il est en connexion directe avec le plus grand champ gazier du monde: South Pars, en pleine mer, à une centaine de kilomètres au large de l'Iran.
Pour les milliers d'employés d'Assalouyeh, coiffés pour la plupart du keffieh, le mois de juillet est une fournaise. La température y monte jusqu'à 50 voire 60 degrés avec un taux d'humidité qui peut avoisiner les 80%. L'air sent le soufre, que de grandes tours d'acier produisent par milliers de tonnes. Une brume tenace et mystérieuse estompe les aspérités d'un paysage aride habité à 95% par des sunnites dans un pays à 90% chiite.
Pour la République islamique, le projet de développement de South Pars est la «manifestation de la détermination nationale». Planificateur au sein de la société iranienne Oil Industries Engineering and Construction, Ali Reza Zandschahvar a étudié l'ingénierie industrielle à l'Université de Shiraz. Marié, 29 ans, il reconnaît qu'il est éprouvant de travailler à Assalouyeh, loin de sa famille qui vit dans la ville de ses études.
«Nous avons quasiment une vie de célibataires. Nous sommes ici 24 jours par mois. Mais c'est un sacrifice acceptable, car nous aimons notre pays.» Dans un contexte de crise énergétique, South Pars ne laisse pas indifférents les Occidentaux, la Chine ou le Japon. La société suisse de négoce d'énergie EGL (Electricité de Laufenbourg) en sait quelque chose. Elle devrait importer en partie du gaz iranien de ce gigantesque champ gazier (lire l'encadré).
La taille du complexe industriel d'Assalouyeh (phases 9 et 10) est à la mesure des enjeux énergétiques de la planète: 150 hectares, 7 millions de m3 de terre déplacés, 130000m3 de béton coulés, 2200kilomètres de câbles et 25000 tonnes de tuyaux ont été déposés, plus de 50 millions d'heures de travail. A terme, l'usine d'Assalouyeh raffinera 50 millions de m3 de gaz par jour et produira 80000 barils de condensat de gaz. La production de gaz à Assalouyeh est actuellement de 125 millions de m3 par jour et devrait bondir à 250 millions de m3 par jour en 2009 quand dix des 24 phases prévues du projet seront opérationnelles. Cette production journalière est suffisante pour couvrir les besoins globaux de gaz en Suisse pendant 125 jours.
A Tombak, à quelques dizaines de kilomètres le long de la côte en direction de Bouchehr, un autre site attend les investissements des compagnies étrangères. Sapé à l'italienne dans son costume Silver Shield malgré la chaleur accablante, Ali Aliabadi, Téhéranais de 24 ans, responsable de la communication pour la société iranienne Pars Oil and Gas Company prévient tout de suite: impossible de visiter. Trop sensible. Il se rabat sur le site d'Assalouyeh pour poursuivre la visite.
Dans un immense réservoir qui servira à entreposer du butane et du méthane, plongés dans l'obscurité, des ouvriers font jaillir un faisceau d'étincelles de leur scie électrique. «Une trentaine de sous-traitants sont actifs ici qui eux-mêmes travaillent avec d'autres sociétés. En tout, 80 entreprises sont concernées de près ou de loin par Assalouyeh», précise le collaborateur du groupe OIEC. Sur le site d'Assalouyeh, Ali Aliabadi estime à 2000 le nombre d'employés. Mais, précise-t-il, jusqu'à 60000 ouvriers sont passés par ici. Leurs salaires sont très variables: 400dollars par mois pour les moins qualifiés et jusqu'à 30000 dollars pour les plus compétents.
Six plates-formes offshore puisent actuellement dans un gisement qui couvre une surface totale de 9700 km2. 3700 km2 appartiennent à l'Iran et la plus grande partie au Qatar. Les réserves iraniennes sont estimées à 14000 milliards de m3 de gaz et à 18 milliards de barils de condensat de gaz. Ce sont environ 9% des réserves mondiales et la moitié des réserves de l'Iran. L'extraction débute sous 65 mètres d'eau et plonge à 3000 mètres en dessous du fond marin. L'objectif des responsables iraniens est d'atteindre à terme une production journalière de 820millions de m3.
Pour se rendre sur les plates-formes, l'hélicoptère est nécessaire. De chacune d'entre elles part un gazoduc d'une centaine de kilomètres vers Assalouyeh. Fait révolutionnaire: le transport du gaz est polyphasique. Au lieu de séparer le gaz, les condensats, l'eau d'extraction et les boues sur les plates-formes, tout est transporté dans le gazoduc et n'est traité qu'à l'usine d'Assalouyeh. Les plates-formes de South Pars sont ainsi inhabitées et dépourvues d'installations lourdes.
La haute technologie utilisée est toutefois à double tranchant. Comme l'explique Paul-Marie Graf, ex-responsable de Total en Iran et aujourd'hui consultant à Téhéran, un pipeline fuyait ces derniers jours et a provoqué l'interruption de la production d'une des plates-formes. «Un gazoduc, qui a été mal posé, fuit. Une société française va le remplacer, car les soudures qui doivent être faites exigent une très haute technicité. Le gaz est très corrosif.» Pour protéger les tuyaux de la corrosion et éviter le dépôt de carbonates, du glycol est injecté dans les gazoducs. A l'unité 103, une installation sépare les différents composants du gaz pour en faire du gaz de ville, de l'éthane qui sera transformé en éthylène, puis utilisé dans les unités de pétrochimie.
Bien que désertique, la région d'Assalouyeh réserve quelques surprises en octobre et en février. Des pluies diluviennes peuvent provoquer des millions de dégâts aux installations, rappelle Ali Aliabadi. C'est pourquoi des bacs de rétention et des énormes canaux ont été aménagés pour évacuer les eaux.
Vendredi 29 août 2008
Côte iranienne du golfe Persique, province de Bouchehr. Entre un relief montagneux qui cache des centaines de kilomètres de désert et les eaux tourmentées du Golfe, Assalouyeh apparaît comme une création sortie du néant. Dans les années 1980, l'endroit n'était qu'un terrain vague. Aujourd'hui, le site abrite le plus vaste centre industriel en construction de la planète. Il est en connexion directe avec le plus grand champ gazier du monde: South Pars, en pleine mer, à une centaine de kilomètres au large de l'Iran.
Pour les milliers d'employés d'Assalouyeh, coiffés pour la plupart du keffieh, le mois de juillet est une fournaise. La température y monte jusqu'à 50 voire 60 degrés avec un taux d'humidité qui peut avoisiner les 80%. L'air sent le soufre, que de grandes tours d'acier produisent par milliers de tonnes. Une brume tenace et mystérieuse estompe les aspérités d'un paysage aride habité à 95% par des sunnites dans un pays à 90% chiite.
Pour la République islamique, le projet de développement de South Pars est la «manifestation de la détermination nationale». Planificateur au sein de la société iranienne Oil Industries Engineering and Construction, Ali Reza Zandschahvar a étudié l'ingénierie industrielle à l'Université de Shiraz. Marié, 29 ans, il reconnaît qu'il est éprouvant de travailler à Assalouyeh, loin de sa famille qui vit dans la ville de ses études.
«Nous avons quasiment une vie de célibataires. Nous sommes ici 24 jours par mois. Mais c'est un sacrifice acceptable, car nous aimons notre pays.» Dans un contexte de crise énergétique, South Pars ne laisse pas indifférents les Occidentaux, la Chine ou le Japon. La société suisse de négoce d'énergie EGL (Electricité de Laufenbourg) en sait quelque chose. Elle devrait importer en partie du gaz iranien de ce gigantesque champ gazier (lire l'encadré).
La taille du complexe industriel d'Assalouyeh (phases 9 et 10) est à la mesure des enjeux énergétiques de la planète: 150 hectares, 7 millions de m3 de terre déplacés, 130000m3 de béton coulés, 2200kilomètres de câbles et 25000 tonnes de tuyaux ont été déposés, plus de 50 millions d'heures de travail. A terme, l'usine d'Assalouyeh raffinera 50 millions de m3 de gaz par jour et produira 80000 barils de condensat de gaz. La production de gaz à Assalouyeh est actuellement de 125 millions de m3 par jour et devrait bondir à 250 millions de m3 par jour en 2009 quand dix des 24 phases prévues du projet seront opérationnelles. Cette production journalière est suffisante pour couvrir les besoins globaux de gaz en Suisse pendant 125 jours.
A Tombak, à quelques dizaines de kilomètres le long de la côte en direction de Bouchehr, un autre site attend les investissements des compagnies étrangères. Sapé à l'italienne dans son costume Silver Shield malgré la chaleur accablante, Ali Aliabadi, Téhéranais de 24 ans, responsable de la communication pour la société iranienne Pars Oil and Gas Company prévient tout de suite: impossible de visiter. Trop sensible. Il se rabat sur le site d'Assalouyeh pour poursuivre la visite.
Dans un immense réservoir qui servira à entreposer du butane et du méthane, plongés dans l'obscurité, des ouvriers font jaillir un faisceau d'étincelles de leur scie électrique. «Une trentaine de sous-traitants sont actifs ici qui eux-mêmes travaillent avec d'autres sociétés. En tout, 80 entreprises sont concernées de près ou de loin par Assalouyeh», précise le collaborateur du groupe OIEC. Sur le site d'Assalouyeh, Ali Aliabadi estime à 2000 le nombre d'employés. Mais, précise-t-il, jusqu'à 60000 ouvriers sont passés par ici. Leurs salaires sont très variables: 400dollars par mois pour les moins qualifiés et jusqu'à 30000 dollars pour les plus compétents.
Six plates-formes offshore puisent actuellement dans un gisement qui couvre une surface totale de 9700 km2. 3700 km2 appartiennent à l'Iran et la plus grande partie au Qatar. Les réserves iraniennes sont estimées à 14000 milliards de m3 de gaz et à 18 milliards de barils de condensat de gaz. Ce sont environ 9% des réserves mondiales et la moitié des réserves de l'Iran. L'extraction débute sous 65 mètres d'eau et plonge à 3000 mètres en dessous du fond marin. L'objectif des responsables iraniens est d'atteindre à terme une production journalière de 820millions de m3.
Pour se rendre sur les plates-formes, l'hélicoptère est nécessaire. De chacune d'entre elles part un gazoduc d'une centaine de kilomètres vers Assalouyeh. Fait révolutionnaire: le transport du gaz est polyphasique. Au lieu de séparer le gaz, les condensats, l'eau d'extraction et les boues sur les plates-formes, tout est transporté dans le gazoduc et n'est traité qu'à l'usine d'Assalouyeh. Les plates-formes de South Pars sont ainsi inhabitées et dépourvues d'installations lourdes.
La haute technologie utilisée est toutefois à double tranchant. Comme l'explique Paul-Marie Graf, ex-responsable de Total en Iran et aujourd'hui consultant à Téhéran, un pipeline fuyait ces derniers jours et a provoqué l'interruption de la production d'une des plates-formes. «Un gazoduc, qui a été mal posé, fuit. Une société française va le remplacer, car les soudures qui doivent être faites exigent une très haute technicité. Le gaz est très corrosif.» Pour protéger les tuyaux de la corrosion et éviter le dépôt de carbonates, du glycol est injecté dans les gazoducs. A l'unité 103, une installation sépare les différents composants du gaz pour en faire du gaz de ville, de l'éthane qui sera transformé en éthylène, puis utilisé dans les unités de pétrochimie.
Bien que désertique, la région d'Assalouyeh réserve quelques surprises en octobre et en février. Des pluies diluviennes peuvent provoquer des millions de dégâts aux installations, rappelle Ali Aliabadi. C'est pourquoi des bacs de rétention et des énormes canaux ont été aménagés pour évacuer les eaux.
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