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Le Ramadhan est là, la misère, la détresse aussi

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  • Le Ramadhan est là, la misère, la détresse aussi

    Cela se passait le cinquième jour du Ramadhan de ce caniculaire début du mois de septembre à Tessala El Merdja, non loin de Boufarik.

    Il est quatorze heures passées, les mosquées ont déversé leurs flots de fidèles dont la plupart sacrifieront à la coutumière sieste, pour déambuler dans les marchés. Tout se vend et s'achète. Les boucheries sont prises d'assaut, la viande de veau caracole entre 650,00 et 850,00 DA, celle de l'ovin à 650,00 DA. La chaleur ambiante suscite la soif, les outres de jus de citronnade ou d'orangeade sont remplies et cédées dans un incessant carrousel. Cette acquisition aidera à calmer les gorges sèches en attendant la rupture du jeûne. Le pain, à qui on fait faire des caprices, du rond au torsadé, de la flûte à la fougasse, du grenelé à l'anis au pain d'orge, fait fantasmer. On en prend toujours en plus, on ne sait jamais. La poubelle, elle, le sait.

    Les grosses prunes ibériques et les pêches croisées font rêver et ma foi, un caprice à 300,00 DA n'est jamais trop cher pour le plaisir du palais. Le gros noir, la figue fraîche dépassent la barre des 120.00 DA. Certains achètent à pleine malle, beaucoup regardent en faisant semblant de flâner.

    Assise dans une encoignure à même le sol, une femme entre deux âges, un malingre bébé dans les bras, fait la manche. On n'y prête pas beaucoup attention jusqu'à ce que sa fillette âgée d'à peine cinq ou six ans vous aborde d'une voix plaintive, tendant la main. Ses yeux noirs expriment tout le désarroi d'une enfance ballottée entre les affres du dénuement et l'ignominie de la rue. Elle est chargée des incursions en dehors du giron de sa maman. Bien habillée, elle aurait pu être belle. Bien née, elle habiterait Bouzaréa, la rue d'Arzew ou la Brèche; ce n'est en fait qu'un ironique jeu du sort à l'instar de la roulette russe en somme. On aurait annoncé dans la presse sa naissance, ses anniversaires, ses succès aux examens scolaires, ses fiançailles et son mariage. Sa vie aurait était pleine et heureuse. A moins d'un conte de fées, son sort est scellé et probablement à jamais. Où vont-ils aller, son petit frère, elle et leur mère après la rupture du jeûne, quand tout le monde sera attablé autour d'une table où il n'y aura plus de place pour les mets et les entremets de circonstance ? Dieu seul, le sait.

    D'où viennent ces silhouettes minées par la déchéance sociale ? Leur descente aux enfers a dû commencé par la disqualification matérielle ou la disparition physique du chef de famille. L'opulente Mitidja a, dans ses soubresauts de violence, laissé beaucoup de damnés en rade. Haouch Grau n'est pas si loin du lieu où évoluent ces hères. En laissant sciemment gambader l'esprit, on peut supputer que cette famille à la dérive, est issue de l'un de ces hommes qui ont pris le parti de défendre le pays en péril sans aucune garantie politique et sociale subséquente. Beaucoup de ces chevaliers de la liberté se sont retrouvés coincés entre une intime conviction et un désaveu qui ne dit pas son nom. Ce père de famille mort dans un accrochage ou handicapé à vie nous lègue sa descendance, croyant dur comme fer que le pays reconnaissant saura la prémunir des lendemains incertains. Oh que non ! Il n'aura même pas la reconnaissance du martyr ou le statut de résistant.

    La zelabia reine des soirées ramadanesques comme on se plaît à le répéter, est dégoulinante de assila. Elle prend toutes les formes et répond à tous les goûts. Elle constituera le plus souvent des fonds d'assiette aigrelets. Le l'ben et dérivés sont plus que jamais de mise, ils rappellent au jeûneur les beaux jours d'avant le Ramadhan.

    On se rend soudain compte que l'on passe souvent à côté des plaisirs de la table en dehors de cette privation d'ordre religieux. Pas très loin, à une encablure d'ici, la ville des roses s'apprête à la grande fête footballistique. Le stade vêtu des oripeaux de circonstance attend la foule des grands jours. Les oriflammes et étendards battent au vent. D'immenses banderoles rappellent, dans une syntaxe approximative, l'attachement indéfectible aux fennecs.

    Des jeunes et des moins jeunes braveront la faim et la soif pour venir remplir les gradins du stade, bien avant l'heure de rupture du jeûne; après quoi tout coulera à flots. Les bienfaiteurs salafistes et autres feront des prouesses de générosité et de solidarité agissante. Ce sera un Djihad pour la Nation reconnaissante. Les joutes ne débuteront qu'à vingt deux (22) heures. On est venu de: Tizi, Chlef, Sour El-Ghozlane, Cherchell et d'ailleurs. Tout repose sur les épaules d'un seul homme. Si Rabah et ses hommes seront les GLD d'une soirée, face à une foule que rien ne peut contrôler si ce n'est une victoire sportive à la limite de l'immatériel. Le gourou du soir n'est autre que le Sénégal, le bourreau d'une ancienne puissance coloniale qu'il n'est nul besoin de nommer.

    Les tribunes survoltées par 40.000 voix et illuminées de mille feux accueillent les dieux du stade. La foule bigarrée et hurlante est en transe; des carrés multicolores s'agitent telle la houle. Le modeste carré des supporters sénégalais, des étudiants pour la plupart, brave la galerie algérienne. Après le premier half vierge, le doute commence à s'installer. Les clameurs du public ne perdent rien en intensité, l'espoir fait vivre. A la reprise, une banderille sénégalaise transperce le corps des fennecs; Si Rabah se lève et bat des mains. Mais il ne se sent pas encore battu. A peine quelques minutes après cet «affront», Bezaz dans un dribble époustouflant porte une première estocade. Le stade est en délire... la femme des Quatre chemins a dû regagner sa tanière. Il ne fait pas encore froid, elle n'a pas encore besoin de couvertures pour sa progéniture.

    Le jeu devient plaisant et la galerie nourrit l'espoir que les patriotes gagneront cette manche. Le virevoltant Saïfi des «chenoua» confirme par un imparable heading; c'est l'euphorie générale. Si Rabah et ses assistants mâchonnent nerveusement leur chewing-gum. Pendant ce temps, le bébé malingre brame de faim... sa mère n'a pas assez de lait. Les Sénégalais pas du tout démontés marquent un deuxième but dans les temps morts. Allions-nous au nul partout ? Si Rabah avait froid partout, il se rappelait sans doute l'histoire de Haouch Grau... avec tous ses reniements. Mais sait-on jamais... Ramadhan karim ! Sorti on ne sait d'où, Antar Yahia, prédestination du nom ou simple hasard, porte l'estocade fatale tel un franc-tireur des GLD. Le Sénégal mordait la poussière pour la troisième fois. Quel bonheur pour la galerie en délire qui n'a pas goûté aux glorioles de la victoire depuis probablement la Coupe d'Afrique des Nations de cheikh Kermali. Les lampions du stade Tchaker se sont éteints, la fête est dans la rue. Les cortèges automobiles, toutes voiles dehors et klaxons en furie, transpercent de leurs optiques lumineuses le noir de cette nuit bénie. Sans cette inespérée victoire, Si Rabah serait, à l'heure qu'il est, livré aux gémonies de l'isolement.

    La petite mendiante tirée de son sommeil par les bruits de la fête, partait inconsciemment d'un: One, two, three, viva l'Algé... et retombait dans son sommeil qui ne pouvait être que celui du juste. La rentrée scolaire est très proche, la petite fille n'ira certainement pas à l'école. Elle n'a même pas la chance d'avoir été un garçon, qui aura probablement, lui, celle de jouer au foot et de devenir une star un jour. Elle alimentera encore ces cohortes d'illettrées livrées, le plus souvent, à la dépravation du commerce du corps. Croisons tout de même les doigts, sait-on jamais !

    Par Farouk Zahi, le Quotidien d'Oran

  • #2
    Merci pour ce poste qui donne froid au dos.

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