Les filles voilées peuvent-elles parler ?
A propos d’Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tevanian, "Les Filles voilées parlent"
Par Christophe Montaucieux
Depuis 1989, les jeunes filles voilées entendent leur parole déformée ou la voient étouffée par le « progressisme » et le « féminisme » dont se parent les discours antivoile. Cette discrimination dont elles font l’objet avançant, la plupart du temps, sous le masque de la bonne conscience républicaine, il est difficile pour elles d’apparaître publiquement autrement que comme des victimes. Dans Les Filles voilées parlent, leurs voix s’élèvent et leur parole se libère de ceux qui, prétendant les défendre, écrasent leur identité et couvrent leur voix sous un discours prétendument salvateur. Les Filles voilées parlent. Un titre sous forme de boutade, 350 pages, une somme de 44 témoignages de femmes d’âges et de profils divers qui relatent l’expérience intime de la stigmatisation. On pourra à la lecture de cet ouvrage mesurer l’ampleur de l’islamophobie en France et comment la loi antivoile a encouragé son expression. La motivation des auteurs est au départ de lutter contre la négation d’une simple compétence individuelle : la parole. Une tentative éditoriale pour faire entendre des voix inaudibles qui aurait tout aussi bien pu être conduite avec des prostitués, des drogués, etc. Les minorités opprimées sont immanquablement sans voix, particulièrement dans les débats médiatiques les concernant. Se font entendre experts, spécialistes, journalistes, politiques, une liste qui satisfait aux apparences du pluralisme mais qui exclue sans état d’âme les concernés. La commission Stasi, qui n’a pas auditionné de femmes voilées, montre combien, en France, il n’est pas considéré comme choquant ou intellectuellement problématique de « parler sur » en l’absence du sujet, même à l’heure de délivrer un avis d’importance dont on sait qu’il servira à une loi excluant des jeunes filles de l’école. La négation de la parole des dominées s’est faite au nom de valeurs universelles, et la cause des femmes a servi de prétexte. Nombreuses sont les féministes historiques à avoir pesé de tout leur poids symbolique pour que soit rejetée la parole des femmes voilées dès lors qu’elles ont voulu affirmer leur liberté de porter le foulard. L’argument avait déjà été employé pour disqualifier la parole des prostituées qui refusaient de s’exposer en victimes : soumises inconsciemment à la domination masculine, manipulées, ces femmes ne seraient plus en mesure de proférer une « parole libre ». Ce n’est pas tant leur argumentation qui est contestée que leur légitimité même à parler. C’est dans ce contexte que paraît Les Filles voilées parlent, édité par les éditions La Fabrique, coordonné par Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tévanian.
A propos d’Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tevanian, "Les Filles voilées parlent"
Par Christophe Montaucieux
Depuis 1989, les jeunes filles voilées entendent leur parole déformée ou la voient étouffée par le « progressisme » et le « féminisme » dont se parent les discours antivoile. Cette discrimination dont elles font l’objet avançant, la plupart du temps, sous le masque de la bonne conscience républicaine, il est difficile pour elles d’apparaître publiquement autrement que comme des victimes. Dans Les Filles voilées parlent, leurs voix s’élèvent et leur parole se libère de ceux qui, prétendant les défendre, écrasent leur identité et couvrent leur voix sous un discours prétendument salvateur. Les Filles voilées parlent. Un titre sous forme de boutade, 350 pages, une somme de 44 témoignages de femmes d’âges et de profils divers qui relatent l’expérience intime de la stigmatisation. On pourra à la lecture de cet ouvrage mesurer l’ampleur de l’islamophobie en France et comment la loi antivoile a encouragé son expression. La motivation des auteurs est au départ de lutter contre la négation d’une simple compétence individuelle : la parole. Une tentative éditoriale pour faire entendre des voix inaudibles qui aurait tout aussi bien pu être conduite avec des prostitués, des drogués, etc. Les minorités opprimées sont immanquablement sans voix, particulièrement dans les débats médiatiques les concernant. Se font entendre experts, spécialistes, journalistes, politiques, une liste qui satisfait aux apparences du pluralisme mais qui exclue sans état d’âme les concernés. La commission Stasi, qui n’a pas auditionné de femmes voilées, montre combien, en France, il n’est pas considéré comme choquant ou intellectuellement problématique de « parler sur » en l’absence du sujet, même à l’heure de délivrer un avis d’importance dont on sait qu’il servira à une loi excluant des jeunes filles de l’école. La négation de la parole des dominées s’est faite au nom de valeurs universelles, et la cause des femmes a servi de prétexte. Nombreuses sont les féministes historiques à avoir pesé de tout leur poids symbolique pour que soit rejetée la parole des femmes voilées dès lors qu’elles ont voulu affirmer leur liberté de porter le foulard. L’argument avait déjà été employé pour disqualifier la parole des prostituées qui refusaient de s’exposer en victimes : soumises inconsciemment à la domination masculine, manipulées, ces femmes ne seraient plus en mesure de proférer une « parole libre ». Ce n’est pas tant leur argumentation qui est contestée que leur légitimité même à parler. C’est dans ce contexte que paraît Les Filles voilées parlent, édité par les éditions La Fabrique, coordonné par Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tévanian.
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