Il va falloir vous y faire : on en parlera souvent, du parti politique de Fouad Ali El Himma. Non que l’entreprise soit forcément enthousiasmante, ni même convaincante. Mais bon, pas de doute, elle est significative. La monarchie “exécutive” s’invite sur le terrain politique, il sera toujours intéressant de décrypter ses messages. Commençons déjà par nous intéresser au nom du nouveau parti : “Authenticité et Modernité”. Tout un programme ! D’après El Himma, il s’agit de “préserver l’islam marocain traditionnel et authentique, qui a toujours été ouvert, tolérant et porteur de diversité”. Et parallèlement,
d’y “puiser les ingrédients nécessaires pour aller vers la modernité” (lire son interview). Ce beau discours, bien entendu, sert un objectif politique : constituer un pôle partisan opposé aux islamistes. En passant, c’est une très bonne intention, dont le Maroc a bien besoin. Sauf qu’au lieu de leur opposer des valeurs résolument modernistes, l’ami du roi nous sert le concept de “modernité dans l’authenticité” (ou l’inverse). Et il appelle ça une idée nouvelle !
Navré, mais c’est une supercherie. El Himma se contente de faire du neuf avec du vieux, car rien n’est moins nouveau que ce diptyque. Il avait été théorisé, il y a bien longtemps, par Hassan II. Le défunt roi y voyait l’essence même du “génie marocain”, gage tout à la fois de stabilité et de progrès “dans l’harmonie”. Et ça, c’est la mère de toutes les supercheries. La tradition et la modernité n’ont jamais coexisté pacifiquement, au Maroc. Elles ont, bien au contraire, toujours été en opposition, voire en conflit ouvert. Parfois dans des cercles sociaux différents (élite moderne contre classe populaire traditionnelle), et souvent… dans l’esprit des mêmes individus ! “Communistes royalistes”, “corrompus pieux”, jeunes femmes voilées le jour et débauchées la nuit (ou l’inverse)… Les Marocains n’en sont plus à une aberration conceptuelle près.
Les mœurs, évidemment, sont le terrain d’expression privilégié de ce tiraillement. La tradition veut qu’une fille reste auprès de ses parents, et vierge jusqu’au mariage ; la modernité suppose qu’elle assume sa liberté, notamment sexuelle. Comment concilier les deux ? Par l’hypocrisie et le mensonge, c’est la seule solution. La réfection de l’hymen est un sport national au Maroc ; personnellement, je n’y vois l’expression d’aucun “génie”. Certains phénomènes sociaux nous apparaissent banals aujourd’hui, pourtant, quand on y réfléchit, ils démontrent un trouble profond. Les bars sont ouverts aux “musulmans”, mais à condition que leurs vitres soient opaques – sensément pour “éviter de choquer” les passants. Est-ce pour autant que les passants ignorent ce qui se passe derrière les vitres ? Evidemment non. Surtout que la plupart du temps, des enseignes de marques d’alcool sont bien visibles sur la façade des bars, qui ne font aucun effort pour cacher leur raison sociale… et qui ferment pendant le ramadan, comme si les “musulmans” étaient autorisés à boire de l’alcool le reste du temps !
Ce serait donc ça, “l’harmonie” ? Faire semblant de ne rien voir, de ne rien comprendre ? Vivre dans le déni, l’aveuglement ? L’ouverture et la tolérance, c’est que chacun accepte l’autre sans le juger, et que personne n’ait à se cacher, ni à (se) mentir. Voilà la vraie modernité. Les islamistes, en face, sont plus cohérents : eux refusent la modernité, et jugent sans scrupules ceux qui enfreignent la tradition. Pour s’opposer à eux efficacement, il faut prendre leur contre-pied résolument. Non pas rejeter la tradition par principe, mais ne pas avoir peur de la déclarer caduque ou dépassée, à chaque fois qu’elle entre en conflit avec la modernité.
Nous sommes à un carrefour, il va falloir choisir un chemin. Les islamistes ont choisi le leur, et c’est la clarté de leur choix qui fait leur force. Comme le démontre la caricature ci-dessus (signée Yoz) avec un humour féroce et juste, ne pas choisir, c’est aller droit dans le mur. Que Si Fouad et ses amis méditent cette évidence…
Ahmed Reda Benchem, Editorial, TelQuel.
d’y “puiser les ingrédients nécessaires pour aller vers la modernité” (lire son interview). Ce beau discours, bien entendu, sert un objectif politique : constituer un pôle partisan opposé aux islamistes. En passant, c’est une très bonne intention, dont le Maroc a bien besoin. Sauf qu’au lieu de leur opposer des valeurs résolument modernistes, l’ami du roi nous sert le concept de “modernité dans l’authenticité” (ou l’inverse). Et il appelle ça une idée nouvelle !
Navré, mais c’est une supercherie. El Himma se contente de faire du neuf avec du vieux, car rien n’est moins nouveau que ce diptyque. Il avait été théorisé, il y a bien longtemps, par Hassan II. Le défunt roi y voyait l’essence même du “génie marocain”, gage tout à la fois de stabilité et de progrès “dans l’harmonie”. Et ça, c’est la mère de toutes les supercheries. La tradition et la modernité n’ont jamais coexisté pacifiquement, au Maroc. Elles ont, bien au contraire, toujours été en opposition, voire en conflit ouvert. Parfois dans des cercles sociaux différents (élite moderne contre classe populaire traditionnelle), et souvent… dans l’esprit des mêmes individus ! “Communistes royalistes”, “corrompus pieux”, jeunes femmes voilées le jour et débauchées la nuit (ou l’inverse)… Les Marocains n’en sont plus à une aberration conceptuelle près.
Les mœurs, évidemment, sont le terrain d’expression privilégié de ce tiraillement. La tradition veut qu’une fille reste auprès de ses parents, et vierge jusqu’au mariage ; la modernité suppose qu’elle assume sa liberté, notamment sexuelle. Comment concilier les deux ? Par l’hypocrisie et le mensonge, c’est la seule solution. La réfection de l’hymen est un sport national au Maroc ; personnellement, je n’y vois l’expression d’aucun “génie”. Certains phénomènes sociaux nous apparaissent banals aujourd’hui, pourtant, quand on y réfléchit, ils démontrent un trouble profond. Les bars sont ouverts aux “musulmans”, mais à condition que leurs vitres soient opaques – sensément pour “éviter de choquer” les passants. Est-ce pour autant que les passants ignorent ce qui se passe derrière les vitres ? Evidemment non. Surtout que la plupart du temps, des enseignes de marques d’alcool sont bien visibles sur la façade des bars, qui ne font aucun effort pour cacher leur raison sociale… et qui ferment pendant le ramadan, comme si les “musulmans” étaient autorisés à boire de l’alcool le reste du temps !
Ce serait donc ça, “l’harmonie” ? Faire semblant de ne rien voir, de ne rien comprendre ? Vivre dans le déni, l’aveuglement ? L’ouverture et la tolérance, c’est que chacun accepte l’autre sans le juger, et que personne n’ait à se cacher, ni à (se) mentir. Voilà la vraie modernité. Les islamistes, en face, sont plus cohérents : eux refusent la modernité, et jugent sans scrupules ceux qui enfreignent la tradition. Pour s’opposer à eux efficacement, il faut prendre leur contre-pied résolument. Non pas rejeter la tradition par principe, mais ne pas avoir peur de la déclarer caduque ou dépassée, à chaque fois qu’elle entre en conflit avec la modernité.
Nous sommes à un carrefour, il va falloir choisir un chemin. Les islamistes ont choisi le leur, et c’est la clarté de leur choix qui fait leur force. Comme le démontre la caricature ci-dessus (signée Yoz) avec un humour féroce et juste, ne pas choisir, c’est aller droit dans le mur. Que Si Fouad et ses amis méditent cette évidence…
Ahmed Reda Benchem, Editorial, TelQuel.
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