29 août 2008 — L’UE se réunit lundi, sous la présidence de la France. Les Français, sous la direction de Sarkozy, sont, comme les autres Européens, embourbés dans le marigot de la montée aux extrêmes. La France, présidente de l’UE, qui avait entamé cette crise dans une certaine improvisation créatrice, en est désormais réduite à envisager de refuser de prendre des initiatives pour le sommet, dans tous les cas pour ce jour (hier après-midi à Bruxelles, à la réunion ministérielle préparatoire du sommet), parce que dans le climat actuel “prendre l’initiative” reviendrait à proposer des sanctions contre la Russie. Une fois cela mis en évidence, il serait apparu évident que l’UE ne prendra pas de sanctions. Cet assouplissement de sa position par rapport aux perspectives de sanctions d’un instant auparavant (les choses vont vite) n’attire aucune reconnaissance, aucune concession de la part des Russes. (Et l’on appréciera le chemin parcouru depuis les prévisions d’une présidence française de l’UE qui devait constituer un modèle de volontarisme, où la France ne cesserait de bouleverser la vénérable institution en proposant initiative sur initiative.)
La “politique” européenne se confirme d’une façon éclatante pour ce qu’elle est à l’occasion de cette crise: une affirmation martiale et tonitruante d’impuissance. L’Europe n’en est d’ailleurs pas responsable. Pris individuellement, les nations ne font pas mieux. Ce n’est plus la question du “choix” d’une politique mais le constat d’une “forme” de comportement politique qui nous est imposé par une mécanique sans visage ni identité, qui est le fonctionnement même de notre système, qui implique une montée aux extrêmes stérile et paralysante. L’Europe est aujourd’hui touchée de plein fouet par ce mal de la montée aux extrêmes qui touche l’Occident en général, qui revient pour ce cas à dénoncer hautement et catégoriquement l’adversaire tout en cherchant un arrangement avec le partenaire; le problème de type schizophrénique est que l’adversaire et le partenaire sont un seul et même pays.
(De leur côté, les Américains en sont réduits pour l’instant à une politique de provocation mesurée, avec des forces qui poussent à cette provocation et d’autres qui la freinent, cela en attendant une future administration dont on ne voit pas ce qu’elle apportera sinon une hostilité anti-russe institutionnalisée.)
La “politique européenne”, comme chaque “politique nationale” éventuelle, c’est aujourd’hui l’affirmation conjointe de l’intransigeante impossibilité du compromis et de la nécessité impérative du compromis; ou bien, dira-t-on, de la recherche du compromis impératif grâce à l’affirmation intransigeante de l’impossibilité du compromis? L’Europe ne cesse d’affirmer un engagement intransigeant réduit à la rhétorique (au côté de la Géorgie) tout en recherchant des formules de compromis avec les Russes, sans guère de succès.
Le cas est mis en évidence d’une façon concrète entre une Europe qui dénonce publiquement la Russie, dans des termes parfois violents qui semblent évidemment sans retour ni concession possible, et une Europe qui tente de voir comment faire survivre les conversations pour aboutir à un cadre de “partenariat stratégique” avec la Russie. Peut-on envisager dans le même souffle, à la même heure, de la part des mêmes et en direction des mêmes, de mettre en place un “partenariat stratégique” avec une puissance qu’on dénonce en même temps dans des termes absolument intransigeants? Ce dilemme non pas cornélien mais virtualiste et schizophrénique est joliment, c’est-à-dire inconsciemment présenté par ces quelques paragraphes du Times d’hier où Kouchner annonce peut-être des sanctions, mais semble laisser entendre que la France n’est pas vraiment partie prenante (préside-t-elle l’UE ou pas?), où l’UE veut faire savoir qu’elle est déterminée à être très dure avec la Russie, mais que d’autre part elle serait déterminée à un arrangement avec la Russie…
«Chancellor Angela Merkel of Germany is unlikely to agree to any sanctions that might cause lasting damage to relations with Moscow and interrupt the flow of gas and oil to Europe.
»Despite the obvious difficulties of imposing sanctions, Mr Kouchner made it clear that they were on the agenda for the summit on Monday, although he did not indicate that France itself was proposing such action. “Sanctions are being considered and many other means as well....Certain countries have asked that sanctions be imposed,” he said. (…)
»Mr Kouchner, however, said: “We are trying to elaborate a strong text [for the EU summit] that will show our determination not to accept [what is happening in Georgia].”
»The EU, like Nato, does not want to sever relations with Russia and is keen to keep open the lines of communication with Moscow. Meanwhile, the public rhetoric was continuing to undermine the efforts being made behind the scenes to repair the diplomatic damage caused by Russia’s military action in Georgia...»
Le passage que nous avons éliminé de cette citation était simplement une réaction de Lavrov, insérée dans cette descriptions des folies de l’UE, le ministre russe des affaires étrangères qualifiant ainsi l’idée de sanctions : «…the product of a sick imagination. I think it is a demonstration of complete confusion.» Il est assez difficile de lui donner complètement tort, dans tous les cas pour la confusion et même au nom de la sauvegarde de la démocratie.
D’ailleurs, qu’on se rassure … En même temps que le texte du Times, était mis en ligne, un texte de l’International Herald Tribune nous confirmant que rien ne peut être confirmé, qu’il a été question de sanctions mais qu’il n’y en aura pas, que les choses ne peuvent être du type “business as usual” mais que pourtant il ne peut être question d’envisager purement et simplement de ne pas reprendre (le 16 septembre) les discussions sur un “partenariat stratégique” avec une Russie dénoncée comme une entité immonde et insupportable. L’essentiel est bien que nous cherchons une “coherent response”…
«Struggling for a coherent response to the Russian military actions in the Caucasus, senior European Union diplomats Thursday agreed to increase assistance to Georgia but shied away from threats to impose tough sanctions against Moscow.
»Four hours of discussion in Brussels ended with an agreement to review relations with Russia, condemn its actions in Georgia and warn that business cannot continue as usual.
»However there was no consensus on whether to postpone discussions a new partnership agreement with Russia, scheduled for Sept. 16. Heads of government will consider, when they meet Monday, whether it is politically possible to proceed, but several countries insisted Thursday that Moscow should not be isolated.»
La “politique” européenne se confirme d’une façon éclatante pour ce qu’elle est à l’occasion de cette crise: une affirmation martiale et tonitruante d’impuissance. L’Europe n’en est d’ailleurs pas responsable. Pris individuellement, les nations ne font pas mieux. Ce n’est plus la question du “choix” d’une politique mais le constat d’une “forme” de comportement politique qui nous est imposé par une mécanique sans visage ni identité, qui est le fonctionnement même de notre système, qui implique une montée aux extrêmes stérile et paralysante. L’Europe est aujourd’hui touchée de plein fouet par ce mal de la montée aux extrêmes qui touche l’Occident en général, qui revient pour ce cas à dénoncer hautement et catégoriquement l’adversaire tout en cherchant un arrangement avec le partenaire; le problème de type schizophrénique est que l’adversaire et le partenaire sont un seul et même pays.
(De leur côté, les Américains en sont réduits pour l’instant à une politique de provocation mesurée, avec des forces qui poussent à cette provocation et d’autres qui la freinent, cela en attendant une future administration dont on ne voit pas ce qu’elle apportera sinon une hostilité anti-russe institutionnalisée.)
La “politique européenne”, comme chaque “politique nationale” éventuelle, c’est aujourd’hui l’affirmation conjointe de l’intransigeante impossibilité du compromis et de la nécessité impérative du compromis; ou bien, dira-t-on, de la recherche du compromis impératif grâce à l’affirmation intransigeante de l’impossibilité du compromis? L’Europe ne cesse d’affirmer un engagement intransigeant réduit à la rhétorique (au côté de la Géorgie) tout en recherchant des formules de compromis avec les Russes, sans guère de succès.
Le cas est mis en évidence d’une façon concrète entre une Europe qui dénonce publiquement la Russie, dans des termes parfois violents qui semblent évidemment sans retour ni concession possible, et une Europe qui tente de voir comment faire survivre les conversations pour aboutir à un cadre de “partenariat stratégique” avec la Russie. Peut-on envisager dans le même souffle, à la même heure, de la part des mêmes et en direction des mêmes, de mettre en place un “partenariat stratégique” avec une puissance qu’on dénonce en même temps dans des termes absolument intransigeants? Ce dilemme non pas cornélien mais virtualiste et schizophrénique est joliment, c’est-à-dire inconsciemment présenté par ces quelques paragraphes du Times d’hier où Kouchner annonce peut-être des sanctions, mais semble laisser entendre que la France n’est pas vraiment partie prenante (préside-t-elle l’UE ou pas?), où l’UE veut faire savoir qu’elle est déterminée à être très dure avec la Russie, mais que d’autre part elle serait déterminée à un arrangement avec la Russie…
«Chancellor Angela Merkel of Germany is unlikely to agree to any sanctions that might cause lasting damage to relations with Moscow and interrupt the flow of gas and oil to Europe.
»Despite the obvious difficulties of imposing sanctions, Mr Kouchner made it clear that they were on the agenda for the summit on Monday, although he did not indicate that France itself was proposing such action. “Sanctions are being considered and many other means as well....Certain countries have asked that sanctions be imposed,” he said. (…)
»Mr Kouchner, however, said: “We are trying to elaborate a strong text [for the EU summit] that will show our determination not to accept [what is happening in Georgia].”
»The EU, like Nato, does not want to sever relations with Russia and is keen to keep open the lines of communication with Moscow. Meanwhile, the public rhetoric was continuing to undermine the efforts being made behind the scenes to repair the diplomatic damage caused by Russia’s military action in Georgia...»
Le passage que nous avons éliminé de cette citation était simplement une réaction de Lavrov, insérée dans cette descriptions des folies de l’UE, le ministre russe des affaires étrangères qualifiant ainsi l’idée de sanctions : «…the product of a sick imagination. I think it is a demonstration of complete confusion.» Il est assez difficile de lui donner complètement tort, dans tous les cas pour la confusion et même au nom de la sauvegarde de la démocratie.
D’ailleurs, qu’on se rassure … En même temps que le texte du Times, était mis en ligne, un texte de l’International Herald Tribune nous confirmant que rien ne peut être confirmé, qu’il a été question de sanctions mais qu’il n’y en aura pas, que les choses ne peuvent être du type “business as usual” mais que pourtant il ne peut être question d’envisager purement et simplement de ne pas reprendre (le 16 septembre) les discussions sur un “partenariat stratégique” avec une Russie dénoncée comme une entité immonde et insupportable. L’essentiel est bien que nous cherchons une “coherent response”…
«Struggling for a coherent response to the Russian military actions in the Caucasus, senior European Union diplomats Thursday agreed to increase assistance to Georgia but shied away from threats to impose tough sanctions against Moscow.
»Four hours of discussion in Brussels ended with an agreement to review relations with Russia, condemn its actions in Georgia and warn that business cannot continue as usual.
»However there was no consensus on whether to postpone discussions a new partnership agreement with Russia, scheduled for Sept. 16. Heads of government will consider, when they meet Monday, whether it is politically possible to proceed, but several countries insisted Thursday that Moscow should not be isolated.»
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