8 septembre 2008 — Depuis le sommet de Bruxelles, la crise a changé de forme. On a noté (Bloc Notes, le 5 septembre) l’activisme soudain des pays-membres de l’UE qui ont soutenu le plus fermement la tendance majoritaire affirmée par ce sommet de la recherche d’une entente avec la Russie. L’Italie et l’Autriche, la Belgique, même la Pologne ont été mentionnés, et bien entendu la France qui est à la tête de l’UE pour la période. Cet activisme est une marque certaine de l’engagement des diverses diplomaties concernées pour la recherche d’une entente avec la Russie. Les signes sont suffisamment nombreux pour qu’on puisse parler d’un “courant significatif”.
Il ne faut pas y voir le seul produit de la crise géorgienne. Potentiellement, cette tendance d’un arrangement avec la Russie existait avant la crise, sous forme d’une dynamique potentielle qui était contrainte et bridée par les conditions générales, notamment la dialectique radicale imposée par l’élargissement et la façon dont cet élargissement était de plus en plus lié à la politique américaniste maximaliste, au travers de l’OTAN. Si l’on veut, lorsqu’il s’est concrétisé au sein de l’UE, en 2004, l’élargissement de l’UE était plus de nature otanienne et américaniste qu’influencé par la tendance européenne qu’aurait représentée l’UE. Cette situation a été vigoureusement secouée par la crise géorgienne. La position de la Pologne (maximalisme anti-russe puis recherche d’une entente depuis le sommet) montre que la récente surenchère maximaliste de la tendance a ses limites et peut procurer des effets contraires d’autant plus significatifs.
En d’autres mots, la crise a fait éclater le cadre de la dialectique radicale imposée par l’américanisme otanien, tout en rappelant que le problème des relations de l’UE (l’Europe) avec la Russie précède la crise. (Le blocage du nouvel accord de partenariat stratégique précède largement la crise. Il est en lui-même le signe du problème général des relations UE-Russie que les pressions américanistes relayées par l’élargissement empêchent de traiter. Les négociations sur cet accord sont “gelées”, mais la mesure ne fait que mettre plus en évidence son caractère central. Le vœu austro-italien qu’on relance les négociations sur le sujet montre que certains sont prêts à rétablir ces négociations, mais cette fois pour en faire un cadre puissant des relations UE-Russie.) De ce point de vue, qui est à notre sens le plus central, la crise se définit encore plus par la mise en évidence de la nécessité de définir formellement et puissamment les relations UE-Russie que par l’affirmation de puissance de la Russie, même si ceci existe comme cela, et parce que ceci pourrait avoir été nécessaire pour arriver à cela. La crise en vient indirectement à poser la fameuse question, la plus fondamentale, la plus “philosophique” à long terme: la Russie fait-elle partie de l’Europe? La dynamique mise en marche après le sommet de Bruxelles, celle de la tendance à l’arrangement, fournit une réponse: oui, bien sûr, pour de multiples raisons bien connues qui, cette fois, sont réunies en une appréciation fondamentale et générale, – “oui, la Russie fait partie de l’Europe”. (On pourrait même ajouter que cette tendance répond: “oui, la Russie fait partie de l’Europe, et le plus vite la chose sera actée dans le contexte actuel, le mieux ce sera”.)
On comprend d’autant plus ce “oui” que l’alternative, et là c’est un élément nouveau que la crise a montré, est dans l’état de tension présent un affrontement dont le développement a toutes les chances (sic) d’être militaire; et les Européens savent qu’à cet égard, ils sont désarmés au sens propre du terme (outre le fait, pour repousser ce terme de l'alternative, que leur philosophie au sein de l’UE est celle de la recherche d’une structure paneuropéenne pacifiée). Ce dernier point est complètement antagoniste du fait que “leur philosophie” (celle de ces mêmes pays européens) au sein de l’OTAN telle qu’elle est aujourd’hui est devenue antagoniste de la Russie et menant à l’affrontement avec la Russie; c’est l’incroyable contradiction mise en évidence par les liens de vassalité de l’Europe vis-à-vis des USA, cohabitant étrangement avec son désir d’affirmation d’indépendance substantiel au projet européen. Cette contradiction est rendue insupportable par la crise géorgienne.
(Il est simplement surréaliste dans le sens de la schizophrénie d’entendre le ministre français Kouchner dire, au nom des 27 de l’UE, le 6 septembre à Avignon, que le déploiement de “navires de l’OTAN” en Mer Noire, – par ailleurs fort étrange concept car qui a jamais dit que l’OTAN possède en propre une marine? – complique le règlement de la crise géorgienne: «Cela ne sert à rien, il faut détendre la situation.» Qu’on sache, la France fait partie de l’OTAN, ainsi que grand nombre de ces 27-là au nom desquels parle le ministre, et les décisions se prennent à l’OTAN à l’unanimité. Mais l’on comprend bien de quoi il s’agit, et jamais l’absurde contradiction de faire partie des deux mondes, – l’Europe et sa vocation d’indépendance et l’Europe vassale des USA, – n’aura autant éclaté.)
Forcée par les événements et l’effrayante alternative du conflit, l’Europe est désormais à la recherche d’un cadre nouveau de sécurité et d’apaisement qui doit nécessairement comprendre la Russie. Cette recherche indique bien que la situation d’apaisement où elle a vécu depuis 1987 (signature du traité [INF] sur les forces nucléaires de théâtre USA-URSS en décembre 1987), quel que soit le bienfait de cet apaisement, était un faux-semblant. Les raisons sont que, d’une part, l’un des signataires est le promoteur aujourd’hui, comme il l’a été plus discrètement auparavant, d’une politique de déstabilisation de l’Europe, ce qui est une contradiction insupportable, en plus qu’il n’est pas européen et parce qu’il n’est pas européen; d’autre part, que l’autre signataire a disparu, remplacé par la Russie qui n’est pas l’URSS mais qui pourrait s’avérer, elle, européenne.
Les pays européens lancés dans des contacts avec la Russie, Sarkozy à Moscou aujourd’hui sont-ils conscients de tout cela? Ce n’est pas sûr. L’inconvénient de l’absence d’une telle vision pourrait paraître un handicap terrible. Dans les conditions rocambolesques de la politique aujourd’hui, où l’on craint la moindre chose qui puisse mettre en question le “lien” Europe-USA, c’est moins sûr, comme on l’a déjà dit souvent. Il est préférable que ces gens ne sachent pas ce qu’ils font, mais qu’ils le fassent; il est préférable que l’apprenti-relaps ignore le sacrilège qu’il côtoie désormais, car combien de nos entreprenants dirigeants résisteraient à la panique de la perspective de ce sacrilège de mettre en cause leur politique de vassalité à l’américanisme. Mais il faut constater qu’ils agissent tout de même, même si petitement. Ils ne font alors que servir un grand courant de l’Histoire dont ils ignorent la force; s’ils la connaissaient, leur conformisme ou leur absence de pensée visionnaire les conduirait à s’en effrayer. Il vaut mieux qu’ils soient les jouets de l’Histoire que des esprits conscients de l’Histoire.
Bien entendu, cette approche est théorique, en tentant d’embrasser la plus grande signification de la crise. Reste l’essentiel, qui est la marche des choses. La visite de Sarko à Moscou donnera-t-elle des fruits dans ce sens (normalisation avec les Russes, nouvelles décisions comme une éventuelle force européenne d’interposition en Géorgie, – policière et non militaire, – etc.)? Les Russes joueront-ils le jeu? (Leurs réactions depuis le sommet de Bruxelles ont été encourageantes.) Nous sommes encore loin de la coupe aux lèvres.
Il ne faut pas y voir le seul produit de la crise géorgienne. Potentiellement, cette tendance d’un arrangement avec la Russie existait avant la crise, sous forme d’une dynamique potentielle qui était contrainte et bridée par les conditions générales, notamment la dialectique radicale imposée par l’élargissement et la façon dont cet élargissement était de plus en plus lié à la politique américaniste maximaliste, au travers de l’OTAN. Si l’on veut, lorsqu’il s’est concrétisé au sein de l’UE, en 2004, l’élargissement de l’UE était plus de nature otanienne et américaniste qu’influencé par la tendance européenne qu’aurait représentée l’UE. Cette situation a été vigoureusement secouée par la crise géorgienne. La position de la Pologne (maximalisme anti-russe puis recherche d’une entente depuis le sommet) montre que la récente surenchère maximaliste de la tendance a ses limites et peut procurer des effets contraires d’autant plus significatifs.
En d’autres mots, la crise a fait éclater le cadre de la dialectique radicale imposée par l’américanisme otanien, tout en rappelant que le problème des relations de l’UE (l’Europe) avec la Russie précède la crise. (Le blocage du nouvel accord de partenariat stratégique précède largement la crise. Il est en lui-même le signe du problème général des relations UE-Russie que les pressions américanistes relayées par l’élargissement empêchent de traiter. Les négociations sur cet accord sont “gelées”, mais la mesure ne fait que mettre plus en évidence son caractère central. Le vœu austro-italien qu’on relance les négociations sur le sujet montre que certains sont prêts à rétablir ces négociations, mais cette fois pour en faire un cadre puissant des relations UE-Russie.) De ce point de vue, qui est à notre sens le plus central, la crise se définit encore plus par la mise en évidence de la nécessité de définir formellement et puissamment les relations UE-Russie que par l’affirmation de puissance de la Russie, même si ceci existe comme cela, et parce que ceci pourrait avoir été nécessaire pour arriver à cela. La crise en vient indirectement à poser la fameuse question, la plus fondamentale, la plus “philosophique” à long terme: la Russie fait-elle partie de l’Europe? La dynamique mise en marche après le sommet de Bruxelles, celle de la tendance à l’arrangement, fournit une réponse: oui, bien sûr, pour de multiples raisons bien connues qui, cette fois, sont réunies en une appréciation fondamentale et générale, – “oui, la Russie fait partie de l’Europe”. (On pourrait même ajouter que cette tendance répond: “oui, la Russie fait partie de l’Europe, et le plus vite la chose sera actée dans le contexte actuel, le mieux ce sera”.)
On comprend d’autant plus ce “oui” que l’alternative, et là c’est un élément nouveau que la crise a montré, est dans l’état de tension présent un affrontement dont le développement a toutes les chances (sic) d’être militaire; et les Européens savent qu’à cet égard, ils sont désarmés au sens propre du terme (outre le fait, pour repousser ce terme de l'alternative, que leur philosophie au sein de l’UE est celle de la recherche d’une structure paneuropéenne pacifiée). Ce dernier point est complètement antagoniste du fait que “leur philosophie” (celle de ces mêmes pays européens) au sein de l’OTAN telle qu’elle est aujourd’hui est devenue antagoniste de la Russie et menant à l’affrontement avec la Russie; c’est l’incroyable contradiction mise en évidence par les liens de vassalité de l’Europe vis-à-vis des USA, cohabitant étrangement avec son désir d’affirmation d’indépendance substantiel au projet européen. Cette contradiction est rendue insupportable par la crise géorgienne.
(Il est simplement surréaliste dans le sens de la schizophrénie d’entendre le ministre français Kouchner dire, au nom des 27 de l’UE, le 6 septembre à Avignon, que le déploiement de “navires de l’OTAN” en Mer Noire, – par ailleurs fort étrange concept car qui a jamais dit que l’OTAN possède en propre une marine? – complique le règlement de la crise géorgienne: «Cela ne sert à rien, il faut détendre la situation.» Qu’on sache, la France fait partie de l’OTAN, ainsi que grand nombre de ces 27-là au nom desquels parle le ministre, et les décisions se prennent à l’OTAN à l’unanimité. Mais l’on comprend bien de quoi il s’agit, et jamais l’absurde contradiction de faire partie des deux mondes, – l’Europe et sa vocation d’indépendance et l’Europe vassale des USA, – n’aura autant éclaté.)
Forcée par les événements et l’effrayante alternative du conflit, l’Europe est désormais à la recherche d’un cadre nouveau de sécurité et d’apaisement qui doit nécessairement comprendre la Russie. Cette recherche indique bien que la situation d’apaisement où elle a vécu depuis 1987 (signature du traité [INF] sur les forces nucléaires de théâtre USA-URSS en décembre 1987), quel que soit le bienfait de cet apaisement, était un faux-semblant. Les raisons sont que, d’une part, l’un des signataires est le promoteur aujourd’hui, comme il l’a été plus discrètement auparavant, d’une politique de déstabilisation de l’Europe, ce qui est une contradiction insupportable, en plus qu’il n’est pas européen et parce qu’il n’est pas européen; d’autre part, que l’autre signataire a disparu, remplacé par la Russie qui n’est pas l’URSS mais qui pourrait s’avérer, elle, européenne.
Les pays européens lancés dans des contacts avec la Russie, Sarkozy à Moscou aujourd’hui sont-ils conscients de tout cela? Ce n’est pas sûr. L’inconvénient de l’absence d’une telle vision pourrait paraître un handicap terrible. Dans les conditions rocambolesques de la politique aujourd’hui, où l’on craint la moindre chose qui puisse mettre en question le “lien” Europe-USA, c’est moins sûr, comme on l’a déjà dit souvent. Il est préférable que ces gens ne sachent pas ce qu’ils font, mais qu’ils le fassent; il est préférable que l’apprenti-relaps ignore le sacrilège qu’il côtoie désormais, car combien de nos entreprenants dirigeants résisteraient à la panique de la perspective de ce sacrilège de mettre en cause leur politique de vassalité à l’américanisme. Mais il faut constater qu’ils agissent tout de même, même si petitement. Ils ne font alors que servir un grand courant de l’Histoire dont ils ignorent la force; s’ils la connaissaient, leur conformisme ou leur absence de pensée visionnaire les conduirait à s’en effrayer. Il vaut mieux qu’ils soient les jouets de l’Histoire que des esprits conscients de l’Histoire.
Bien entendu, cette approche est théorique, en tentant d’embrasser la plus grande signification de la crise. Reste l’essentiel, qui est la marche des choses. La visite de Sarko à Moscou donnera-t-elle des fruits dans ce sens (normalisation avec les Russes, nouvelles décisions comme une éventuelle force européenne d’interposition en Géorgie, – policière et non militaire, – etc.)? Les Russes joueront-ils le jeu? (Leurs réactions depuis le sommet de Bruxelles ont été encourageantes.) Nous sommes encore loin de la coupe aux lèvres.
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