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Des syndicalistes au service des démunis pendant le ramadan en Algérie

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  • Des syndicalistes au service des démunis pendant le ramadan en Algérie

    A l’heure où le baril de pétrole dépasse la barre des cent dollars et où Djamel Ould-Abbès crie à «la diminution des restaurants de la rahma», des milliers de personnes ont faim. Elles se ruent sur de telles structures pour apaiser leur faim durant ce mois sacré.

    Wassila Zegtitouche - Alger (Le Soir) - Il est midi. Ça sent les détergents. Le parterre brille et renvoie le reflet d’une hygiène parfaite. «Nous veillons à la propreté des lieux au quotidien », nous assure M. Mechkour Mohamed, gérant du foyer. Nous sommes au Foyer des cheminots, où l’UGTA a rouvert les portes du restaurant de solidarité au profit des personnes démunies, défavorisées et de façon plus générale aux nécessiteux. Cette action, qui se perpétue depuis des années durant le mois du ramadan, offre entre 300 et 320 repas quotidiennement. «Les services d’hygiène sont passés inspecter le foyer au premier jour du ramadan. Ils ont fait le constat des lieux, et ont trouvé l’hygiène irréprochable», certifie-t-il.

    Au réfectoire, trois longues rangées de tables sont prêtes pour accueillir, à partir de 17 heures 30, les quelque 300 jeûneurs. En compagnie du responsable, qui nous a fait faire le tour du propriétaire, nous traversons ces longues rangées pour avoir accès à l’escalier menant à la cuisine. Celle-ci se trouve au sous-sol. Une ambiance bon enfant y règne. La chaleur y est insupportable. Le chef cuisinier, Ahmed, vérifie ses marmites. Au menu du jour : chorba, tadjine ezzitoun, l’ham lehlou et salade. Comme dessert, les jeûneurs auront droit à un fruit de saison. Le personnel est là depuis 9h du matin.Il n’est que 15h30, et déjà une douzaine d’hommes se regroupent devant le restaurant. En l’espace d’une heure, ce nombre aura vite quadruplé.

    Impatients, certains commencent à frapper à la porte. Mais, peine perdue. L’ouverture ne se fera qu’à l’heure fixée par le foyer, soit à17h30. Deux responsables «se pointent». Devant la porte, des tickets en main et se préparent à accueillir les premiers jeûneurs. «Chaque personne devra être munie d’un ticket pour pouvoir être servie», explique le gérant. A dix-sept heures trente, le Foyer des cheminots ouvre ses portes aux citoyens. Aussitôt, une bousculade se produit à l’entrée. Le ton monte entre ces hommes affamés. On en vient aux mains. Aâmmi Hocine tente de faire revenir le calme. «Doucement, ne vous bousculez pas. Il y a assez de nourriture pour tout le monde», lance aâmmi Hocine.

    Ce spectacle, qui vient de s’offrir à nous, renvoie l’image de la mal-vie et de la souffrance sociale que subit une large frange d’Algériens. Les deux hommes nous expliquent qu’il est quasiment impossible de reculer les horaires d’ouverture. «Si l’on retarde d’un quart d’heure, cela risque de créer plus d’accrochages. A ce moment-là, il nous serait difficile de maîtriser la situation. Quelques femmes se mêlent à la foule. Hocine et Mohamed les connaissent : ce sont des habituées. On les appelle par leurs prénoms.

    En parfaits gentlemen, les deux responsables crient à l’unisson : «Laisse passer les femmes d’abord.» Chose faite. Une fois leurs tickets récupérés, elles sont orientées vers une salle spécialement réservée aux femmes et aux familles. Celle-ci peut contenir une quinzaine de personnes. L’image très émouvante d’un sexagénaire, non voyant, rasant les murs du foyer pour trouver le chemin du réfectoire, nous laisse sans voix. Deux personnes handicapées, encombrées par leurs béquilles, se profilent pour réserver une place.

    Flouli Bouamarane, un jeune de Mascara, visiblement très affaibli, accepte gentiment de répondre à nos questions. S’appuyant difficilement sur ses béquilles, il nous explique : «Ayant subi deux interventions en l’espace de quatre ans (des prothèses des hanches) au CHU de Babb-El-Oued, les allers et retours entre Alger et Mascara se multiplient. Et durant le mois sacré, je viens ici pour manger un repas chaud.» Flouli est sans travail depuis des années.

    Contrairement à ce que les gens croient, les personnes qui se retrouvent contraintes de se rendre dans ce genre de restaurant ne se limitent pas aux personnes défavorisées. Des voyageurs, des employés ayant raté leur dernier bus ou leur dernier train, des patients venus d’autres wilayas pour des contrôles médicaux se retrouvent. «On a affaire à toutes les franges de la société. Il peut s’agir de retraités qui mangent mal chez eux. J’en connais une dizaine. On peut trouver des jeunes du quartier, de simples passagers ou des voyageurs», dira Hocine. «Nous avons le plus souvent à accueillir des malades hospitalisés au CHU Mustapha, qui le quittent le temps de rompre le jeûne et le regagnent juste après», ajoutera-t-il. Redouane, un jeune chômeur habitant à la place du 1er-Mai, un peu réticent au départ, nous confie : «Vous savez, la vie est tellement chère. Etant donné que je ne travaille pas, cela engendre souvent de petites disputes à la maison. C’est vrai que le fardeau est lourd à porter par le père de famille. Alors souvent, et afin d’éviter d’entendre des remarques blessantes à l’heure du f’tour, je préfère manger ici.»

    Pour Ayoub, âgé d’une vingtaine d’années, les raisons qui l’ont amené ici sont bien différentes. Venu d’Annaba spécialement pour s’engager dans les forces de l’ANP, il se retrouve pris au piège dans le cercle infernal de la bureaucratie. Débrouillard, il dénichera un «petit boulot» pour survivre, le temps que son dossier soit accepté. «C’est ici que je suis venu rompre le jeûne hier. C’est une bonne initiative de la part de l’UGTA, qui permet d’aider, un tant soit peu, des gens en difficulté.» Il suffira de quelques minutes pour que tout ce monde soit installé. Le service commencera dans la sérénité, à 18h30.

    Maillon faible de la société, la femme a aussi sa place dans ce restaurant. Au nombre de douze, des femmes s’installent en attendant d’être servies, «en dernier ». Femmes SDF, divorcées, filles mères, en difficultés financières ou atteintes d’une maladie, les histoires de ces femmes sans défense sont aussi bouleversantes les unes que les autres. La plus marquante est celle de A. L. Une femme d’une beauté rare. Grande, élancée et ayant du vocabulaire, elle est enseignante d’anglais. Son joli regard vert est très marquant, et en dit long. A première vue, en remarque facilement sa gêne. «C’est mon deuxième jour ici. Et c’est la première fois de ma vie que je mange dans un restaurant de solidarité.» Atteinte d’un cancer des ovaires, au lieu de trouver amour et affection des siens, elle se retrouve abandonnée par ses frères. «Demain je commence ma chimiothérapie», lance-t-elle. Nul besoin de deviner la suite. Ses yeux larmoyants résument toute sa détresse. Pendant ce temps, les derniers plateaux sont servis. Les policiers en service, les cheminots en astreinte ont été les premiers à être servis.

    A quelques minutes du f’tour, tous les regards sont rivés sur le poste TV de la grande salle. Le muezzin lance l’appel à la prière. Les jeûneurs s’échangent des «saha f’tourkoum», avant de rompre le jeûne. Aâmmi Hocine, aâmmi Ahmed, le personnel de cuisine sont les derniers à passer à table. Ils sacrifient au quotidien un repas en famille pour être au service des malheureux. Une demi-heure après la rupture du jeûne, le réfectoire se vide. Commence alors pour ces employés la corvée du nettoyage. Ils ne quitteront le Foyer des cheminots que vers 21 heures. Demain, et jusqu’à la fin du mois, le même programme se répétera.

    Le Soir d'Algérie
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