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Abane Ramdane, stratège militaire de l’ALN ?

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  • Abane Ramdane, stratège militaire de l’ALN ?

    par Bélaïd Abane*

    1ère partie


    Il va donc falloir reprendre sa plume, une fois de plus, pour répondre à une opinion (QO du 24/08/08), celle de Mourad Benachenhou. Une opinion où l’affabulation et la mauvaise foi le disputent à une sorte de malveillance où la haine a du mal à se dissimuler. Oui, tout cela dégouline à flots d’un texte dont on se demande à quel type de logique-on le devine cependant- il obéit. Mais évitons le procès d’intention et tenons-en-nous aux faits.

    Préalable important : Loin de moi l’idée de dénier à quiconque le droit de critiquer les idées et les actions de quelque dirigeant révolutionnaire que ce soit. Il est même très sain de débattre de notre histoire, de passer au crible nos dirigeants passés et présents, leurs idées et leurs actions. Sinon comment sortir de cet unanimisme qui a bloqué l’histoire post coloniale de notre pays au point de verrouiller le champ politique et idéologique avec les conséquences dramatiques vécues par notre peuple au cours de ces deux dernières décennies. Ce qui est en cause, ce n’est donc pas le fait de soumettre à la critique les idées et la stratégie de Abane. Du reste, n’est exempt de critique que celui qui n’a rien fait et n’a laissé derrière lui la moindre idée, la moindre action, dignes d’être évoquées et critiquées.

    Il y a cependant un hic ! C’est toujours sur les mêmes qu’on se déchaîne et s’acharne, pour ne pas dire le même, alors qu’il y a tant et tant à dire sur d’autres. Là encore, quelle logique ?

    Il est vrai cependant, qu’ayant fortement marqué la lutte de libération nationale durant ses premières années, Abane ne pouvait laisser indifférent. Et après l’avoir critiqué, attaqué sous l’angle politique, jusqu’à parfois salir sa mémoire, voilà qu’on lui fait endosser, sur des arguments sans fondements du genre « c’est lui, ça ne peut pas être quelqu’un d’autre », un soi-disant échec de la stratégie militaire de l’ALN. Ce dernier coup bas de M. Benachenhou est empreint de petitesse autant que de bassesse, en ce qu’il émane d’un intellectuel capable en principe d’écrire et d’analyser les choses avec nuances, sans passion, sans affect et sans tous ces raccourcis qui traduisent un trop plein de ce mauvais sentiment qui n’honore pas son auteur, à fortiori, un ancien officier de l’ALN. Venons en aux faits.

    Abane Ramdane, Mao et Zun Tsu !

    Notre affabulateur fonde toute son «analyse» sur une prétendue doctrine militaire «imposée» par Abane à ses collègues du congrès de la Soummam. Cette doctrine qu’Abane aurait puisée dans les �"uvres de Mao, et la stratégie qui en découla, auraient «mis l’ALN sur la voie de la destruction». Féru de sciences militaires, l’auteur de l’article regrette qu’Abane n’ait point lu le maître Zun Tsu (et non Sun Tze comme il l’écrit sans prendre soin de vérifier, dans son empressement à étaler sa culture). Et Benachenhou de tartiner sur « la gravité de l’erreur d’Abane Ramdane», «ses conséquences dramatiques»... Qu’est-il reproché au juste à Abane ? D’avoir avec ses collègues de la Soummam, structuré l’ALN en une armée révolutionnaire moderne, avec commandement politico-militaire unifié à tous les niveaux, de l’avoir moralisée et conformée à l’éthique de la guerre. De l’avoir harmonisée et rationalisée pour sortir définitivement des soulèvements incantatoires et velléitaires du passé. En somme d’avoir mis la révolution sur l’orbite de la victoire et d’avoir posé les premiers jalons de l’état algérien moderne. Ça, oui nous l’admettons volontiers, même si notre analyste le considère comme une forfaiture. Le mot n’est pas trop fort car M. Benachenhou n’hésite pas à ajouter que « l’analyse militaire de Abane allait dans le sens des intérêts de l’ennemi qui ne tarda guère à saisir l’initiative ». C’est un air déjà entendu. Voilà pour éclairer le lecteur, où est la bassesse. Diable il ne manquait à Abane que les transmissions pour signaler à l’ennemi les positions de l’ALN. Le ridicule et la bêtise ne tuent pas. Le trop plein de haine n’étouffe pas.

    À l’évidence, l’«ancien officier supérieur de l’ALN » n’a pas lu la plate-forme de la Soummam. Car il n’y aurait trouvé la moindre trace de stratégie militaire. Concernant la structuration de l’ALN et tout particulièrement la constitution de bataillons (faylaq, fayaliq) (sur laquelle l’auteur de l’article a sans doute fondé toute son attaque), les congressistes de la Soummam, dans leur souci d’harmoniser la lutte, géographiquement mais aussi organiquement, ont effectivement décidé d’organiser l’ALN en unités combattantes qui vont du demi-groupe comprenant 5 hommes, au bataillon de 350 hommes en passant par le groupe ou faoudj (11 hommes), la section ou ferqa (35 hommes) et la compagnie ou katiba pouvant comprendre jusqu’à 110 hommes. Bien avant le congrès de la Soummam et même après, les katibas, notamment celles de l’Algérois (plusieurs célèbres katibas opérèrent dans la Mitidja et l’atlas blidéen dont celle du célèbre commando Ali Khodja qui sera, à la mort de ce dernier, dirigée par le prestigieux commandant Azzedine, futur chef de la zone autonome d’Alger ainsi que d’autres katibas non moins célèbres telles la Zoubiria du commandant Bouregâa, la Othmania, la Rahmaniya, la Soleymania, la Hamidiya, toutes portant des noms de valeureux combattants tombés au champ d’honneur) avaient infligé à l’ennemi des pertes considérables. Ecoutons le commandant Ali Lounici, un autre officier de l’ALN, celui là de l’intérieur (wilaya IV), donner son point de vue (El Watan du 29 04 2004) sur l’apport du congrès de la Soummam : «J’étais au maquis quand Si M’hamed et Ouamrane étaient revenus du Congrès de la Soummam. On ne mesurera jamais assez quelle a été l’importance du Congrès de la Soummam, sur la dynamique qui a mû le peuple algérien. Il lui a apporté le sentiment qu’il y avait désormais quelque chose de solide qui supportait tout l’édifice. Que la Révolution avait gagné en envergure. Le congrès a installé une organisation qui n’avait jamais existé auparavant, et quel que soit ce que l’on peut reprocher à Abane Ramdane, on ne peut pas contester qu’il aura marqué de son sceau le congrès et la Révolution elle-même dans toutes ses dimensions. Nous avions 20 ans quand Ouamrane nous avait réunis pour nous expliquer comment nous allions être organisés. L’Algérie divisée en wilayas, puis en zones, puis en régions, et bien d’autres choses encore... Tout cela nous a donné de l’importance. Ça a nourri, en tous les cas pour moi, cette dimension romantique. Ça nous a donné ce formidable sentiment que nous avions déjà un état. Le Congrès de la Soummam a insufflé en nous quelque chose d’indicible. Je trouve qu’actuellement on n’en mesure toujours pas toute la portée historique et stratégique. C’est incontestablement cela qui nous a menés à la victoire. Il est l’acte fondateur de l’état algérien moderne par excellence, cela est tout aussi irréfragable. Je me souviens que nous avions mis en pratique toutes les recommandations et instructions du Congrès de la Soummam. J’avais l’impression que nous précédions les événements... Nous pouvons dire que c’était l’époque de l’épanouissement. Les jours heureux de la Révolution. »
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Cette structuration de l’armée de libération nationale vaut ce qu’elle vaut mais elle constitue un SMIG de rationalité et d’organisation, indispensable pour mettre de l’ordre dans la lutte et lui conférer un minimum d’efficacité, de discipline, de crédibilité et d’éthique. Oui d’éthique, car il s’agit également de freiner les élans impétueux de quelques seigneurs de guerre, d’«interdire formellement les égorgements, les mutilations... quelque soient les raisons qu’on puisse alléguer». Cela ne préjuge en rien de la stratégie à adopter devant l’armée ennemie dont les Soummamiens et tout particulièrement Abane, connaissaient la supériorité en armes et en effectifs, et la puissance de feu. N’est-ce pas le même Abane qui n’a cessé de clamer à qui voulait l’entendre, comme en a souvent témoigné Reda Malek qui, lui, sait de quoi il parle, que le combat mené par le FLN contre le colonialisme français est d’essence politique, que la victoire militaire relève de l’illusion et de l’utopie et que l’objectif est seulement de poser un problème politique par des moyens militaires, un problème que la puissance dominante ne peut résoudre par la force, ce qui devra forcément l’amener à s’asseoir à la table des négociations. De cela, Abane était parfaitement conscient comme le montre ce dialogue en septembre 1955, déjà, avec le journaliste chrétien anticolonialiste Robert Barrat.

    A ce dernier qui lui fit remarquer que « votre combat est sans issue car vous ne pourrez jamais avec vos mousquetons et vos mitraillettes, venir à bout d’une armée moderne», Abane répond :

    «D’accord, ce n’est pas possible. Mais les militaires français ne peuvent pas davantage venir à bout de nos forces. A quoi servent ici vos tanks, vos automitrailleuses et vos avions à réaction ? Notre force vient de ce que nous obligeons nos adversaires à nous poursuivre dans la montagne et à n’employer d’autres armes que les nôtres. Notre supériorité c’est que nous sommes chez nous et que les habitants sont avec nous.» S’il y a un soupçon de maoïsme dans la vision révolutionnaire d’Abane, c’est bien cela et non pas une soi-disant guerre frontale et classique avec un ennemi supérieur à tous égards. On se demande même ce que vient faire la référence à Mao dans l’opinion de M. Benachenhou ! Quel sens donner du reste au credo de la primauté du politique sur le militaire si ce n’est la subordination de tout acte militaire aux objectifs politiques, credo qu’Abane réitéra encore lorsqu’il présenta le rapport du CCE au CNRA lors de sa session d’août 1957 au Caire.

    La plateforme de la Soummam,
    une stratégie militaire ?

    Au demeurant, il est nécessaire, afin de ne pas parler pour ne rien dire, de se reporter à la plate-forme de la Soummam et de voir ce qu’elle contient en matière de stratégie militaire ? Rien qui corresponde, ni de près ni de loin, aux affabulations de M. Benachenhou. Qu’on en juge:

    «En une période relativement courte, l’ALN localisée dans les Aurès et la Kabylie a subi avec succès l’épreuve du feu. Elle a triomphé de la campagne d’encerclement et d’anéantissement menée par une armée puissante, moderne au service du régime colonialiste d’un des plus grands états du monde. Malgré la pénurie d’armement, elle a développé des opérations de guérilla, de harcèlement de sabotage, s’étendant aujourd’hui à l’ensemble du territoire national. Elle a consolidé sans cesse ses positions en améliorant sa tactique, sa technique, son efficacité.

    Elle a su rapidement passer de la guérilla au niveau de la guerre partielle. Elle a su harmonieusement combiner les méthodes éprouvées des guerres anticolonialistes avec les formes les plus classiques en les adaptant intelligemment aux particularités du pays. Elle a déjà fourni la preuve suffisante, maintenant que son organisation est unifiée, qu’elle possède la science de la stratégie d’une guerre englobant l’ensemble de l’Algérie... Telles sont les raisons essentielles du miracle algérien : l’ALN tenant en échec la force colossale de l’armée colonialiste française, renforcée par les divisions «atomiques » prélevées sur les forces de l’OTAN. Voilà pourquoi en dépit des incessants renforts jugés aussitôt insuffisants, malgré le quadrillage ou autre technique aussi inopérante que le déluge de feu, les généraux français sont obligés de reconnaître que la solution militaire est impossible pour résoudre le problème algérien. »

    Voilà, pour éclairer le lecteur, non pas les recommandations en matière de stratégie militaire, du congrès de la Soummam, mais un simple bilan de l’action de l’ALN sur le terrain. Rien à voir avec l’ineptie de «la guerre régulière totale» que développe notre analyste. Qu’ «un certain Tétouan, ancien caporal de l’armée d’occupation » ait voulu se mesurer frontalement à l’armée française « bien qu’il lui ait été vivement conseillé de renoncer à provoquer l’ennemi », qu’il ait voulu livrer bataille en dépit de tout bon sens, qu’il ne puisse « arriver à se débarrasser de la tournure d’esprit que lui avaient inculquer ses anciens supérieurs », voilà qui met à bas toute l’argumentation de notre stratège et dénote de l’incongruité de sa conclusion, véritable tour de passe-passe et concentré de tricherie intellectuelle.

    Ainsi après avoir souligné toute la folie de la bataille de Fillaoucène et la bêtise d’un chef de guerre, Tétouan, qui a « mené ses hommes à la mort sans hésitation... comme de la chair à canon », M. Benachenhou n’hésite pas, dans une dernière estocade empreinte de la plus mauvaise foi, à conclure que « la bataille de Fillaoucène, un haut fait d’armes dont on ne peut qu’être fier, constitua néanmoins un exemple particulièrement tragique du non sens militaire qui découlait de la stratégie erronée de Abane Ramdane ». Dédouanant de « cette triste et inutile bataille » le chef Tétouan qu’il charge pourtant des pires impérities, quelques lignes plus haut, M. Benachenhou en remet une couche sur « la stratégie mal pensée » d’Abane. C’est peu digne et sans gloire que d’aligner autant d’incongruités pour charger Abane de tous les maux, de la part d’un ancien officier supérieur de l’ALN, intellectuel de surcroît.

    Le véritable virage stratégique s’opère en réalité du côté français, au début de l’hiver 1956, lorsque, face à la guerre révolutionnaire menée par l’ALN et à ses offensives de plus en plus audacieuses et meurtrières, notamment en Kabylie, dans l’algérois, les Aurès et le Constantinois, l’establishment colonial décide de changer d’équipe et de tactique : le général Lorillot est relevé de ses fonctions et remplacé dès le 1er décembre à la tête de la 10e région militaire (Algérie), par le général Salan.

    Ce dernier est choisi par l’establishment colonial pour son expérience indochinoise. C’est également pour cette raison que sont nommés à ses côtés, d’anciens officiers « indochinois » spécialistes de la guerre contre-révolutionnaire et de l’action psychologique, dont un certain Roger Trinquier, ce lieutenant-colonel dont « les méthodes algéroises » feront école. L’armée français met ainsi près de deux ans pour se remettre de son traumatisme indochinois (défaite de Bien Diên Phu dans un affrontement classique contre une armée révolutionnaire du tiers monde) et se rendre compte qu’en Algérie, elle avait à faire à une forme de guerre totalement nouvelle, la guérilla, nécessitant une stratégie appropriée.

    C’est alors que, pendant que le contingent quadrillait le territoire national, se déployaient des unités légères de parachutistes transportées par les « bananes », les fameux Sikorski birotor fournis par les USA dans le cadre de la coopération nord atlantique.

    La nouvelle stratégie des unités d’élite de l’armée française est d’«aller au contact» de l’ALN obligée alors d’accepter un véritable corps à corps avec les parachutistes, corps à corps auquel nous, population civile, assistions la mort dans l’âme, avant d’aller ramasser nos morts. Telle est la nouvelle réalité à laquelle était confrontée l’ALN de l’intérieur. La tactique était évidemment payante pour l’armée française, face à une armée de guérilla qui ne faisait pas le poids ni en effectifs ni en armes, ne disposant le plus souvent que de fusils de chasse et de quelques armes de guerre, notamment au niveau des wilayas enclavées comme la II, la III et la IV où l’armement parvenait difficilement quand certains seigneurs de guerre daignaient bien le laisser passer. L’édification d’un barrage électrifié (lignes Morice et Challe) aux frontières est et ouest du territoire algérien, et l’instauration des camps de regroupement et des zones interdites accentueront les difficultés des maquis intérieurs jusqu’à l’étouffement. Mais la lutte de libération nationale est déjà relayée, après le paroxysme de « la bataille d’Alger », par un puissant mouvement d’opinion en France métropolitaine et dans le monde.


    A suivre
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

    Commentaire


    • #3
      Suite et fin

      Ainsi, en 1957, la Révolution algérienne avait réussi à franchir l'étape décisive, celle de la politisation et de l'internationalisation, pour la libération et l'indépendance du pays. C'était, au demeurant, là, l'objectif principal du congrès de la Soummam mais aussi celui de la proclamation de novembre. Et non une illusoire victoire militaire algérienne sur le colonialisme et son armée qui était alors l'une des plus puissantes au monde. Ce dont les congressistes de la Soummam étaient parfaitement conscients. Qu'on prenne seulement la peine de relire ou de lire la plate-forme de la Soummam pour s'en convaincre.


      Abane Ramdane, Ben Bella et la question des armes

      Abordons maintenant la question des armes et le rôle de la délégation extérieure à laquelle Abane, selon M. Benachenhou (qui ne résiste pas lui aussi à la tentation de «joindre l'insulte aux coups »), aurait « fait porter le chapeau des pertes cruelles subies par l'ALN ». Voila encore un raccourci, une accusation dont on ne sait si elle relève de l'ignorance, de la mauvaise foi, de la malveillance ou des trois à la foi. Si l'auteur de l'opinion s'était réellement référé au Courrier Alger le Caire de Mabrouk Belhocine, il se serait aperçu qu'Abane avait posé le problème de l'approvisionnement en armes de l'ALN, dès l'automne 1955 et le posera toujours et encore quelques mois avant son assassinat en décembre 1957 face à Fathi Dib, reprochant aux autorités égyptiennes leur insuffisance alors que «ses collègues de l'extérieur » étaient détenus depuis près d'un an.

      Du reste, sur la question de l'approvisionnement en armes, Abane et tous les autres dirigeants de l'intérieur sont sur la même ligne. Le problème des armes les préoccupe tous au plus haut point. En présentant son rapport sur la zone 3 (Kabylie) aux assises de la Soummam, Krim Belkacem qui estimait que « l'état d'esprit des combattants et du peuple est très bon », signalait déjà que « tout le monde inlassablement nous reproche le manque d'armes ». Dès son arrivée à Alger au printemps 1956, de retour de la capitale égyptienne, Ben M'hidi s'adresse aux « frères du Caire », leur rappelle que « l'absence de marchandises nous gêne énormément » et leur demande de redoubler d'efforts « afin de nous mettre coûte que coûte au niveau de nos tâches les plus urgentes ». De son côté Ben Khedda, remplaçant Abane absent d'Alger pour cause de congrès de la Soummam, attire l'attention du « Caire » sur la situation qui prévaut en Algérie. « L'état français, écrit-il ne sera pas en mesure de faire face aux dépenses militaires d'ici six mois... d'où l'intérêt pour nous d'accentuer la pression de nos groupes armés sur les villes et les campagnes et de « pourrir » les zones calmes ». Il conclut : « seulement c'est une question de matériel et votre rôle devient alors primordial ». Automne 1956, c'est Ben Tobbal, comme Zighout avant lui, qui s'inquiète pour l'approvisionnement en armes. Le nouveau colonel de la wilaya II se rebiffe. Dans une lettre datée du 18 Novembre 1956 adressée à Mostefa Benaouda et à Brahim Mezhoudi qui se trouvaient alors à l'extérieur, il écrit : «... Faites vite. Vous savez dans quelle situation vous nous avez laissés. Dites aux frères de là-bas que les combattants ont en marre de leurs promesses... Dites leur aussi que tous les combattants sont mécontents et commencent à se désintéresser d'eux. Qu'ils fassent vite pour capter le peu de confiance qui reste ».

      Le problème de l'approvisionnement en armes des wilayas centrales revêt encore plus d'acuité. Même après la construction du barrage Morice-Challe, les colonels de wilaya demeurent plus que jamais intransigeants sur la question des armes. Ils se réunissent et accusent de carence le pouvoir alors incarné par la troïka des « 3 B » établie à l'extérieur. Evoquant la mission de la délégation extérieure, le commandant Azzedine écrira: « L'extérieur avait pour mission fondamentale de répondre aux besoins logistiques de l'intérieur et de mobiliser l'opinion publique internationale en faveur de l'Algérie. Si la seconde mission a été accomplie d'une façon parfaite, la première n'a pas été réalisée comme nous le souhaitions à l'intérieur_ Les fournitures d'armes restaient limitées.» Revenons à Abane Ramdane. Sur la question de l'approvisionnement en armes, on est tenté en effet de penser qu'il utilise cette question comme cheval de bataille afin de contenir les prétentions de Ben Bella à ce costume de leadership que les autorités égyptiennes s'acharnaient à lui tailler sur mesure. Une façon de le culpabiliser et de lui faire sentir qu'il n'est « même pas fichu » de s'acquitter de la tâche pour laquelle il avait été désigné. On peut croire que les accusations d'Abane à l'encontre de Ben Bella ne sont qu'un harcèlement tactique et que les dirigeants d'Alger exagèrent. Certes, Ben Bella se consacre entièrement à sa mission. Mais il est également certain qu'Abane est prioritairement préoccupé par l'approvisionnement des maquis en armes. C'est le problème numéro 1 qu'il met sur le tapis avec la le franc parler qu'on lui connaît, face à Fathi Dib au cours d'un tête-à-tête au Caire en août 1957. Le responsable des Moukhabarat pour le Maghreb en garde un souvenir précis qu'il rapporte dans son livre dédié à Gamal Abdel Nasser et la révolution algérienne : « Abane reproche au Caire de ne pas avoir fait suffisamment pour satisfaire les besoins algériens en armes et munitions. Face à ces accusations contre l'Egypte et Ben Bella, j'avais considéré que je devais réagir, quelles que soient les conséquences, compte tenu des méthodes d'intimidation d'Abane, afin que les choses soient claires dès le début vis-à-vis d'Abane et de ses partisans...».

      A la lumière de ce qui précède, le forcing d'Abane sur la question des armes, ses reproches récurrents à Ben Bella, ne sont pas seulement d'ordre tactique. Ils traduisent avant tout, le désarroi des dirigeants et des combattants de l'intérieur dont certains sont déjà en proie à une certaine forme de découragement. Par ailleurs les soupçons d'Abane à l'égard de Ben Bella ne sont pas totalement infondés. Car Ben Bella dont «les affaires» sont alors gérées par ses amis les plus sûrs postés aux points de contrôle névralgiques de l'acheminement et de la répartition des armes, sert en priorité les «clients» et alliés potentiels. Ceux-là mêmes qu'on « actionnera » contre les décisions prises à la Soummam en faisant mousser quelques archaïsmes tribaux derrière le paravent de la non représentativité du congrès, la délégation extérieure et la zone I n'ayant pas pris part à la rencontre de la Soummam pour des raisons qu'il est trop long de développer ici. Terminons par l'affabulation de M. Benachenhou dont le moins qu'on puisse dire est qu'il prend les lecteurs pour des imbéciles. La première affabulation déjà évoquée est cette prétendue « nouvelle stratégie » de « guerre classique » « imposée » (le mot est écrit au moins deux fois) par Abane à ses collègues, « doctrine incluse dans le document de la Soummam ». Cette affirmation inspire deux commentaires. Le premier est qu'elle est totalement fausse. Nous l'avons montré dans les développements précédents. Le lecteur pourra du reste se référer utilement aux textes de la Soummam où il ne trouvera pas la moindre trace de stratégie militaire. Quand à la structuration de l'ALN en une armée révolutionnaire organisée, hiérarchisée, elle ne préjugent en rien de sa stratégie, celle-ci étant laissée à l'appréciation du commandement politico-militaire collégial, en fonction des situations et des spécificités du terrain. Le deuxième commentaire est qu'on voit mal comment Abane, peu qualifié pour la chose militaire, pourrait imposer à des chefs comme Ben M'hidi, Krim, Zighout ou Ouamrane une quelconque vision de stratégie militaire. L'affirmer tout de go c'est exprimer une forme de mépris à l'égard de ces chefs dont on sait à quel point ils sont tous tatillons sur la question de la collégialité, et tout particulièrement à l'endroit de Ben M'hidi qui présida le congrès. Autre pure affabulation, la prétendue inspiration maoïste d'Abane, inspiration qui aurait échappé à Khalfa Mammeri son biographe (Abane Ramdane héros de la guerre d'Algérie, L'Harmattan, 1988) et dont nous serions les premiers à témoigner, non sans fierté, si elle avait le moindre soupçon de véracité. Il est à se demander si M. Benachenhou ne s'est pas laissé aller à un mensonge facile pour étaler sa culture et ses connaissances militaires. Mais cela n'est pas le ressort intime qui a porté l'écriture de son article. Il y a une autre motivation que l'on ne pourrait aborder sans tomber dans le procès d'intention. Restons dans le domaine des faits objectifs. Pour autant, on ne peut passer sous silence toutes ces affirmations sans nuances pour l'intellectuel qu'il est censé être, toutes ces expressions malveillantes dont regorge le texte de M. Benachenhou lequel cache mal son antipathie et son hostilité à l'égard de Abane Ramdane.

      Quel en est le but ? Est-ce seulement cette manière qu'ont les petits de grandir en insultant les grands ? Ou autre chose ? La question reste posée même si elle laisse entrevoir un début de réponse.

      Auteur de L'Algérie en guerre. Abane Ramdane et les fusils de la rébellion, L'Harmattan, 2008.
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