« Ainsi l’arrêt du processus de développement industriel, le démantèlement de son organisation de recherche, l’arabisation de l’enseignement sans préparation ni planification…décidés par des dirigeants inconscients, à partir de 1979, ont fini par acculer l’Algérie dans un ***-de-sac historique. »
Mahfoud Bennoune
in Education, culture et développement en Algérie. P.58
Il y a quelques temps, le Ministre de l’Education nationale a annoncé, contre toute attente, qu’il allait « faire entrer la démocratie à l’école ». La démocratie serait-elle devenue une nouvelle matière que nos maîtres auraient à enseigner à nos enfants à la prochaine rentrée scolaire ? Alors que tout le monde sait que la démocratie est un long processus qui produit une forme de culture consacrant la liberté de l’homme et un type de rapport entre gouvernants et gouvernés !
Déjà à ce niveau, surgit comme une énorme interrogation et se profile un colossal paradoxe. Comment des enseignants, chaque fois que leur est venue l’ irrépressible et légitime envie de réclamer leurs droits, en manifestant pacifiquement, par un innocent sit in, devant le siège de l’une des institutions ayant pouvoir sur rue, s’étant fait tabasser, sans vergogne ni retenue, vont-ils pouvoir expliquer, « in vitro » à nos enfants, la démocratie, les droits de l’homme, du citoyen, de la femme… ou de l’enfant, qui les concerne au premier chef ?
Etonnante proposition ou courageuse décision ?
Mais, examinons de plus prés cette nouvelle et surprenante proposition sortie tout droit, à n’en pas douter, du fameux dossier de la réforme dont tout le monde parle mais qui, comme l’Arlésienne, n’est vue par personne. Un autre processus de démocratie, initié en vase clos, même s’il intéresse tout un peuple, notamment celui des enseignants, des parents d’élèves et surtout des élèves qui n’ont jamais pu donner leur avis à propos d’une réalité qui les regarde au premier chef. Mais comme cela fait partie du secret, de l’opaque et des transparences alambiquées, servies au compte goutte, puisque sécurité d’Etat oblige, attendons patiemment que les révélations nous soient faites. Comme, entre autres, les énormes difficultés qui attendent nos enfants au niveau de l’enseignement moyen à la prochaine rentrée. Difficile situation qui serait due à un télescopage entre l’ancien système et le nouveau, d’une école toujours « démocratiquement » administrée par le haut ; toute chose déjà connue, puisque nous avons connu pareille mésaventure lors de l’application du système de l’école fondamentale.
Toutefois, l’annonce prématurée de catastrophes à venir est devenue une technique- parapluie habile, une pirouette-dédouanement bien rôdée ; d’autant que la réforme aura alors bon dos pour expliquer et faire excuser les imprévisions et les flops de planification de flux d’élèves ou de cohortes mal orientées, comme le disent si bien statisticiens et autres « orientateurs »scolaires.
Faire entrer la démocratie à l’école : n’est-ce pas changer la nature du système ?
En un mot comme en mille, faire entrer la démocratie à l’école, c’est quoi ?
Quel type d’enseignement ou quelles nouvelles pratiques et organisation du système scolaire et/ou de la classe, cela va-t-il provoquer ? Quelles conséquences cela va-t-il entraîner sur le système éducatif dans son ensemble? Les programmes, les horaires et les méthodes pédagogiques ?
Quels effets sur la société, qui vit un déficit de démocratie chronique et manifeste, depuis si longtemps ? Dans une génération ou deux, parce que c’est en génération qu’il faudra évaluer les effets prévisibles d’une aussi importante décision, quel sera le visage de la société algérienne ?
Quelles conséquences sur la vie politique, où les partis sont voués à la disparition à terme, sauf s’ils ont l’heur d’appartenir à la Sainte Alliance ou à l’immense Parti Unique , né après octobre 1988, et constitué par ce que les algériens appellent pudiquement le système ou les services ?
Quelles retombées – nous ne parlons pas en termes de gourdins – sur les syndicats autonomes, dont ceux des enseignants sont les plus remuants, au point de ne savoir rien faire d’autre, comme à Constantine ou ailleurs, que d’aller se faire bastonner, par leurs anciens élèves, nouvellement recrutés par la police ? Ou, plus prés de nous, les participantes et participants au sit-in de soutien aux contractuels grévistes de la faim, se sont vus, non seulement refuser l’accès au Ministère de l’éducation nationale, mais ont gouté au langage châtié de l’insulte et du gourdin. Quelle belle leçon de démocratie en acte donnée par le Ministre et ses gardes ! Dont un commis méprisant, aussi bien pour le citoyen que pour les enseignants contractuels, lorsqu’il déclare que les grévistes ne sont que « des citoyens en grève de la faim » !
A-t-on pensé aux troubles psychologiques qui frapperaient nos enfants, lorsqu’en sortant de « l’école démocratique », il leur venait à l’esprit d’appliquer ce que l’on vient de leur enseigner et de se retrouver face à une brigade anti manif, comme cela s’est déjà passé en mai?
Ou plus simplement en voyant leurs enseignants interdits de marcher ou de s’asseoir, pour réclamer les droits qui leur sont dus ?
Ou leurs parents, ne pas aller voter au prochain référendum, comme ils l’ont fait aux dernières élections ; et les entendre dire que « de toutes les façons cela ne servait à rien, puisque tout est combiné à l’avance ».
Belle leçon de contradictoire démocratie, puisque l’école et la société au lieu d’évoluer ensemble, jouent chacune dans son pré carré, en ignorant l’autre, à cause des lois de la République, démocratique et populaire, soit dit en passant.
Mahfoud Bennoune
in Education, culture et développement en Algérie. P.58
Il y a quelques temps, le Ministre de l’Education nationale a annoncé, contre toute attente, qu’il allait « faire entrer la démocratie à l’école ». La démocratie serait-elle devenue une nouvelle matière que nos maîtres auraient à enseigner à nos enfants à la prochaine rentrée scolaire ? Alors que tout le monde sait que la démocratie est un long processus qui produit une forme de culture consacrant la liberté de l’homme et un type de rapport entre gouvernants et gouvernés !
Déjà à ce niveau, surgit comme une énorme interrogation et se profile un colossal paradoxe. Comment des enseignants, chaque fois que leur est venue l’ irrépressible et légitime envie de réclamer leurs droits, en manifestant pacifiquement, par un innocent sit in, devant le siège de l’une des institutions ayant pouvoir sur rue, s’étant fait tabasser, sans vergogne ni retenue, vont-ils pouvoir expliquer, « in vitro » à nos enfants, la démocratie, les droits de l’homme, du citoyen, de la femme… ou de l’enfant, qui les concerne au premier chef ?
Etonnante proposition ou courageuse décision ?
Mais, examinons de plus prés cette nouvelle et surprenante proposition sortie tout droit, à n’en pas douter, du fameux dossier de la réforme dont tout le monde parle mais qui, comme l’Arlésienne, n’est vue par personne. Un autre processus de démocratie, initié en vase clos, même s’il intéresse tout un peuple, notamment celui des enseignants, des parents d’élèves et surtout des élèves qui n’ont jamais pu donner leur avis à propos d’une réalité qui les regarde au premier chef. Mais comme cela fait partie du secret, de l’opaque et des transparences alambiquées, servies au compte goutte, puisque sécurité d’Etat oblige, attendons patiemment que les révélations nous soient faites. Comme, entre autres, les énormes difficultés qui attendent nos enfants au niveau de l’enseignement moyen à la prochaine rentrée. Difficile situation qui serait due à un télescopage entre l’ancien système et le nouveau, d’une école toujours « démocratiquement » administrée par le haut ; toute chose déjà connue, puisque nous avons connu pareille mésaventure lors de l’application du système de l’école fondamentale.
Toutefois, l’annonce prématurée de catastrophes à venir est devenue une technique- parapluie habile, une pirouette-dédouanement bien rôdée ; d’autant que la réforme aura alors bon dos pour expliquer et faire excuser les imprévisions et les flops de planification de flux d’élèves ou de cohortes mal orientées, comme le disent si bien statisticiens et autres « orientateurs »scolaires.
Faire entrer la démocratie à l’école : n’est-ce pas changer la nature du système ?
En un mot comme en mille, faire entrer la démocratie à l’école, c’est quoi ?
Quel type d’enseignement ou quelles nouvelles pratiques et organisation du système scolaire et/ou de la classe, cela va-t-il provoquer ? Quelles conséquences cela va-t-il entraîner sur le système éducatif dans son ensemble? Les programmes, les horaires et les méthodes pédagogiques ?
Quels effets sur la société, qui vit un déficit de démocratie chronique et manifeste, depuis si longtemps ? Dans une génération ou deux, parce que c’est en génération qu’il faudra évaluer les effets prévisibles d’une aussi importante décision, quel sera le visage de la société algérienne ?
Quelles conséquences sur la vie politique, où les partis sont voués à la disparition à terme, sauf s’ils ont l’heur d’appartenir à la Sainte Alliance ou à l’immense Parti Unique , né après octobre 1988, et constitué par ce que les algériens appellent pudiquement le système ou les services ?
Quelles retombées – nous ne parlons pas en termes de gourdins – sur les syndicats autonomes, dont ceux des enseignants sont les plus remuants, au point de ne savoir rien faire d’autre, comme à Constantine ou ailleurs, que d’aller se faire bastonner, par leurs anciens élèves, nouvellement recrutés par la police ? Ou, plus prés de nous, les participantes et participants au sit-in de soutien aux contractuels grévistes de la faim, se sont vus, non seulement refuser l’accès au Ministère de l’éducation nationale, mais ont gouté au langage châtié de l’insulte et du gourdin. Quelle belle leçon de démocratie en acte donnée par le Ministre et ses gardes ! Dont un commis méprisant, aussi bien pour le citoyen que pour les enseignants contractuels, lorsqu’il déclare que les grévistes ne sont que « des citoyens en grève de la faim » !
A-t-on pensé aux troubles psychologiques qui frapperaient nos enfants, lorsqu’en sortant de « l’école démocratique », il leur venait à l’esprit d’appliquer ce que l’on vient de leur enseigner et de se retrouver face à une brigade anti manif, comme cela s’est déjà passé en mai?
Ou plus simplement en voyant leurs enseignants interdits de marcher ou de s’asseoir, pour réclamer les droits qui leur sont dus ?
Ou leurs parents, ne pas aller voter au prochain référendum, comme ils l’ont fait aux dernières élections ; et les entendre dire que « de toutes les façons cela ne servait à rien, puisque tout est combiné à l’avance ».
Belle leçon de contradictoire démocratie, puisque l’école et la société au lieu d’évoluer ensemble, jouent chacune dans son pré carré, en ignorant l’autre, à cause des lois de la République, démocratique et populaire, soit dit en passant.
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