Propos recueillis par
Mehdi Sekkouri Alaoui
Interview exclusive.
Peter Van Walsum : “Pourquoi Manhasset n’a mené à rien”
L’ancien envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara Occidental revient sur les circonstances du non renouvellement de son mandat et les raisons de l’échec des négociations de Manhasset. Edifiant.
Votre mandat d’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara Occidental n’a pas été renouvelé. Pour certains, cela ressemble à un licenciement. Qu’en pensez-vous ?
J’ai été nommé à ce poste par le secrétaire général Kofi Annan, le 22 août 2005. Cette première nomination était pour six mois, et même si elle pouvait être renouvelée - ce qui fut le cas plusieurs fois - il était prévu qu’elle expire au terme de chaque période de six mois, sans préavis. Le charme de ce type de contrats, c’est qu’on peut y mettre fin sans déterminer s’il s’agit d’une démission ou d’un licenciement.
En déclarant en avril 2008 que l’indépendance du Sahara n’est pas “un objectif accessible”, êtiez-vous conscient que le Polisario mènerait campagne contre vous ?
À l’occasion de ma première communication orale au Conseil de sécurité, en janvier 2006, j’étais parvenu à la conclusion qu’en raison de deux facteurs précis, une indépendance du Sahara Occidental n’était pas d’actualité. La première étant la décision prise par le Maroc, en avril 2004, de ne pas accepter un référendum proposant l’indépendance comme option ; la seconde, la réticence du Conseil de sécurité à imposer une solution. Lors de mes visites à Tindouf et à Alger, en février 2008, j’ai expliqué à mes interlocuteurs que je continuais à m’en tenir à cette conclusion. Je n'ai vu aucune hostilité durant ces visites. Mais fin mars, le Polisario m’a demandé de ne pas inclure cela dans le compte-rendu du représentant personnel, qui fait normalement partie du rapport du secrétaire général au Conseil de sécurité. Au final, mon compte-rendu n’a pas été incorporé dans le rapport du secrétaire général, mais j’ai été autorisé à le faire circuler, de manière séparée, aux membres du Conseil, ce que j’ai fait le 21 avril. C’est ce qui a déclenché la campagne à laquelle vous faites référence. Donc je peux dire que j’avais été prévenu.
Si c’était à refaire, le referiez-vous ?
Je le referais sans aucune hésitation. Lors des quatre rounds de négociations à Manhasset, il m’était apparu de plus en plus clairement que les négociations ne mèneraient à rien, parce que les propositions du Maroc et du Polisario s’excluaient mutuellement : le Maroc rejetait un référendum avec l’indépendance comme option… alors que le Polisario demandait précisément cela. Quand j’avais appelé à des négociations entre les parties, en janvier 2006, mon point de départ était que le Maroc ne pourrait jamais être forcé à accepter un vrai référendum, et donc que le choix était soit une prolongation indéfinie de l’impasse ou des négociations directes entre les parties. J’avais ajouté que, puisque le Maroc était en possession de la majorité du territoire et que le Conseil de sécurité était réticent à lui mettre la pression, il était réaliste de prédire que l’issue de telles négociations resterait en deçà de l’indépendance du Sahara Occidental. Les négociations de Manhasset sont fondamentalement différentes. Elles sont plus équitables que le type de négociations que j’avais à l’esprit, mais pour cette raison aussi, elles sont totalement illusoires.
En tant que médiateur, n'étiez-vous pas tenu à une obligation de réserve ?
Je n’ai jamais pensé qu’un comportement diplomatique voulait dire éviter la franchise. La question n’est pas de savoir si on est discret ou franc par nature, mais plutôt quel style ou quel comportement on considère le plus adapté pour l’approche tactique qu’on a choisie. Si un dossier est dans l’impasse comme la question du Sahara Occidental, et que la seule issue semble être d’affronter la réalité, je pense qu’une dose importante d’ouverture est indispensable.
Votre départ ne risque-t-il pas de perturber le processus de négociations ?
C'est un risque que je devais prendre. Ce processus aurait été davantage perturbé si je m'étais senti obligé de continuer à faciliter des négociations que je jugeais désormais vaines. Je sais que le Conseil de sécurité, ainsi que les deux parties, veulent que ces négociations se poursuivent. Et avec un nouvel envoyé personnel, cela pourra certainement se faire. Mais tant que les deux parties resteront fondamentalement divisées sur la question d'un référendum avec l'indépendance comme option, ces discussions risquent de ne servir qu'à entretenir un statu quo sans fin.
Quel bilan faites-vous de vos trois années passées à ce poste ?
Dès le départ, mon objectif était d'encourager les deux parties à regarder la réalité en face. Pour le Polisario, c'était le fait que le Maroc n'acceptera jamais un vrai référendum et que le Conseil de sécurité de l'ONU ne le forcera pas à changer de position. Je n'y suis pas arrivé, parce que, pour le Polisario, cette réalité était inconcevable. En réaction, ce dernier a décidé de se débarrasser de moi, comme de mes idées, et de se réfugier dans sa conviction que, tôt ou tard, la légalité internationale finira par l'emporter.
Il est regrettable qu'à cause de cela, tous les projecteurs se soient focalisés sur le Polisario, alors que le Maroc avait également fait preuve d'un manque de réalisme. Il n'est pas réaliste d'espérer qu'un jour le Polisario acceptera la vision marocaine, qui veut que le Sahara Occidental, à l'exception du bref intermède de la présence espagnole, ait toujours fait partie du territoire marocain.
Parce que dans ce cas, le Polisario devra désavouer sa propre histoire depuis 1975. Le maximum que nous puissions espérer est qu'un jour, il sera prêt à négocier un arrangement constitutionnel, qui laissera le passé dans le passé et tout reprendre à partir des douloureuses réalités d'aujourd'hui. Si le Maroc veut avancer d'un pas aujourd'hui, il devrait cesser de glorifier la Marche Verte, tout comme le Polisario devrait arrêter d'insister pour que le Conseil de sécurité suive l'avis consultatif rendu par la Cour de justice internationale. L'année 1975 devrait tout simplement être oubliée tant qu'un accord n'a pas été atteint.
Mehdi Sekkouri Alaoui
Interview exclusive.
Peter Van Walsum : “Pourquoi Manhasset n’a mené à rien”
L’ancien envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara Occidental revient sur les circonstances du non renouvellement de son mandat et les raisons de l’échec des négociations de Manhasset. Edifiant.
Votre mandat d’envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara Occidental n’a pas été renouvelé. Pour certains, cela ressemble à un licenciement. Qu’en pensez-vous ?
J’ai été nommé à ce poste par le secrétaire général Kofi Annan, le 22 août 2005. Cette première nomination était pour six mois, et même si elle pouvait être renouvelée - ce qui fut le cas plusieurs fois - il était prévu qu’elle expire au terme de chaque période de six mois, sans préavis. Le charme de ce type de contrats, c’est qu’on peut y mettre fin sans déterminer s’il s’agit d’une démission ou d’un licenciement.
En déclarant en avril 2008 que l’indépendance du Sahara n’est pas “un objectif accessible”, êtiez-vous conscient que le Polisario mènerait campagne contre vous ?
À l’occasion de ma première communication orale au Conseil de sécurité, en janvier 2006, j’étais parvenu à la conclusion qu’en raison de deux facteurs précis, une indépendance du Sahara Occidental n’était pas d’actualité. La première étant la décision prise par le Maroc, en avril 2004, de ne pas accepter un référendum proposant l’indépendance comme option ; la seconde, la réticence du Conseil de sécurité à imposer une solution. Lors de mes visites à Tindouf et à Alger, en février 2008, j’ai expliqué à mes interlocuteurs que je continuais à m’en tenir à cette conclusion. Je n'ai vu aucune hostilité durant ces visites. Mais fin mars, le Polisario m’a demandé de ne pas inclure cela dans le compte-rendu du représentant personnel, qui fait normalement partie du rapport du secrétaire général au Conseil de sécurité. Au final, mon compte-rendu n’a pas été incorporé dans le rapport du secrétaire général, mais j’ai été autorisé à le faire circuler, de manière séparée, aux membres du Conseil, ce que j’ai fait le 21 avril. C’est ce qui a déclenché la campagne à laquelle vous faites référence. Donc je peux dire que j’avais été prévenu.
Si c’était à refaire, le referiez-vous ?
Je le referais sans aucune hésitation. Lors des quatre rounds de négociations à Manhasset, il m’était apparu de plus en plus clairement que les négociations ne mèneraient à rien, parce que les propositions du Maroc et du Polisario s’excluaient mutuellement : le Maroc rejetait un référendum avec l’indépendance comme option… alors que le Polisario demandait précisément cela. Quand j’avais appelé à des négociations entre les parties, en janvier 2006, mon point de départ était que le Maroc ne pourrait jamais être forcé à accepter un vrai référendum, et donc que le choix était soit une prolongation indéfinie de l’impasse ou des négociations directes entre les parties. J’avais ajouté que, puisque le Maroc était en possession de la majorité du territoire et que le Conseil de sécurité était réticent à lui mettre la pression, il était réaliste de prédire que l’issue de telles négociations resterait en deçà de l’indépendance du Sahara Occidental. Les négociations de Manhasset sont fondamentalement différentes. Elles sont plus équitables que le type de négociations que j’avais à l’esprit, mais pour cette raison aussi, elles sont totalement illusoires.
En tant que médiateur, n'étiez-vous pas tenu à une obligation de réserve ?
Je n’ai jamais pensé qu’un comportement diplomatique voulait dire éviter la franchise. La question n’est pas de savoir si on est discret ou franc par nature, mais plutôt quel style ou quel comportement on considère le plus adapté pour l’approche tactique qu’on a choisie. Si un dossier est dans l’impasse comme la question du Sahara Occidental, et que la seule issue semble être d’affronter la réalité, je pense qu’une dose importante d’ouverture est indispensable.
Votre départ ne risque-t-il pas de perturber le processus de négociations ?
C'est un risque que je devais prendre. Ce processus aurait été davantage perturbé si je m'étais senti obligé de continuer à faciliter des négociations que je jugeais désormais vaines. Je sais que le Conseil de sécurité, ainsi que les deux parties, veulent que ces négociations se poursuivent. Et avec un nouvel envoyé personnel, cela pourra certainement se faire. Mais tant que les deux parties resteront fondamentalement divisées sur la question d'un référendum avec l'indépendance comme option, ces discussions risquent de ne servir qu'à entretenir un statu quo sans fin.
Quel bilan faites-vous de vos trois années passées à ce poste ?
Dès le départ, mon objectif était d'encourager les deux parties à regarder la réalité en face. Pour le Polisario, c'était le fait que le Maroc n'acceptera jamais un vrai référendum et que le Conseil de sécurité de l'ONU ne le forcera pas à changer de position. Je n'y suis pas arrivé, parce que, pour le Polisario, cette réalité était inconcevable. En réaction, ce dernier a décidé de se débarrasser de moi, comme de mes idées, et de se réfugier dans sa conviction que, tôt ou tard, la légalité internationale finira par l'emporter.
Il est regrettable qu'à cause de cela, tous les projecteurs se soient focalisés sur le Polisario, alors que le Maroc avait également fait preuve d'un manque de réalisme. Il n'est pas réaliste d'espérer qu'un jour le Polisario acceptera la vision marocaine, qui veut que le Sahara Occidental, à l'exception du bref intermède de la présence espagnole, ait toujours fait partie du territoire marocain.
Parce que dans ce cas, le Polisario devra désavouer sa propre histoire depuis 1975. Le maximum que nous puissions espérer est qu'un jour, il sera prêt à négocier un arrangement constitutionnel, qui laissera le passé dans le passé et tout reprendre à partir des douloureuses réalités d'aujourd'hui. Si le Maroc veut avancer d'un pas aujourd'hui, il devrait cesser de glorifier la Marche Verte, tout comme le Polisario devrait arrêter d'insister pour que le Conseil de sécurité suive l'avis consultatif rendu par la Cour de justice internationale. L'année 1975 devrait tout simplement être oubliée tant qu'un accord n'a pas été atteint.
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