Le 2 septembre dernier, le bureau APS de Washington balançait sur le fil de l’agence une dépêche pour le moins étonnante, annonçant la fin, à la fameuse Smithsonian National Portrait Gallery, d’une exposition consacrée à une certaine Zaïda Ben-Yusuf, présentée par notre confrère comme « une avant-gardiste algérienne méconnue du Monde arabe » et comme « l’une des meilleures photographes de son époque » selon les propos de Frank Goodyear, directeur de la galerie. Un véritable météorite, y compris pour les connaisseurs de l’histoire de la photographie qui jamais n’avaient entendu prononcer ce nom, au point que l’un d’entre eux nous avoua avoir pensé d’abord à un canular. Il n’en était rien. Il se trouve seulement que Zaïda Ben-Yusuf est non seulement inconnue de l’Algérie et du Monde arabe, mais également des Etats-Unis où sa carrière pourtant prestigieuse, était tombée dans l’oubli.
La Smithsonian National Portrait Gallery qui est une institution muséale, en exhumant la mémoire de cette artiste, a donc fait preuve à la fois d’originalité et de pertinence à travers une sorte de scoop patrimonial pour l’histoire de la photographie mais également des Etats-Unis. La biographie éditée à cette occasion, fournit des éléments intéressants sur la vie et l’œuvre de Zaïda que nous avons complétés par quelques autres sources. Aînée de sa famille, Zaïda Ben-Yusuf est née le 21 novembre 1869 à Londres. Elle était la fille d’Anna Kind, originaire de Berlin, institutrice de profession qui, par la suite, sera l’auteure de quelques ouvrages dont un manuel d’art destiné autant aux professionnels qu’aux amateurs. Ce fait indique que la mère de Zaïda avait un lien avec l’art et on peut supposer que celui-ci ait influencé la fille. C’est par le père de Zaïda que s’établit la filière algérienne. De ce dernier, nous savons qu’il est né en Algérie et se nommait à l’état-civil Mustapha Moussa Ben-Youseph Nathan, ce qui indique une origine juive sépharade.
Pour l’administration anglaise, il était listé comme « gentleman » sur les registres de la commune de Hammersmith, au sud de Londres. On sait également qu’il était lettré puisqu’il était inscrit à la prestigieuse université de Cambridge mais ne put achever ses études. La biographie de la Smithsonian NPG le désigne comme Mustapha Ben-Yusuf. L’évacuation de la deuxième partie de son nom de famille, Nathan, mais surtout de son deuxième prénom, Moussa (soit Moïse en arabe) est pour le moins étonnante, sans compter le passage de « Youseph », plus proche de Joseph en hébreu, à « Yusuf », plus proche de Youssef en arabe.
De plus, une de ses occupations consistait à donner des conférences sur « la culture arabe » à la Moslem Mission Society de Londres. Et certaines biographies, sans citer leurs sources, le présentent même comme musulman. S’agit-il d’une erreur fondée sur l’arabité de son identité ? Etait-il simplement un passionné d’histoire et de culture musulmane comme beaucoup d’intellectuels issus de familles juives sépharades qui ont poursuivi longtemps après, de générations en générations, la manne andalouse ? Ou s’était-il converti à l’Islam comme cela s’était produit dans quelques cas, rares mais avérés ? Il reste que la sélection des éléments de son identité au profit de ceux d’origine arabe apparaît comme un indice révélateur ou du moins troublant.
Si l’on dispose d’informations limitées sur le père, on sait en revanche, et de manière sûre, que Zaïda (en arabe, la « née »), n’avait retenu également que les éléments arabes de son identité puisqu’elle se nommait à l’état-civil Esther Zeghdda Ben Youseph Nathan mais se présentait toujours« Zaïda Ben-Yusuf » comme en attestent les affiches, articles, cartons d’invitations et correspondances qu’elle avait elle-même conçus ou rédigés. Voulait-elle simplement susciter un certain exotisme favorable à sa notoriété en se donnant une origine qui coïncidait avec la vogue orientaliste alors à son apogée ? A voir… Cette exposition permettra, peut-être, de lancer des recherches sur sa famille comme sur la vie et l’œuvre de Zaïda et d’en préciser les contours. Cela dit, la propension dans la famille à mettre en avant les éléments d’une algérianité, ou du moins d’une arabité, entendue culturellement, semble bien établie.
Au-delà des origines, Zaïda Ben-Yusuf apparaît avant tout comme un personnage haut en couleur, qui a construit sa personnalité sur le noir et blanc de ses clichés. Photographe talentueuse, elle était aussi un personnage et une figure de proue du Tout New York, au point où le directeur de la Smithsonian a déclaré : « Ses origines ainsi que son élégance ont fait d’elle une artiste distinguée à New York. Son style innovant dans la photographie a attiré la haute classe new-yorkaise dont des acteurs, écrivains, peintres et politiques ». Recherchée par l’establishment et la jet-set de l’époque, elle faisait partie aussi de cette dernière. Mais elle devait cela d’abord à son art. Elle a été une pionnière du portrait photographique, dans le sens où elle avait rompu avec le style de ses collègues qui, pour la plupart, faisaient encore poser leurs sujets dans la rigidité propre aux peintures européennes les plus classiques. Elle mettait en scène ses sujets, dans des univers qui les exprimaient au mieux, avec quelques accessoires de décor éloquents mais surtout un art du cadrage, de la lumière et une recherche de l’expressivité qui la situent comme un maître de l’art et un précurseur de la photographie contemporaine. Aujourd’hui, la plupart des photographes actuels se mettent eux-mêmes en image, prônant une implication directe de l’artiste (parfois discutable ou exagérée quand elle n’est qu’effet de mode) dans son œuvre. Zaïda le faisait déjà en son époque.
La reine du portrait
Signalons qu’après le divorce de ses parents, elle était restée à Londres où son père, remarié et devenu distributeur d’aliments, aura un fils, mort-né, et une fille qu’il nommera aussi Zaïda, illustrant encore la force du lien avec sa première fille. Zaïda s’installe à New York en 1895. Sa mère est déjà établie à Boston depuis 1891 en tant que modiste avec la benjamine, Perle, les autres sœurs, Heïdi et Leïla n’étant pas localisées par la biographie. Après une année dans la mode (comme sa mère), Zaïda entame brillamment sa carrière photographique. On ignore où elle a appris son métier mais c’est sans doute à Londres car, très vite, sa notoriété monte en flèche. Comme tout au long de sa vie, elle pratiquera son art en écrivant et en publiant simultanément des articles et essais sur la photographie, l’art et d’autres sujets. Cette double action sur l’image et l’écrit lui permet d’expliquer, de théoriser et de promouvoir son œuvre. Elle est un des premiers photographes au monde à écrire sur son travail qu’elle situe « entre le radicalisme de certains photographes des beaux-arts et le prosaïsme de la plupart des photographes commerciaux ». Et c’est, encore une fois, une définition avant l’heure des tendances les plus contemporaines de la photographie.
La Smithsonian National Portrait Gallery qui est une institution muséale, en exhumant la mémoire de cette artiste, a donc fait preuve à la fois d’originalité et de pertinence à travers une sorte de scoop patrimonial pour l’histoire de la photographie mais également des Etats-Unis. La biographie éditée à cette occasion, fournit des éléments intéressants sur la vie et l’œuvre de Zaïda que nous avons complétés par quelques autres sources. Aînée de sa famille, Zaïda Ben-Yusuf est née le 21 novembre 1869 à Londres. Elle était la fille d’Anna Kind, originaire de Berlin, institutrice de profession qui, par la suite, sera l’auteure de quelques ouvrages dont un manuel d’art destiné autant aux professionnels qu’aux amateurs. Ce fait indique que la mère de Zaïda avait un lien avec l’art et on peut supposer que celui-ci ait influencé la fille. C’est par le père de Zaïda que s’établit la filière algérienne. De ce dernier, nous savons qu’il est né en Algérie et se nommait à l’état-civil Mustapha Moussa Ben-Youseph Nathan, ce qui indique une origine juive sépharade.
Pour l’administration anglaise, il était listé comme « gentleman » sur les registres de la commune de Hammersmith, au sud de Londres. On sait également qu’il était lettré puisqu’il était inscrit à la prestigieuse université de Cambridge mais ne put achever ses études. La biographie de la Smithsonian NPG le désigne comme Mustapha Ben-Yusuf. L’évacuation de la deuxième partie de son nom de famille, Nathan, mais surtout de son deuxième prénom, Moussa (soit Moïse en arabe) est pour le moins étonnante, sans compter le passage de « Youseph », plus proche de Joseph en hébreu, à « Yusuf », plus proche de Youssef en arabe.
De plus, une de ses occupations consistait à donner des conférences sur « la culture arabe » à la Moslem Mission Society de Londres. Et certaines biographies, sans citer leurs sources, le présentent même comme musulman. S’agit-il d’une erreur fondée sur l’arabité de son identité ? Etait-il simplement un passionné d’histoire et de culture musulmane comme beaucoup d’intellectuels issus de familles juives sépharades qui ont poursuivi longtemps après, de générations en générations, la manne andalouse ? Ou s’était-il converti à l’Islam comme cela s’était produit dans quelques cas, rares mais avérés ? Il reste que la sélection des éléments de son identité au profit de ceux d’origine arabe apparaît comme un indice révélateur ou du moins troublant.
Si l’on dispose d’informations limitées sur le père, on sait en revanche, et de manière sûre, que Zaïda (en arabe, la « née »), n’avait retenu également que les éléments arabes de son identité puisqu’elle se nommait à l’état-civil Esther Zeghdda Ben Youseph Nathan mais se présentait toujours« Zaïda Ben-Yusuf » comme en attestent les affiches, articles, cartons d’invitations et correspondances qu’elle avait elle-même conçus ou rédigés. Voulait-elle simplement susciter un certain exotisme favorable à sa notoriété en se donnant une origine qui coïncidait avec la vogue orientaliste alors à son apogée ? A voir… Cette exposition permettra, peut-être, de lancer des recherches sur sa famille comme sur la vie et l’œuvre de Zaïda et d’en préciser les contours. Cela dit, la propension dans la famille à mettre en avant les éléments d’une algérianité, ou du moins d’une arabité, entendue culturellement, semble bien établie.
Au-delà des origines, Zaïda Ben-Yusuf apparaît avant tout comme un personnage haut en couleur, qui a construit sa personnalité sur le noir et blanc de ses clichés. Photographe talentueuse, elle était aussi un personnage et une figure de proue du Tout New York, au point où le directeur de la Smithsonian a déclaré : « Ses origines ainsi que son élégance ont fait d’elle une artiste distinguée à New York. Son style innovant dans la photographie a attiré la haute classe new-yorkaise dont des acteurs, écrivains, peintres et politiques ». Recherchée par l’establishment et la jet-set de l’époque, elle faisait partie aussi de cette dernière. Mais elle devait cela d’abord à son art. Elle a été une pionnière du portrait photographique, dans le sens où elle avait rompu avec le style de ses collègues qui, pour la plupart, faisaient encore poser leurs sujets dans la rigidité propre aux peintures européennes les plus classiques. Elle mettait en scène ses sujets, dans des univers qui les exprimaient au mieux, avec quelques accessoires de décor éloquents mais surtout un art du cadrage, de la lumière et une recherche de l’expressivité qui la situent comme un maître de l’art et un précurseur de la photographie contemporaine. Aujourd’hui, la plupart des photographes actuels se mettent eux-mêmes en image, prônant une implication directe de l’artiste (parfois discutable ou exagérée quand elle n’est qu’effet de mode) dans son œuvre. Zaïda le faisait déjà en son époque.
La reine du portrait
Signalons qu’après le divorce de ses parents, elle était restée à Londres où son père, remarié et devenu distributeur d’aliments, aura un fils, mort-né, et une fille qu’il nommera aussi Zaïda, illustrant encore la force du lien avec sa première fille. Zaïda s’installe à New York en 1895. Sa mère est déjà établie à Boston depuis 1891 en tant que modiste avec la benjamine, Perle, les autres sœurs, Heïdi et Leïla n’étant pas localisées par la biographie. Après une année dans la mode (comme sa mère), Zaïda entame brillamment sa carrière photographique. On ignore où elle a appris son métier mais c’est sans doute à Londres car, très vite, sa notoriété monte en flèche. Comme tout au long de sa vie, elle pratiquera son art en écrivant et en publiant simultanément des articles et essais sur la photographie, l’art et d’autres sujets. Cette double action sur l’image et l’écrit lui permet d’expliquer, de théoriser et de promouvoir son œuvre. Elle est un des premiers photographes au monde à écrire sur son travail qu’elle situe « entre le radicalisme de certains photographes des beaux-arts et le prosaïsme de la plupart des photographes commerciaux ». Et c’est, encore une fois, une définition avant l’heure des tendances les plus contemporaines de la photographie.
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