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La litterature de la haute classe

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  • La litterature de la haute classe

    Depuis voila bientôt que j'étais au lycée et a l'époque le roman russe Le Don paisible de Mikhaïl Cholokhov était dans mon cartable et entre quelques heures d'inattention du surveillant je le mettait sur les genoux pour le lire. Le roman était riche par rapport a la littérature qui nous été choisi par le ministère de l'éducation national ou les auteurs de la révolution française faisait le froid et le chaud en nous imposant la description de la vie mondaine. Rue déserte bordels prostitutions barricades gaz lacrymogène émeute cris hurlement assassinat vendetta etc.
    Apres sur les étalages tu ne trouves que des auteurs un peu idiots un peu plat du genre jules verne qui n'a jamais vu d'îles et qui essaye par l'imaginaire et les racontars de constituer le paysage qui reste arithmétiquement décris. J'avais sincèrement bondonné la lecture pour le roman policier américain qui décrit un milieu mondain plus ou moins authentique et réel du ce fin de siècles. Femme alcool drogue et trahison et ou le coupable vers la fin n'est toujours qu'une diable femme ou un diable femmelette.
    Un jeune m'avait promis de me chercher tous les auteurs russes. Un jour il m'appela de loin heureux il me le fait vibrer de loin. De loin c'était un livre banal rouge de couverture cartonnée. En s'approchant je le paye sans discuter ni même le feuilleter. Je le remet dans ma petite bibliothèque et un jour je le tire et c'était fantastique ce que depuis 30 ans entrain de chercher je viens enfin de le trouver.
    L'auteur est d'une grande culture, le texte est riche en description et le monde bouge. Les gens vivent dans la pauvreté mais qui dégagent entre eux un humour qui rend la vie agréable malgré le froid et le gel. Ce que offre la literature nordique c'est cette faculté de décrire le reel ou l'auteur n'est plus un écrivain mais un peintre avec des mots.
    voici un extrait du roman:
    Dernière modification par tina6, 11 septembre 2008, 23h11.

  • #2
    sur le Mustjõgi

    Un rayon du soleil matinal s’insinue dans la chambre par la fente étroite de la fenêtre. Loki se lève d’un bond, jette un châle sur ses épaules et se précipite dehors... Pendant la nuit, le Mustjõgi [1], libéré de sa gangue de glace, a débordé et c’est un large torrent qui bouscule toute la vallée.
    De grands blocs de glace, semblables à des barques blanches, tournent, tanguent, s’abaissent, se relèvent, se heurtent l’un contre l’autre, éclatent en milliers de cristaux.
    – Ah ! psalmodie la jeune fille, voilà pourquoi tu n’as pas dormi ! Voilà pourquoi ta nuit ne fut qu’une suite de rêves étranges !... Tu vois pourquoi ?
    Et Loki presse ses deux poings dans le creux de ses orbites, frotte le sommeil de ses yeux, soulève, l’un après l’autre, le poids de ses pieds rouges et glacés.
    Tous les fossés, tous les sentiers, tout ce qui ne domine pas les tertres n’est que murmure de ruisseaux, souples comme des serpents, qui dévalent gaîment à la moindre pente. Ils se réunissent, s’élargissent et ramassent, sur leur route, les feuilles mortes, les broussailles et jusqu’aux brindilles de mousse, pour les emporter dans le grand torrent du fleuve, comme dans une grande salle de fête. Fragile et brillante, la neige fond dans le vent et dans le soleil : des gouttes d’eau tombent des cristaux glacés, comme d’une barbe dégouttante.
    La forêt s’éveille de son long sommeil hivernal ! Les cimes des sapins verdissent et les larges branches de pin sont pleines de gouttes d’eau et de sifflements d’oiseaux. Les grappes gelées et rouges pendent aux sorbiers dénudés. Les collines et les pentes se débarrassent des tas de neige amassés par la tempête. Les tiges brunes des sinikas [2] et des airelles lèvent la tête comme sous une blanche pelisse de mouton. L’air est bleu, plein d’eau et de soleil.
    Brusquement Loki tressaille, sa bouche rouge s’ouvre comme pour pousser un cri – les premiers étourneaux voltigent en sifflant autour de la cage placée à la cime du pin. Elle ne peut pas garder plus longtemps pour elle la grande et captivante nouvelle. Elle se précipite dans la maison en jubilant :
    – Père, père, les étourneaux sont là !
    Gris et tremblotant, le garde-forestier Silver Kudisiim se lève dans le coin de la pièce, il tousse, baille, étend ses vieux membres et dit d’une voix traînante :
    – Nous aurons probablement de nouveau une inondation ; le printemps arrive trop tôt, brusquement, et les forêts sont encore pleines de neige.
    Les forêts, pense tristement Loki, n’ont ni bord ni limite. Si loin que l’œil peut atteindre, on ne voit que les cimes tremblantes des sapins, des broussailles, des pins et des marais. Les loups eux-mêmes ne peuvent probablement pas les traverser et ils errent pendant l’hiver par toutes ces forêts incommensurables. Le bruit sombre et mélancolique du balancement des cimes arrive jusqu’à la mer. En plein été, quand le Mustjõgi devient un ruisseau mince telle une couleuvre insinuante, les arbres se tiennent droits comme des cierges et s’égouttent en larmes de résine, la mousse sèche devient brune, l’herbe se fane, les branches fatiguées s’inclinent. Même les oiseaux cessent de chanter et restent sur les branches, ensommeillés, semblables à des morts. Le soir, entre les arbres, flânent quelques metshaldjas [3] las de leur vagabondage et abrutis de chaleur.
    Lorsque vient la nuit, des chauves-souris volent autour de la maison. Il est plus que rare que le chasseur ou le voyageur s’aventure jusqu’ici, car il n’y a ni toit, ni âme.
    La ferme de Habahannes se trouve sur la pente, mais ses habitants sont hautains et fiers ; quand ils parlent à Loki, c’est du bout des lèvres et comme s’ils jetaient quelque relief de leur table à un chien. Le vieux patron lui-même se traîne en jurant ; où son pied a marché, l’herbe repousse difficilement et la mousse refuse de grandir. Il est avare et

    méchant. Et quand Dieu le punit, par de la grêle ou de mauvaises récoltes, les poings de Habahannes se lèvent comme des poignards vers le ciel. Sa barbe pique comme une charrue relevée et ses petits yeux sont pleins de colère et de mépris. Sa fille, Mall, va souvent à la ville ; elle a tant vécu que ses yeux sont cernés de noir. Hautaine et arrogante, elle ne travaille pas, ne se donne aucune peine. Mais quand, par hasard, un voyageur étranger vient à la ferme, elle s’éveille et la maison déborde soudain de sa générosité et de sa joie. Alors, Habahannes tire l’étranger par la main et évolue à travers les champs et les prairies en lui montrant la richesse et la grandeur de sa ferme. Il court fièrement comme un cheval au galop, se vantant et criant, traînant l’étranger derrière lui comme une houppe attachée au brancard. Quand ils arrivent à la maison, Mall ouvre ses coffres, les tiroirs de toutes ses garde-robes et il faut l’entendre pépier comme un oiseau. Alors, lorsque l’étranger les quitte, le vieil Habahannes lui secoue longtemps la main, tandis que Mall, du seuil, regarde tristement celui qui va partir et lui dit :
    – Revenez vite!
    Mais, qui viendrait chez la pauvre Loki, elle qui n’a rien à montrer et qui ne trouverait pas de quoi se vanter. Il y a bien une vieille commode dans le coin de la cabane, mais on ne trouverait dans ses tiroirs que des trous de souris. Loki a toute sa fortune sur elle : des haillons avec autant de petits trous qu’une écumoire. Aussi, Loki a-t-elle peur des gens. Quand l’un ou l’autre se hasarde par ici, elle court se réfugier derrière un arbre et, de là, elle l’observe avec le regard qu’ont les metshaldjas pour le chasseur. Loki n’a que ses yeux ardents et la joie débordante de sa gorge. Quand elle court dans la forêt, les oiseaux s’envolent comme des flèches et les vallées clament sa joie. Mais c’est d’elle que Loki a peur, surtout au printemps, quand les eaux s’affranchissent et que le Mustjõgi commence à se précipiter vers la mer, avec fracas. C’est alors que les flotteurs [4] apparaissent avec des chants et des cris et que la forêt s’emplit de leur rire insouciant. Ils viennent des villes et des villages lointains et flottent du bois vers le rivage. Ils s’arrêtent là où le Mustjõgi fait un coude brusque, juste en face de la ferme de Habahannes, et allument un feu sur la rive en attendant les suivants. Ils n’entrent pas dans la cabane de Loki : ils préfèrent aller à la ferme de Habahannes, chercher du pain et du lait. Le soir, ils jouent de l’accordéon et ils dansent, en chantant et en criant. Seulement, comme fille, ils n’ont que Mall Habahannes.
    – N’y a-t-il vraiment pas d’autre fille, ici ? crient les garçons, en essuyant la sueur de leur visage en feu.
    – Il n’y en a pas! répond Mall, et le vieux d’appuyer, après elle :
    – Hé ! il n’y en a pas, que voulez-vous y faire !
    – Mais cette cabane là-bas, est-elle tout à fait vide ? demandent les garçons, soupçonneux.
    – Là, n’habitent que des ours ! répond Mall, en riant et le vieux dit à son tour :
    – Oui !... rien que des ours !... que voulez-vous !
    Tant que les flotteurs sont là, le vieux Kudisiim est inquiet, craintif et court tout le temps sur les talons de Loki.
    – Ne va pas chez les flotteurs, dit-il, ce sont de mauvais hommes, ils ne te feront rien de bon. Ils t’emmèneront avec eux, s’amuseront un peu et, après, te jetteront comme une allumette brûlée. Alors, où voudras-tu encore aller, vers qui tourneras-tu tes yeux de pécheresse ?
    Loki écoute les exhortations de son père et ne va pas chez les flotteurs, car son père est vieux et maladif, et chaque printemps, il s’affaisse de plus en plus, comme une vieille souche de pin. Loki ne va pas chez eux, mais ses yeux restent fixés sur leurs visages rieurs et elle suit attentivement et avidement leur activité. Comme elle voudrait s’asseoir sur le train de bois flotté pour voir le monde et les gens et se sentir égale à eux ! Elle n’a encore rien vu, ni parlé avec personne. Elle n’a pour compagnons que lesoiseaux et les bêtes sauvages. Elle est attachée à cette forêt comme un arbre par ses racines, quoique ses pensées fassent de longs voyages et errent sur des chemins singuliers.
    Mais les flotteurs poussent de nouveau leur train à l’eau, éteignent les feux sur la rive et partent en chantant. Mall Habahannes reste seule à les regarder tristement du ponton, tant qu’on peut les apercevoir et entendre leur voix. Et Loki, cachée derrière l’arbre, se laisse tomber sur la mousse et sanglote longtemps, longtemps, sans même savoir

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    • #3
      pourquoi.
      Les flotteurs arriveront probablement bientôt. Quand les étourneaux sont dehors, eux ne sont pas loin !
      Silver Kudisiim remue sur le lit et ne répond pas. Et Loki n’a pas le temps d’attendre la réponse ; elle a maintenant beaucoup à se démener et à courir. Chaque jour, chaque heure lui amène quelque chose de neuf. Le Mustjõgi monte sans arrêt ; la terre se dépouille de la neige et de la glace, comme un poussin sortant de sa coque. Sur les pentes, les premières pervenches commencent à fleurir et Loki en remplit toutes les fenêtres, les tables et même les bancs, si bien que le vieux Kudisiim n’a plus de place où s’asseoir. Les oiseaux migrateurs, le busard, la cigogne, l’alouette, la corneille, l’étourneau, apparaissent l’un après l’autre en sifflant et en criant, et Loki voit voltiger au-dessus de la cabane le gardien noir du ciel. La forêt est pleine de sifflements d’oiseaux, de gazouillements et de cris d’appel passionnés. Le premier papillon vole contre la vitre et la bat longtemps de ses faibles ailes. Les nuits sont chaudes et venteuses, les marais fument et ruissellent en s’éveillant de leur sommeil hivernal. Les forêts, les prairies et les champs sont pleins d’eaux courantes et stagnantes. L’herbe pousse en oreilles de souris et les arbres se couvrent de feuilles.
      Loki écoute, mais les chants ne résonnent pas encore de la rivière. Les flotteurs sont en retard cette année. Mall s’est faite bien belle et surveille impatiemment la rive ; ou bien elle prend le canot et rame contre le courant dans la direction des flotteurs attendus. Mais le soir, elle revient seule. Quelque part, au loin, des coups de hache se font entendre.
      Les jours vont, les semaines meurent avant que résonnent les appels des flotteurs. Mais les premiers passent sans s’arrêter, ce sont de vieux hommes barbus, leur chapeau est enfoncé profondément sur les yeux et leur pipe fume entre leurs dents. Sur le train de bois, des femmes sont également accroupies et, dans les courbes, elles aident les hommes à maintenir le bois dans le courant. À midi les autres trains arrivent, mais ils ne s’arrêtent pas non plus.
      Habahannes reste à la rive et crie :
      – Courage, les flotteurs !
      – Merci, merci, répond-on.
      – Et quoi ? Il n’y a donc pas d’arrêt ici, cette année ?
      – Nous ne savons rien, répondent les flotteurs, en passant rapidement.
      – N’avez-vous pas le temps ? Vous êtes pressés, crie encore Habahannes derrière eux. Mais les flotteurs ne l’ entendent plus ; ils avancent rapidement avec le courant.
      – Sont-ils fiers ! dit Mall tristement.
      – Oui, oui, ils sont fiers, que voulez-vous ! maugrée aussi Habahannes, et il va à la maison en pestant. Mall marche derrière lui, les yeux pleins de colère et de honte.
      La nuit et le lendemain matin, passent encore quelques flotteurs.
      – Tiens à droite, pousse à gauche ! La queue dans le courant ! crient des voix pêle-mêle. Ils disparaissent déjà avec le flot. Ce printemps, ils ne chantent pas, ne jouent pas, ils passent rapides comme des cavaliers. Ils sont sérieux et importants et ne semblent pas faire attention à la ferme de Habahannes. En écoutant leurs appels, Loki ne reconnaît aucune voix familière ; ces hommes ne sont jamais venus par ici auparavant.
      – Père, père, crie-t-elle, ils sont pressés, très pressés!
      – Oui, Loki, oui ! répond Kudisiim qui sourit et ne peut cacher à sa fille sa joie et son contentement.
      – Pourquoi se précipitent-ils ainsi ? demande Loki.
      – Qui le sait ? répond Kudisiim, peut-être s’en trouvent-ils bien. Va donc savoir leurs affaires et leurs besognes !
      À midi glisse encore un flotteur, et après, il n’en vient plus. Le dernier passe également vite, comme pour rattraper les autres.
      Les merisiers éclosent ; dans la courbe de la rivière apparaissent des hirondelles, des hérons, des bouvreuils ; des haies sont fleuries comme des tapis. Au soir tombant, des moustiques bourdonnent et le gazon et l’herbe sont remplis de milliers d’insectes et de vers. Loki se promène, boudeuse, elle est triste et silencieuse.
      – Le printemps s’enfuit tellement, tellement vite ! pense-t-elle. Ils sont venus en criant et sont partis ; on n’a même pas pu entendre leur rire ni voir leurs yeux – le courant les a saisis comme une rafale. Maintenant, il n’y a plus personne à attendre, l’été passera également comme un éclair, et de nouveau reviendront les vents et les brouillards glacés. Et la vie aussi passe. sans que rien n’arrive – seul continue le balancement de la forêt.
      Et Loki a tout à coup indiciblement pitié d’elle-même, d’elle et de son père qui a été ensorcelé à vivre dans ce véritable fourré.
      Mais quelques jours après, il arrive encore un flotteur. Il n’y a qu’un seul homme, et de loin déjà, Loki remarque qu’il est inhabile et ne réussit pas à tenir le train au milieu du courant. Il nage d’un bord à l’autre, s’accroche souvent dans les roseaux ; l’homme s’arrête et attend ; il ne paraît pas remarquer que le train avance avec rapidité. Il se laisse conduire par le courant sans remuer les mains. Souvent, le bout des troncs s’abaisse dans l’eau, et, le train tourne comme une toupie ; l’homme est couché sur les bois comme sur un cheval qui a pris le mors aux dents. Près de la ferme de Habahannes, où le Mustjõgi tourne brusquement, le courant jette le train au bord, mais l’homme reste tranquillement assis.
      Loki le regarde longtemps et ne peut cacher son inquiétude.
      Est-il malade, ne sait-il pas conduire son train ou lui manque-t-il quelque chose ?
      Et Loki court chez son père :
      – Viens, viens ! crie-t-elle impatiemment, un accident est arrivé au flotteur. Le courant l’a jeté à la rive et il ne peut plus continuer par ses propres moyens.
      Le vieux Kudisiim toussote, regarde sa fille avec méfiance, mais Loki est comme une fleur de bardane attachée à lui, et elle le traîne avec elle.
      Quand ils arrivent auprès du flotteur, celui-ci est assis sur la rive ; il siffle et joue joyeusement du kannel [5].
      – Vous est-il arrivé un accident ? bégaye le vieux Silver Kudisiim. Peut-être voulez-vous aller plus loin et n’avez-vous plus la force de mettre le train à flot, seul ?
      – Non, répond l’étranger en souriant. Le Seigneur à des jours innombrables, et j’ai le temps.
      Le soleil tombe derrière les forêts qui paraissent rouges ; les bords dentelés des nuages luisent dans les flammes. Le visage de l’étranger est tourné vers le feu du soleil couchant. Il enlève son chapeau et dit :
      – Pardonnez-moi, je suis flotteur ! Mon nom est Toomas Nipernaadi ! Il se peut que je vous cause beaucoup de désagrément et de dérangement en m’arrêtant ici, mais, vraiment, je n’ai pas envie de continuer jusqu’à la nuit.
      – Un homme bizarre, tout à fait bizarre ! marmotte le vieux Kudisiim en retournant chez lui.
      Des sarcelles commençaient à tournoyer dans le coude de la rivière. Dans la direction du marais, les cris plaintifs des oiseaux aquatiques résonnaient. Le soir approchait et les étoiles s’allumaient dans le ciel sombre. Les vents s’arrêtaient en haletant. On percevait le bruissement des eaux et les sifflements passionnés des oiseaux. La terre, pleine de sève voluptueuse faisait repousser les arbres, les arbustes et les fleurs qui, dans l’attente impatiente de la floraison, emplissaient l’air de leur poison aromatique. Les sauterelles sciaient, les bousiers murmuraient, les champs et les forêts étaient remplis du gazouillement des tarins.
      Toomas Nipernaadi, couché sur le train de bois, regardait le ciel et écoutait les voix nocturnes. Des nuages, en caravane noire, montaient du sud-ouest au-dessus des forêts, mais, en arrivant au ciel, leurs membres se dissociaient et s’évaporaient comme de la fumée. La grande Ourse étincelait au-dessus de sa tête. Le jeune homme restait immobile, captant chaque son, comme s’il avait pris part intensément à la vie de tout ce qui gazouillait et sifflait. À minuit, quand le gazouillement des oiseaux devint plus calme, il prit son kannel et joua. Il avait un répertoire étendu de chansons sentimentales, depuis longtemps oubliées. Il accompagnait par un chant en sourdine, les passages particulièrement tristes ; il était ému et dans ses grands yeux brillaient des larmes.
      Ce n’est que vers le matin, quand il fit déjà clair, qu’il cessa de jouer, et ferma un instant les yeux. Mais son sommeil était léger et inquiet. Un moment après, il était sur pied. Il courut dans la forêt, s’arrêta près de chaque arbre, examina chaque fleur, prit

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      • #4
        chaque insecte dans sa main et regarda sa récolte en souriant. Fatigué de toutcela, il s’assit dans l’herbe sous un arbre et écouta, la bouche ouverte et les yeux fiévreux, comme ceux d’un malade. Alors, quand le soleil fut tout à fait haut, il retourna près du train de bois, prit une ligne dans la haie de Habahannes et commença à la plonger dans la rivière.
        Quand il eut pêché quelques poissons, il marcha vers la cabane de Kudisiim.
        Il ouvrit la porte avec précaution et, voyant que Loki et Kudisiim dormaient encore, il commença à déambuler silencieusement devant le poêle. Puis il mit le repas sur la table et cria :
        – Venez manger, chrétiens! On ne peut pas fainéanter ainsi !
        Loki sursauta, comme piquée par une vipère. Kudisiim, effrayé, ouvrit les yeux et regarda l’étranger sans mot dire.
        – Vous vivez pauvrement, dit Nipernaadi en regardant autour de lui.
        – Pauvrement, c’est vrai ! dit Kudisiim en revenant à lui. Vous auriez mieux fait d’aller chez Habahannes ; il est riche et les flotteurs vont toujours chez lui.
        – D’où Habahannes a-t-il donc pris cette richesse ? demanda Nipernaadi gaiement.
        – Eh bien, il n’a pas toujours été riche non plus, expliqua Kudisiim. Il a suffisamment souffert de la faim et de la misère. On l’a tant frappé dans la vie que ses dents ont sauté de sa bouche. Dans sa jeunesse, il a été un voleur connu et chaque querelleur avait grand plaisir à le rencontrer. Il s’enfuit alors ici dans la forêt et se mit à cultiver la terre. Mais ce travail ne rapportait pas grand-chose ; le blé ne grandit pas plus haut que les oreilles d’une souris et la misère ricana dans chaque fente du mur. Mais alors, l’homme acheta un puuk [6] pour vingt roubles au marché de Riga et, tout de suite, les champs devinrent fertiles et les coffres de blé montèrent comme des tas de neige. Maintenant, il ne lui manque plus rien ; il est devenu hautain et avare ; il s’assied sur le pot de beurre et en porte en ville.
        – Avez-vous vu son puuk ? demanda Nipernaadi.
        – Qui montrerait son puuk à un étranger ? dit Kudisiim amèrement.
        – Moi, je l’ai vu, cria tout à coup Loki passionnément. Un jour, pendant l’orage, il vola dans la cheminée de Habahannes comme la foudre. Mall raconta bien qu’un éclair avait touché la maison, mais je connais les mensonges de Mall.
        – Mais pourquoi ne vous êtes-vous pas procuré un puuk ? Ou bien est-ce un péché ? demanda Nipernaadi.
        – Pourquoi un péché ? Une bête est toujours une bête, dit Kudisiim ; mais je n’ai pas eu de chance pour l’achat du puuk. Un jour, j’ai mis également les pieds sur le chemin de Riga, mais, fou que je suis, je suis entré en cours de route dans un cabaret du village de Laagri. Il y avait justement là toutes sortes de types et, parmi eux, quelqu’un de ma connaissance, le tailleur Tokkroos. Eh bien, nous avons dégusté quelques verres ensemble, nous avons parlé de choses et d’autres ; ensuite, Tokkroos me demanda : « Où vas-tu, Silver ? » Je racontai qu’un long chemin était encore devant moi, que ce voyage prendrait plusieurs jours, que cette pauvre vie m’était devenue insupportable, et je lui chuchotai finalement à l’oreille que j’allais acheter un puuk. Les puuk de Riga sont chers, dit Tokkroos là-dessus, et ils ne valent pas grand-chose ; ils sont faits d’un balai pourri et de charbon d’aulne. Pourquoi vas-tu si loin alors qu’on fait d’assez bons puuk ici ? C’était comme si quelqu’un m’avait piqué avec une aiguille. Je ne quittai plus la manche du tailleur, je m’attachai à lui comme un fruit de bardane et je l’implorai :
        – Tokkroos, Tokkroos, fais-moi un puuk ! Voici vingt-cinq roubles, prends tout cela pour toi, fais un puuk raisonnable.
        – Je ne veux pas de ton argent, espèce de fou, dit le tailleur, mais si tu le désires tellement et qu’on ne puisse plus arranger l’affaire autrement, alors, viens chez moi dans quinze jours pour prendre le puuk. J’étais si heureux que je forçai le tailleur à accepter pour ses arrhes, trois roubles que nous avons bu la même nuit.
        Deux semaines après, j’étais chez le tailleur. Tokkroos avait oublié l’histoire du puuk et me demanda :
        – Eh bien, pourquoi viens-tu ici, Silver ?
        – Comment, dis-je, je suis venu pour prendre ma bête.
        Tokkroos se mit à geindre lamentablement que sa tête lui faisait mal, que le temps n’avait pas été favorable pour la préparation du puuk, qu’il lui manquait justement les matériaux nécessaires. Mais comme je ne cédais pas, il devint tout à fait furieux et dit :
        – Eh bien, tu auras un puuk. Mais tu dois garder trois choses dans ta mémoire : en retournant chez toi, tu ne devras sous aucune condition regarder en arrière, nommer le diable et lâcher des vents. Si tu ne remplissais pas ces trois conditions, tu pourrais avoir un accident. Ce n’est que rentré à la maison que tu pourras prendre ton puuk et le regarder. Mais maintenant, assieds-toi dans la voiture et attends !
        Alors, je m’assis dans la voiture et j’attendis. Bientôt le tailleur revint. Il tenait sous son tablier quelque chose qu’il déposa dans la voiture derrière moi.
        – Va, maintenant, dit-il en guise d’adieu, mais souviens-toi de ce que je t’ai dit !
        Alors, je retourne vers la maison, heureux et content. J’échafaude toutes sortes de projets, j’imagine comment je commencerai à vivre et quel travail je donnerai au puuk. Mais quand j’ai roulé environ cinq verstes, je sens subitement une infecte odeur de brûlé. Je me demande alors ce que cela peut être, est-ce le puuk qui fume, ou est-il arrivé quelque chose ? Non, je ne peux pas regarder, je me hâte en avant. Mais à peine une verste plus loin, je sens que mon dos brûle. Alors, je saute à bas de la voiture et je vois l’arrière tout en flammes, la paille brûlée, le sac plein de feu et la veste sur mon dos, également roussie. J’essaie encore de sauver ce qu’il y a à sauver, en pestant et en injuriant le tailleur.
        – Attends un peu, canaille, qui a mis des charbons ardents dans ma voiture ! Se moquer pareillement d’un chrétien, je ne l’oublierai pas, que me mangent mille puuk et le vieux diable lui-même !
        Quelques jours plus tard, je vais chez Tokkroos. En me voyant de loin, il se précipite à ma rencontre et me demande gaiement :
        – Eh bien, Silver, es-tu content du puuk ?
        – Écoute, maraud, criai-je, à quel diable de moquerie t’es-tu livré ?
        – Comment ? demanda Tokkroos, étonné.
        – Mais, répondis-je, tu as mis des charbons ardents dans ma voiture, tu t’es moqué de moi comme d’une bête, comme d’un putois ou quelque chose de pis !
        – Non ! crie le tailleur convaincant, cela, sérieusement, je ne l’ai pas fait. Ou bien croirais-tu, Silver, que je puisse ainsi te tromper, toi, un homme honnête et bon ? Tu devrais avoir honte de suspecter un ami de pareilles cochonneries. L’erreur doit se trouver ailleurs. Dis-moi, n’as-tu pas eu le nom du diable à la bouche ?
        – Non, ai-je répondu fermement.
        – Mais peut-être as-tu regardé derrière toi par-dessus ton épaule ?
        – Non, dis-je, je n’ai regardé que quand la voiture était remplie de flammes.
        – Mais, n’as-tu pas lâché des vents ? demanda Tokkroos.
        – Non, pas cela non plus, mais il se peut pourtant que ce soit arrivé un peu, un tout petit peu.
        – Eh bien alors, c’est cela ! commença à crier le tailleur entournant autour de moi comme une toupie. Éternel fou, maudit maraud, qu’as-tu fait ? ajouta-t-il en devenant de plus en plus furieux. Tu m’as fait honte, tu as toi-même dévoré ta chance – et je ne veux plus jamais avoir affaire avec toi, que le loup te dévore et que le fantôme t’avale, bonjour ! Et le tailleur me ferma sa porte au nez.
        Plus tard, dit Kudisiim en terminant son histoire, je me suis souvent demandé si Tokkroos était un brave et honnête homme ou un simple filou et une canaille.
        Il semblait que l’histoire du puuk causait encore des soucis et du chagrin au vieux garde forestier. Il prit le fusil au mur et se précipita dehors en clopinant :
        – Je vais voir... peut-être attraperai-je un oiseau, dit-il sombrement.
        – Il y a des gens qui ne croient pas aux puuk ! dit tout à coup Loki, ils ne croient même pas qu’il existe des metshaldjas ; ils disent que c’est un non-sens. Comme ils sont étranges !
        Et soudain, le sang fleurit à ses joues, la voilà gênée, timide, et elle se cache honteusement les yeux.
        – Les hommes sont bêtes, Loki, dit Nipernaadi encourageant. Ils ne croient à rien, ils ne connaissent rien. Ils ne comprennent que ce qu’on peut toucher avec la main et ne croient qu’à ce qu’on peut mettre dans la bouche. Oh, Seigneur tout puissant, n’ai-je pas

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