Il ne faut jamais quitter des yeux Richard Attias, le nouvel époux de Cécilia. «Où avez-vous choisi de vivre?» lui demandait récemment un journaliste. Réponse ahurissante: «Entre New York, Paris et Dubai.» New York, Paris, on comprend, mais Dubai, késako? Ce microscopique émirat de sable quelque part entre l'Irak et l'Iran? Et pourquoi pas Trifouillis-les-Oies, tant qu'on y est? «C'est une région en état d'explosion permanente, c'est là que s'écrit le futur», ajoute l'heureux élu. Rien que par curiosité, il fallait aller y voir de plus près. A peine arrivé, dans le lobby de l'hôtel, on croise une vieille connaissance, «PHD» d'Harvard, un habitué de tous les coups tordus. «Tu sais quoi? J'ai acheté hier matin un appartement, je viens de le vendre en doublant ma mise.» Au bar, devant une bière thaïlandaise, il raconte. «Aujourd'hui, c'est ici que tout se passe. L'Europe, l'Amérique, la Chine, c'est fini, c'est le monde d'hier. Bush, Sarkozy, des dinosaures. Mon premier milliard, c'est ici que je le ferai et que je le fêterai, nulle part ailleurs. Un seul homme, un seul, voit la direction du futur, c'est Cheikhmo.» Cheikhmo? Qui c'est ça? «Ah, tu viens de débarquer. On l'appelle comme ça, nous, les nomades.» Nomades? «Je dis nomades, ça veut dire expats. Ce pays est presque tout entier peuplé d'expatriés. Si tu veux vraiment vivre ta vie, ce n'est pas en restant vissé dans ton pays. Ta patrie, c'est l'Airbus, c'est le Boeing, c'est la seule patrie qui vaille aujourd'hui.» J'ai laissé mon copain à ses délires pour faire un tour en ville.
Vous savez à quoi ressemble Dubai? A rien. Il y a trente ans, j'y étais passé, quelques bâtisses croulantes séchaient au milieu du désert. Une compagnie, Allah sait laquelle, venait d'y creuser un trou, quelques gouttes de pétrole avaient filtré, de quoi enrichir un émir, rien de plus. Bientôt, la maigre réserve s'épuiserait, les frêles constructions retourneraient au sable et la petite tribu des Maktoum au trafic et au nomadisme. Car ici, pas d'eau, pas d'eau, pas un verre d'eau et 43 °C à l'ombre quand il fait frais. Toute la planète est habitable, même le pôle Sud, un seul point est absolument prohibé à la vie humaine, Dubai. Sauf que, ces dernières décennies, la population y a été multipliée par 250, on est passé de 6 000 à 1,5 million, et on y a édifié la plus improbable chose sortie de l'esprit humain.
Ils ont commencé par l'aéroport. Chicago, LAX à Los Angeles, Roissy paraissent à côté de vieux garages, et ce n'est pas fini. Cette encore petite ville sera bientôt dotée des plus formidables airports jamais conçus. Pour qui? On vous le dira plus tard. On spécule sur la transformation de Dubai en centre de tous les réseaux, de la réseautique, de la connectique. Tous ceux qui bougent, tout ce qui bouge sera obligé de passer par ici, de passer par l'argent, car, autant le dire tout de suite, il ne s'agit que d'argent.
Après, on a agrandi le port pour en faire simplement le plus grand du monde et on a établi entre le port et l'aéroport, entre l'air et la mer, une connexion plus rapide que partout ailleurs. Quatre heures pour transférer vos marchandises des bateaux aux avions. Dans les autres pays, l'opération peut exiger deux jours, deux mois, on engloutit des fortunes en temps perdu. Si vous n'avez pas envie d'y laisser votre chemise, vos marchandises seront obligées de faire n'importe quel détour pour passer par Dubai. Après le port, les télécoms: le dernier cri. Enfin, les autoroutes à 16 voies qui renvoient l'A6 à l'âge de la pierre. Une fois le noeud de communications bien en place, Cheikhmo (c'est qui, ce gus?) s'est dit: et si j'y construisais une ville? Mais quelle ville? Il a consulté les architectes en mal de clients, les dingues, les allumés, ceux qui se font virer fissa rien qu'à la vue de leurs esquisses. Il y en a un qui a sorti: il ne faut pas construire sur la terre, il faut construire sur la mer. «Génial», s'est écrié Cheikhmo (qui c'est, ce pékin?). Un autre a proposé: les appartements doivent être plongés dans le Golfe, sous l'eau, pour avoir la vue sur les coraux et les poissons. «Tu es mon homme», s'emballe Cheikhmo à cette offre folle. Un autre: faut des pistes d'hélico au sommet des tours pour sauter sur les embouteillages. «Vendu!» Et, je vous le donne en mille, toutes ces idées loufoques ont été, sont en voie d'être réalisées. Toutes. On ne vous décrira pas la tour en forme de vague déchaînée, celle presque achevée haute de 1 km, le quartier sur pilotis aux contours de planisphère, une île pour chaque pays, Mickael Jackson vient d'acheter l'Angleterre pour 40 millions de dollars. L'hôtel Borj El-Arab à 20 000 dollars la nuit avec vue sous-marine sur les requins, entièrement réservé par une rock star pour son anniversaire, 200 jets privés atterrissant à la même heure. Ce n'est pas un pays, c'est une histoire de fous. Et d'abord une histoire d'argent, ce qui par les temps qui courent revient au même. Le grand architecte néerlandais Rem Koolhaas explique tout en un mot: il faut désormais penser la cité générique centrée sur un airport et habitée par une tribu de nomades globaux. Vous voyez ce que je veux dire. Moi, pas. Seul Cheikhmo a tout compris.
Cheikhmo? Cheikh Mohammed ben Rachid el-Maktoum. Un peu long pour les nomades globalisés, ils sont pressés, ils l'ont abrégé. A 59 ans, il en fait à peine la moitié, il est le maître après Allah de l'émirat de Dubai et de la tribu des nomades globalisés. Dépourvu de cette attache tribale (si pas milliardaire, s'abstenir), je ne l'ai pas rencontré personnellement, mais vivre à Dubai, respirer son air incandescent, c'est vivre chez lui, avec lui. Quand vous prenez un taxi, c'est son taxi, l'hôtel lui appartient comme les restaurants, les boîtes de nuit, les chevaux, les filles au tarif intimidant de 5 000 dollars. Tout ici s'incorpore à son patrimoine, le marquis des Arabas, mais ne vous inquiétez pas: comme tous ses ancêtres, cheikh Mohammed est un commerçant, il vend au prix du marché. Il vend du sable, la seule ressource de son empire. Un marchand de sable, un marchand de rêves. Le pétrole, ç'a eu payé, il en reste une misère, 200 000 barils par jour, à peine pour son briquet et quelques babioles. Du temps où on pompait encore, Cheikhmo et son père, le regretté cheikh Rachid, n'ont pas fait comme les Algériens, les Libyens et tous les Arabes. Ils n'ont pas bu leur pétrole, ils ne se sont pas ruinés en armement, ils ont investi dans les services et d'abord dans leur fierté, le port.
Du temps jadis, les marins et les géographes avaient donné a cette région le nom de Côte des Pirates, profession des ancêtres de Cheikhmo. Qui dit pirates dit port, et celui de Dubai, béni d'une crique à faire pâlir tous les corsaires, n'a pas son pareil. Atout initial du miracle. Deuxième atout: la famille Maktoum a oublié d'être stupide. Quand ils ont vu arriver les Anglais à la recherche d'un port de relâche sur la route des Indes vers 1830, ils n'ont pas pris le sentier de la guerre. Les Maktoum ne font la guerre qu'à plus faible qu'eux, pour gagner. Avec les plus forts, ils passent un marché. Dès le milieu du XIXe siècle, ils ont compris que la piraterie, c'était fini, qu'elle avait été remplacée avantageusement par le commerce et qu'il fallait trouver un arrangement profitable avec les chrétiens. Un siècle et mille guerres passés dans la région, les Maktoum n'ont pas changé d'idée, ils travaillent avec qui paie. Et comme ceux qui raquent le mieux sont cousus d'or et qu'ils n'ont plus rien d'autre à leur vendre que leur sable, qu'est-ce qu'ils ont fait? A l'exemple des alchimistes du Moyen Age, ils ont voulu convertir le sable en or. Contrairement aux alchimistes européens, ces Arabes, Allah aidant, ont triomphé de Satan, ils ont trouvé la formule. Leur sable est devenu de l'or plus cher que l'or.
Vous savez à quoi ressemble Dubai? A rien. Il y a trente ans, j'y étais passé, quelques bâtisses croulantes séchaient au milieu du désert. Une compagnie, Allah sait laquelle, venait d'y creuser un trou, quelques gouttes de pétrole avaient filtré, de quoi enrichir un émir, rien de plus. Bientôt, la maigre réserve s'épuiserait, les frêles constructions retourneraient au sable et la petite tribu des Maktoum au trafic et au nomadisme. Car ici, pas d'eau, pas d'eau, pas un verre d'eau et 43 °C à l'ombre quand il fait frais. Toute la planète est habitable, même le pôle Sud, un seul point est absolument prohibé à la vie humaine, Dubai. Sauf que, ces dernières décennies, la population y a été multipliée par 250, on est passé de 6 000 à 1,5 million, et on y a édifié la plus improbable chose sortie de l'esprit humain.
Ils ont commencé par l'aéroport. Chicago, LAX à Los Angeles, Roissy paraissent à côté de vieux garages, et ce n'est pas fini. Cette encore petite ville sera bientôt dotée des plus formidables airports jamais conçus. Pour qui? On vous le dira plus tard. On spécule sur la transformation de Dubai en centre de tous les réseaux, de la réseautique, de la connectique. Tous ceux qui bougent, tout ce qui bouge sera obligé de passer par ici, de passer par l'argent, car, autant le dire tout de suite, il ne s'agit que d'argent.
Après, on a agrandi le port pour en faire simplement le plus grand du monde et on a établi entre le port et l'aéroport, entre l'air et la mer, une connexion plus rapide que partout ailleurs. Quatre heures pour transférer vos marchandises des bateaux aux avions. Dans les autres pays, l'opération peut exiger deux jours, deux mois, on engloutit des fortunes en temps perdu. Si vous n'avez pas envie d'y laisser votre chemise, vos marchandises seront obligées de faire n'importe quel détour pour passer par Dubai. Après le port, les télécoms: le dernier cri. Enfin, les autoroutes à 16 voies qui renvoient l'A6 à l'âge de la pierre. Une fois le noeud de communications bien en place, Cheikhmo (c'est qui, ce gus?) s'est dit: et si j'y construisais une ville? Mais quelle ville? Il a consulté les architectes en mal de clients, les dingues, les allumés, ceux qui se font virer fissa rien qu'à la vue de leurs esquisses. Il y en a un qui a sorti: il ne faut pas construire sur la terre, il faut construire sur la mer. «Génial», s'est écrié Cheikhmo (qui c'est, ce pékin?). Un autre a proposé: les appartements doivent être plongés dans le Golfe, sous l'eau, pour avoir la vue sur les coraux et les poissons. «Tu es mon homme», s'emballe Cheikhmo à cette offre folle. Un autre: faut des pistes d'hélico au sommet des tours pour sauter sur les embouteillages. «Vendu!» Et, je vous le donne en mille, toutes ces idées loufoques ont été, sont en voie d'être réalisées. Toutes. On ne vous décrira pas la tour en forme de vague déchaînée, celle presque achevée haute de 1 km, le quartier sur pilotis aux contours de planisphère, une île pour chaque pays, Mickael Jackson vient d'acheter l'Angleterre pour 40 millions de dollars. L'hôtel Borj El-Arab à 20 000 dollars la nuit avec vue sous-marine sur les requins, entièrement réservé par une rock star pour son anniversaire, 200 jets privés atterrissant à la même heure. Ce n'est pas un pays, c'est une histoire de fous. Et d'abord une histoire d'argent, ce qui par les temps qui courent revient au même. Le grand architecte néerlandais Rem Koolhaas explique tout en un mot: il faut désormais penser la cité générique centrée sur un airport et habitée par une tribu de nomades globaux. Vous voyez ce que je veux dire. Moi, pas. Seul Cheikhmo a tout compris.
Cheikhmo? Cheikh Mohammed ben Rachid el-Maktoum. Un peu long pour les nomades globalisés, ils sont pressés, ils l'ont abrégé. A 59 ans, il en fait à peine la moitié, il est le maître après Allah de l'émirat de Dubai et de la tribu des nomades globalisés. Dépourvu de cette attache tribale (si pas milliardaire, s'abstenir), je ne l'ai pas rencontré personnellement, mais vivre à Dubai, respirer son air incandescent, c'est vivre chez lui, avec lui. Quand vous prenez un taxi, c'est son taxi, l'hôtel lui appartient comme les restaurants, les boîtes de nuit, les chevaux, les filles au tarif intimidant de 5 000 dollars. Tout ici s'incorpore à son patrimoine, le marquis des Arabas, mais ne vous inquiétez pas: comme tous ses ancêtres, cheikh Mohammed est un commerçant, il vend au prix du marché. Il vend du sable, la seule ressource de son empire. Un marchand de sable, un marchand de rêves. Le pétrole, ç'a eu payé, il en reste une misère, 200 000 barils par jour, à peine pour son briquet et quelques babioles. Du temps où on pompait encore, Cheikhmo et son père, le regretté cheikh Rachid, n'ont pas fait comme les Algériens, les Libyens et tous les Arabes. Ils n'ont pas bu leur pétrole, ils ne se sont pas ruinés en armement, ils ont investi dans les services et d'abord dans leur fierté, le port.
Du temps jadis, les marins et les géographes avaient donné a cette région le nom de Côte des Pirates, profession des ancêtres de Cheikhmo. Qui dit pirates dit port, et celui de Dubai, béni d'une crique à faire pâlir tous les corsaires, n'a pas son pareil. Atout initial du miracle. Deuxième atout: la famille Maktoum a oublié d'être stupide. Quand ils ont vu arriver les Anglais à la recherche d'un port de relâche sur la route des Indes vers 1830, ils n'ont pas pris le sentier de la guerre. Les Maktoum ne font la guerre qu'à plus faible qu'eux, pour gagner. Avec les plus forts, ils passent un marché. Dès le milieu du XIXe siècle, ils ont compris que la piraterie, c'était fini, qu'elle avait été remplacée avantageusement par le commerce et qu'il fallait trouver un arrangement profitable avec les chrétiens. Un siècle et mille guerres passés dans la région, les Maktoum n'ont pas changé d'idée, ils travaillent avec qui paie. Et comme ceux qui raquent le mieux sont cousus d'or et qu'ils n'ont plus rien d'autre à leur vendre que leur sable, qu'est-ce qu'ils ont fait? A l'exemple des alchimistes du Moyen Age, ils ont voulu convertir le sable en or. Contrairement aux alchimistes européens, ces Arabes, Allah aidant, ont triomphé de Satan, ils ont trouvé la formule. Leur sable est devenu de l'or plus cher que l'or.
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