«Une nouvelle, c’est la cristallisation d’un instant arbitrairement choisi où un personnage est en conflit avec un autre personnage, avec son milieu ou avec lui-même», écrit William Faulkner (8 janvier 1953).
La littérature algérienne de langue française a produit des nouvellistes de grande valeur, mais qui ne se sont jamais contentés de ce titre. Ce sont généralement aussi- parfois souvent- des poètes ou des romanciers. Le métier de nouvelliste ne peut-il pas exister tout seul sans autre appendice ? En tout cas, dans notre jeune histoire littéraire d’après l’Indépendance, de fortes vocations se sont affirmées dans l’écriture de la nouvelle. Lorsqu’on cite Mouloud Achour, c’est d’abord au nouvelliste que l’on pense. Avec Le Survivant et autres nouvelles, Héliotropes et d’autres titres s’étalant sur plus de vingt-cinq, cet auteur a su pénétrer profondément ce genre et en maîtriser les principaux ressorts. Djamal Amrani, disparu l’année passée, a lui aussi tenté une intéressante expérience avec particulièrement Le Dernier crépuscule (SNED-1978). La génération de l’Indépendance s’est également illustrée avec deux importants recueils de nouvelles : Les Rets de l’oiseleur de Tahar Djaout (ENAL-1984) et La Ceinture de l’ogresse de Rachid Mimouni (Laphomic-1990).
Parmi les écrivains algériens de la génération de la guerre de Libération, certains noms célèbres voient leurs productions de nouvelles quelque peu escamotées par les autres genres dans lesquelles ils ont fort excellé. Nous pensons d’abord à Mohamed Dib qui a réellement touché à tous les genres d’écriture (roman, conte, nouvelle, poésie, théâtre) et à Mouloud Mammeri qui avait publié dans des diverses revues, outre ses productions romanesques, théâtrales et d’études d’anthropologie culturelle, des nouvelles qui ne seront rassemblées qu’en 1995 par les éditions Bouchène sous le titre Escales, un nom qui se trouve être le titre de l’une des nouvelles contenues dans ce recueil. L’esthétique et l’architecture des nouvelles de Mammeri ne sont pas très loin de celles qui fondent ses œuvres romanesques : la condition humaine, le sens du tragique, la recherche de l’authenticité et de l’identité. Mohamed Dib quant à lui imprime les traits réalistes de sa première trilogie romanesque à un grand nombre de ses nouvelles réunies sous les titres Au Café (Gallimard-1955) et Le Talisman (Le Seuil-1966). A propos de ce dernier livre, les éditeurs notent : “Situées dans les temps de guerre ou de paix, parfois dans un temps hors du temps, les nouvelles de Mohamed Dib ont tour à tour la précision amère du néoréalisme, l’ambiguïté d’un univers concret mais ensorcelé (…), le mystère d’un déchiffrement symbolique. Le témoin minutieux de La Grande maison, le poète visionnaire de Qui se souvient de la mer joue ici une grande variété d’écritures mais c’est une même tendresse qui, partout, enveloppe les êtres, la terre, le sens suspendu de la vie».
Dans ce bref aperçu de la nouvelle algérienne de langue française, nous ne pouvons oublier Kaddour M’hamsadji, l’enfant de Sour El Ghozlane, lequel a écrit des nouvelles dont certaines sont de véritables petits romans. Son recueil Fleurs de novembre (SNED-1969) rassemble des compositions datant des années 1950/60. Une autre nouvelle intitulée Les Mouettes de l’éternité est publiée par M’hamsadji dans le magazine Vie algéroise de mai 1990. Combinant phrase élancée et musicale à des tableaux pittoresques, le texte nous fait voyager dans la ville d’Alger, les méandres de son histoire, l’originalité de son architecture et le bleu marine de ses eaux : «Quel serait donc ce jour qui semblait se concevoir dans les échancrures violacées d’un ciel noyé de brume tandis que d’une aile élégante et sûre, les mouettes continuaient de jouer dans l’éternité poétique des saisons ? Elles s’étourdissaient, ces saintes gardiennes, de leurs cris de vierge effarouchée avant de frôler furtivement la souple carapace gris-bleu d’une mer fécondée par de muettes angoisses…». Il faut avouer que certains textes d’auteurs algériens tiennent beaucoup de la technique d’écriture de la nouvelle sans pour autant que la critique littéraire ne les aient pris pour tels. L’exemple le plus frappant est Les Jours de Kabylie de Mouloud Feraoun qui tiennent à la fois du récit, de la chronique et de la nouvelle. De même, la sottie allégorique de Mouloud Mammeri intitulée La Cité du soleil, jointe en annexe à l’entretien que l’auteur a eu avec Tahar Djaout en 1987 (Editions Laphomic) présente certaines caractéristiques de la nouvelle sans qu’elle en soit vraiment une. Elle demeure plutôt une farce ou une sottie comme a bien voulu la dénommer l’auteur.
Signalons également le travail de Christiane Achour consigné dans un livre publié en 2005 aux Editions Métailié sous le titre simple mais expressif : Des Nouvelles d’Algérie. Ce recueil rassemble un certain nombre de nouvelles d’auteurs célèbres ou modestement connus (Mammeri, Tahar Djaout, Aziz Chouaki,…). En tout, ce sont vingt-quatre auteurs qui ont essayé de dire ici l’Algérie à leur façon et qui ont en commun un instrument d’expression : la nouvelle.
Dire le plus avec le moins
Le grand critique Pierre Gamarra écrit dans la prestigieuse revue littéraire Europe : «L’art de la nouvelle est un art d’économie : dire le plus avec le moins. De deux mots, le nouvellier choisit le moindre. Cela donne des œuvres courtes ou assez courtes. On peut convenir d’appeler conte un récit de quelques pages de nouvelle proprement dite, une œuvre plus développée. En vérité, ce n’est pas seulement par le nombre que la nouvelle se distingue d’une narration plus étendue du genre du roman. C’est- entre autres choses- par la brièveté et l’acuité de sa dramaturgie, par un nombre réduit de personnages, par la suppression fréquente ou l’abréviation de certains moments ou éléments d’un récit : introduction, présentation, digressions, conclusion. La nouvelle entre vite en matière, sa chute est souvent rapide, saisissante.» L’art de la nouvelle en Europe remonte au 15e siècle. En Italie, on parlait déjà de novella. En France, elle connaîtra le succès avec Les Cent nouvelles (1456) et L’Heptaméron (1558) de Marguerite de Navarre. La narration spécifique commençait déjà à prendre ses contours : un texte bref, bien conté, bien enlevé, note René Godenne, “sauf chez Marguerite de Navarre qui a tendance à se confiner dans la pochade et le trait divertissant, truculent, à la limite du trivial’’. Au 17e siècle, la composition évolua assez rapidement de façon à créer des histoires plus étendues, plus romanesques, en définitive plus littéraires. Ce sera un “petit roman”, ce qui suppose utilisation de techniques romanesques (intrigues, sous-intrigues, histoires intercalées dans l’aventure principale). En son temps, le roman de Mme de La Fayette, La princesse de Clèves, était considéré comme une nouvelle. Des variantes de nouvelles furent établies par les auteurs : la nouvelle galante, la nouvelle historique, la nouvelle comique, …L’importance que prit ce genre de narration en France avait même, au début du XVIIIe siècle, relégué au second plan le roman. A la fin du XVIIIe siècle, l’association “Nouvelle-anecdote’’ utilisée par les écrivains consacre assez le retour à un type de récit bref, dépouillé, rapide, resserré, au sujet restreint.
Mais c’est au XIXe siècle que la nouvelle allait connaître un essor extraordinaire. A l’époque romantique, note le professeur Henri Lemaître, Charles Nodier d’abord, puis Prosper Mérimée donnèrent à la nouvelle française moderne son caractère spécifique : court récit où le réalisme se combine volontiers avec l’extraordinaire, après eux Maupassant portera la nouvelle à son apogée, comme moyen de condensation de l’esthétique naturaliste, et Villiers de l’Isle-Adam tout en utilisant le terme de conte en fera le mode d’expression d’un merveilleux parfois ironique. Deux raisons peuvent expliquer la fortune de la nouvelle au siècle de Maupassant : d’une part les journaux, les périodiques et les revues publient régulièrement des textes courts, d’où la forte demande de nouvelles ; d’autre part l’écrivain pratique autant, et avec un égal bonheur, l’art du roman comme l’art de la nouvelle : Balzac (Contes drolatiques - 1832/33), Vigny (Servitudes et grandeurs militaires - 1935), Gautier (Nouvelles-1845), Musset (Nouvelles-1948), Nerval (Les filles du feu-1854),…En tout cas, l’abondance de la matière et de la technique offrait une multiplicité de visages pour la nouvelle : récit dramatique, historique, divertissant, psychologique, réaliste ; récit bref, plus étoffé, écrit à la troisième personne ou à la première personne,….
La littérature algérienne de langue française a produit des nouvellistes de grande valeur, mais qui ne se sont jamais contentés de ce titre. Ce sont généralement aussi- parfois souvent- des poètes ou des romanciers. Le métier de nouvelliste ne peut-il pas exister tout seul sans autre appendice ? En tout cas, dans notre jeune histoire littéraire d’après l’Indépendance, de fortes vocations se sont affirmées dans l’écriture de la nouvelle. Lorsqu’on cite Mouloud Achour, c’est d’abord au nouvelliste que l’on pense. Avec Le Survivant et autres nouvelles, Héliotropes et d’autres titres s’étalant sur plus de vingt-cinq, cet auteur a su pénétrer profondément ce genre et en maîtriser les principaux ressorts. Djamal Amrani, disparu l’année passée, a lui aussi tenté une intéressante expérience avec particulièrement Le Dernier crépuscule (SNED-1978). La génération de l’Indépendance s’est également illustrée avec deux importants recueils de nouvelles : Les Rets de l’oiseleur de Tahar Djaout (ENAL-1984) et La Ceinture de l’ogresse de Rachid Mimouni (Laphomic-1990).
Parmi les écrivains algériens de la génération de la guerre de Libération, certains noms célèbres voient leurs productions de nouvelles quelque peu escamotées par les autres genres dans lesquelles ils ont fort excellé. Nous pensons d’abord à Mohamed Dib qui a réellement touché à tous les genres d’écriture (roman, conte, nouvelle, poésie, théâtre) et à Mouloud Mammeri qui avait publié dans des diverses revues, outre ses productions romanesques, théâtrales et d’études d’anthropologie culturelle, des nouvelles qui ne seront rassemblées qu’en 1995 par les éditions Bouchène sous le titre Escales, un nom qui se trouve être le titre de l’une des nouvelles contenues dans ce recueil. L’esthétique et l’architecture des nouvelles de Mammeri ne sont pas très loin de celles qui fondent ses œuvres romanesques : la condition humaine, le sens du tragique, la recherche de l’authenticité et de l’identité. Mohamed Dib quant à lui imprime les traits réalistes de sa première trilogie romanesque à un grand nombre de ses nouvelles réunies sous les titres Au Café (Gallimard-1955) et Le Talisman (Le Seuil-1966). A propos de ce dernier livre, les éditeurs notent : “Situées dans les temps de guerre ou de paix, parfois dans un temps hors du temps, les nouvelles de Mohamed Dib ont tour à tour la précision amère du néoréalisme, l’ambiguïté d’un univers concret mais ensorcelé (…), le mystère d’un déchiffrement symbolique. Le témoin minutieux de La Grande maison, le poète visionnaire de Qui se souvient de la mer joue ici une grande variété d’écritures mais c’est une même tendresse qui, partout, enveloppe les êtres, la terre, le sens suspendu de la vie».
Dans ce bref aperçu de la nouvelle algérienne de langue française, nous ne pouvons oublier Kaddour M’hamsadji, l’enfant de Sour El Ghozlane, lequel a écrit des nouvelles dont certaines sont de véritables petits romans. Son recueil Fleurs de novembre (SNED-1969) rassemble des compositions datant des années 1950/60. Une autre nouvelle intitulée Les Mouettes de l’éternité est publiée par M’hamsadji dans le magazine Vie algéroise de mai 1990. Combinant phrase élancée et musicale à des tableaux pittoresques, le texte nous fait voyager dans la ville d’Alger, les méandres de son histoire, l’originalité de son architecture et le bleu marine de ses eaux : «Quel serait donc ce jour qui semblait se concevoir dans les échancrures violacées d’un ciel noyé de brume tandis que d’une aile élégante et sûre, les mouettes continuaient de jouer dans l’éternité poétique des saisons ? Elles s’étourdissaient, ces saintes gardiennes, de leurs cris de vierge effarouchée avant de frôler furtivement la souple carapace gris-bleu d’une mer fécondée par de muettes angoisses…». Il faut avouer que certains textes d’auteurs algériens tiennent beaucoup de la technique d’écriture de la nouvelle sans pour autant que la critique littéraire ne les aient pris pour tels. L’exemple le plus frappant est Les Jours de Kabylie de Mouloud Feraoun qui tiennent à la fois du récit, de la chronique et de la nouvelle. De même, la sottie allégorique de Mouloud Mammeri intitulée La Cité du soleil, jointe en annexe à l’entretien que l’auteur a eu avec Tahar Djaout en 1987 (Editions Laphomic) présente certaines caractéristiques de la nouvelle sans qu’elle en soit vraiment une. Elle demeure plutôt une farce ou une sottie comme a bien voulu la dénommer l’auteur.
Signalons également le travail de Christiane Achour consigné dans un livre publié en 2005 aux Editions Métailié sous le titre simple mais expressif : Des Nouvelles d’Algérie. Ce recueil rassemble un certain nombre de nouvelles d’auteurs célèbres ou modestement connus (Mammeri, Tahar Djaout, Aziz Chouaki,…). En tout, ce sont vingt-quatre auteurs qui ont essayé de dire ici l’Algérie à leur façon et qui ont en commun un instrument d’expression : la nouvelle.
Dire le plus avec le moins
Le grand critique Pierre Gamarra écrit dans la prestigieuse revue littéraire Europe : «L’art de la nouvelle est un art d’économie : dire le plus avec le moins. De deux mots, le nouvellier choisit le moindre. Cela donne des œuvres courtes ou assez courtes. On peut convenir d’appeler conte un récit de quelques pages de nouvelle proprement dite, une œuvre plus développée. En vérité, ce n’est pas seulement par le nombre que la nouvelle se distingue d’une narration plus étendue du genre du roman. C’est- entre autres choses- par la brièveté et l’acuité de sa dramaturgie, par un nombre réduit de personnages, par la suppression fréquente ou l’abréviation de certains moments ou éléments d’un récit : introduction, présentation, digressions, conclusion. La nouvelle entre vite en matière, sa chute est souvent rapide, saisissante.» L’art de la nouvelle en Europe remonte au 15e siècle. En Italie, on parlait déjà de novella. En France, elle connaîtra le succès avec Les Cent nouvelles (1456) et L’Heptaméron (1558) de Marguerite de Navarre. La narration spécifique commençait déjà à prendre ses contours : un texte bref, bien conté, bien enlevé, note René Godenne, “sauf chez Marguerite de Navarre qui a tendance à se confiner dans la pochade et le trait divertissant, truculent, à la limite du trivial’’. Au 17e siècle, la composition évolua assez rapidement de façon à créer des histoires plus étendues, plus romanesques, en définitive plus littéraires. Ce sera un “petit roman”, ce qui suppose utilisation de techniques romanesques (intrigues, sous-intrigues, histoires intercalées dans l’aventure principale). En son temps, le roman de Mme de La Fayette, La princesse de Clèves, était considéré comme une nouvelle. Des variantes de nouvelles furent établies par les auteurs : la nouvelle galante, la nouvelle historique, la nouvelle comique, …L’importance que prit ce genre de narration en France avait même, au début du XVIIIe siècle, relégué au second plan le roman. A la fin du XVIIIe siècle, l’association “Nouvelle-anecdote’’ utilisée par les écrivains consacre assez le retour à un type de récit bref, dépouillé, rapide, resserré, au sujet restreint.
Mais c’est au XIXe siècle que la nouvelle allait connaître un essor extraordinaire. A l’époque romantique, note le professeur Henri Lemaître, Charles Nodier d’abord, puis Prosper Mérimée donnèrent à la nouvelle française moderne son caractère spécifique : court récit où le réalisme se combine volontiers avec l’extraordinaire, après eux Maupassant portera la nouvelle à son apogée, comme moyen de condensation de l’esthétique naturaliste, et Villiers de l’Isle-Adam tout en utilisant le terme de conte en fera le mode d’expression d’un merveilleux parfois ironique. Deux raisons peuvent expliquer la fortune de la nouvelle au siècle de Maupassant : d’une part les journaux, les périodiques et les revues publient régulièrement des textes courts, d’où la forte demande de nouvelles ; d’autre part l’écrivain pratique autant, et avec un égal bonheur, l’art du roman comme l’art de la nouvelle : Balzac (Contes drolatiques - 1832/33), Vigny (Servitudes et grandeurs militaires - 1935), Gautier (Nouvelles-1845), Musset (Nouvelles-1948), Nerval (Les filles du feu-1854),…En tout cas, l’abondance de la matière et de la technique offrait une multiplicité de visages pour la nouvelle : récit dramatique, historique, divertissant, psychologique, réaliste ; récit bref, plus étoffé, écrit à la troisième personne ou à la première personne,….
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