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Berbères, Apaches et Nez-Percés

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  • Berbères, Apaches et Nez-Percés

    J’ai reçu l’autre jour un courriel tellement épastrouillant que je ne résiste pas au plaisir de vous le soumettre en entier.

    Cher Fouad Laroui,

    Je suis en train d’écrire un article pour un numéro spécial de la revue Passionate, numéro consacré à la question berbère. Je voudrais « mettre en cartes » un certain nombre d’artistes, d’écrivains, de poètes et de publicistes. C’est pourquoi je serai ravi si vous acceptiez de répondre aux questions suivantes :

    1. De quelle région du Maroc êtes-vous et à quelle tribu appartenez-vous ? Si vous n’êtes pas né au Maroc, veuillez indiquer seulement la tribu.
    2. Parlez-vous tamazight, darija (marocain dialectal) ou les deux ?
    3. Pouvez-vous donner en quelques phrases les caractéristiques essentielles de votre tribu ?
    4. Quelles sont les premières associations qui vous viennent à l’esprit quand vous entendez les mots « Berbères » et « Arabes » ?

    Merci pour votre participation, etc.
    Signé : Aziz Aynan


    Au début, j’ai pensé que c’était une blague, un canular. Renseignements pris, ce jeune homme existe vraiment et il est très sérieux. Le fait qu’il retarde d’un siècle ne peut être imputé à son éducation : il a fait de bonnes études. Hélas, il les a faites aux Pays-Bas, où il est né. Bien qu’il se considère comme un Marocain, il ne parle ni un mot d’arabe, ni de tamazight, ni de darija. Il serait bien étonné d’apprendre que Moulay Ismaïl n’est plus le sultan de l’empire chérifien.

    Mais enfin, il faut encourager la jeunesse. J’ai donc pris ma plus belle plume et je me suis concentré très fort pour répondre aux quatre questions de Aziz. Voici le fruit de mes cogitations.

    1. Je suis né dans l’Oriental (région marocaine) mais c’était par hasard, car mon père, fonctionnaire, avait été muté là-bas par l’État marocain. Avait-il reçu la bénédiction de son chef de tribu, du chaman et du rebouteux ? Je ne suis pas, hélas, en mesure de répondre à ces graves interrogations. À quelle tribu appartiens-je ? Je suis probablement un Apache, car j’ai remarqué que dans les films de cow-boys, ma sympathie allait toujours vers ces malheureux Indiens auxquels on avait volé leurs terres et qu’en plus on massacrait allègrement. Comment ? Vous me dites qu’il n’y a pas d’Apaches au Maroc ? Quel dommage. Alors disons que je suis un Aït Yafelman, j’aime bien ce nom, et d’après mon ami Driss Chraïbi les Aït Yafelman ont longtemps chassé le bison dans les environs d’Azemmour, où mon père est né. Ceci dit, je suis peut-être un Ha Ha, parce qu’en consultant une vieille carte géographique dressée par des explorateurs audacieux d’il y a longtemps, je me suis aperçu que la ville d’Essaouira, où est née ma mère, se trouve entourée par un gros HA HA tracé au stylo-feutre et en grosses lettres.

    2. Parlez-vous tamazight, darija ou les deux ? Les deux. La preuve : had khayna msatti. Ça veut dire « ce type est dingue (pour entreprendre de telles enquêtes) ». Or had khayna, c’est de l’arabe dialectal et msatti du tamazight. Youpi ! Je suis un vrai Marocain.

    3. Les caractéristiques essentielles de ma tribu sont la fierté, la vaillance, la générosité, le sens de l’hospitalité et trois cent quatre-vingt-huit autres qualités que je ne peux citer ici, faute de place. Nous sommes, c’est bien simple, le sel de la terre. Rien à voir avec la tribu d’à côté, tous des voleurs de poules, des fourbes, des ingrats, des rabougris. Quant à la tribu du fond du vallon, je me contenterais de vous faire remarquer qu’ils ont les pieds fourchus, qu’ils ont toujours avec eux un petit trident et qu’ils dégagent une odeur de soufre.

    4. Quand j’entends le mot « Berbères », je propose gentiment à mon interlocuteur de le raccompagner jusqu’à la porte de sa maison de retraite. En effet, depuis 1930 et le fameux Dahir berbère que le protectorat français tenta d’utiliser pour diviser les Marocains, on ne parle plus de Berbères au pays de l’argan. Quand j’entends le mot « Arabes », je pense à la Bagdad des Abbassides, à l’Andalousie, à la poésie ; je pense à une langue belle et souple parlée par trois cents millions de personnes et qui est l’une des langues officielles de l’ONU. En fait, quand j’entends « Berbères et Arabes », j’entends « problème artificiel que des enquêtes comme la vôtre, mon cher Aziz, continuent, hélas, de perpétuer ».

    Fouad Laroui


    Source :Jeune Afrique- 2006
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