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Obama, McCain, dites-moi ce que vous lisez !, par Karim Emile Bitar

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  • Obama, McCain, dites-moi ce que vous lisez !, par Karim Emile Bitar

    Les analystes font feu de tout bois pour tenter de cerner la personnalité des deux hommes susceptibles d'occuper bientôt le bureau ovale du président des Etats-Unis. Mais le lissage excessif des discours, la crainte du faux pas et la volonté des deux hommes de ne guère s'écarter de la doxa de leurs partis respectifs font qu'il est peu utile de faire l'exégèse des programmes électoraux ou des allocutions officielles. Quittons donc un instant les "spin doctors" de Washington, souvenons-nous du dicton : "Dites-moi ce que vous lisez, je vous dirai qui vous êtes", et penchons-nous sur les influences littéraires et intellectuelles qu'ont pu subir Barack Obama et John McCain, d'autant plus qu'ils confient tous deux être de voraces lecteurs.

    Analyser les caractères ou prédire les comportements futurs en fonction des lectures n'est certes pas une science exacte, mais peut néanmoins permettre de dévoiler des pans cachés de la personnalité des candidats. On ne peut comprendre certaines prises de positions atypiques du général de Gaulle si l'on ne se souvient qu'il était imprégné de Chateaubriand, Barrès et Péguy, et qu'il a puisé chez chacun d'entre eux de quoi nourrir sa "certaine idée de la France".

    En 1981, nombreux étaient les conservateurs qui, lisant le programme commun de la gauche et écoutant les discours enfiévrés de François Mitterrand, imaginaient déjà les chars soviétiques défilant sur les Champs-Elysées. Ils auraient pu se rassurer en se rappelant que le candidat qui voulait "changer la vie" avait grandi en lisant Claudel, Bernanos ou La Revue des deux mondes dans l'atmosphère mauriacienne du marais saintongeais. Le fervent lecteur de Chardonne et de Léautaud n'avait pas vraiment le profil de quelqu'un qui permettrait la soviétisation de cette "France profonde" dont il était nourri.

    A diverses occasions, Barack Obama et John McCain ont fait au fil des ans quelques confidences, et nous avons ainsi pu découvrir quels romans avaient marqué leurs adolescences, mais aussi quels essais ils avaient lus durant les dernières semaines.

    Tous deux sont de grands admirateurs d'Ernest Hemingway. Mais pour John McCain, Hemingway l'aventurier romantique et solitaire est plus qu'un auteur de prédilection, c'est l'écrivain fétiche, le compagnon de toute une vie, des bons et des mauvais jours. A 13 ans, l'adolescent fougueux s'est choisi pour modèle Robert Jordan, le héros antifasciste de Pour qui sonne le glas. Ce dernier avait tout pour plaire à M. McCain : esprit chevaleresque, sens du devoir, expertise reconnue dans les opérations secrètes, maniement des explosifs et art de la guerre en général. Jordan est animé par une hantise de la capitulation, et préfère mourir ou se suicider plutôt que de tomber entre des mains ennemies.

    De même, John McCain est persuadé, nonobstant les amalgames, d'être engagé dans une lutte existentielle contre ce qu'il estime être un nouveau "fascisme". Comme Jordan, John McCain méprise les troisièmes voies, et ne perçoit d'autre alternative à la reddition qu'un combat jusqu'à ce que mort s'ensuive. En dehors d'Hemingway, John McCain apprécia les romans d'espionnage de Somerset Maugham et les nouvelles du très militariste Kipling, dont Orwell disait qu'il fut le "prophète de l'impérialisme britannique".

    Barack Obama fut quant à lui marqué par Philip Roth, qui a "aidé à former (sa) personnalité", par le John Steinbeck des luttes sociales, ainsi que par les oeuvres de l'écrivain engagé et catholique tourmenté Graham Greene, surnommé le "Mauriac anglais", et surtout par les fresques historiques empreintes de critique sociale d'Edgar Lawrence Doctorow, l'auteur de Ragtime. Chacun à sa manière, Steinbeck, Greene et Doctorow dépeignent un univers sombre et réaliste. Le monde n'y est jamais en noir et blanc, mais fait de maintes ambivalences, de multiples nuances de gris, entre lesquelles il faut militer inlassablement pour choisir la plus claire. M. Obama fut également pénétré par la lecture d'auteurs radicaux ou d'essayistes empêcheurs de penser en rond. Il a dévoré les oeuvres de Nietzsche, de Frantz Fanon, de Soljenitsyne, de William E. Burghardt Du Bois, ainsi que l'autobiographie de Malcolm X. Mais il est également imprégné par la pensée d'auteurs ayant transcendé la colère dans l'humanisme, comme Primo Levi, Toni Morrison, Doris Lessing, Nelson Mandela, ou encore le pasteur et philosophe moral Reinhold Niebuhr. Ses lectures révèlent une conscience aiguë des problématiques postcoloniales, une curiosité intellectuelle, ainsi qu'un authentique ancrage à gauche, tempéré par un pragmatisme et une réelle ouverture d'esprit.

    Pour ce qui est des lectures récentes, M. McCain a lu Le Retour de l'Histoire et la fin des rêves (Plon, 166 p., 18 euros), le dernier opus de Robert Kagan, alors que M. Obama s'est plongé dans celui de Fareed Zakaria, intitulé The Post-American World (W.W. Norton & Company, 288 p.). Cette opposition entre Kagan et Zakaria est assez symbolique du choix qui se présente aux électeurs, et révélatrice des préoccupations des candidats. Kagan continue de croire aux politiques de puissance et aux vertus de l'interventionnisme musclé pour maintenir coûte que coûte la suprématie américaine. Fareed Zakaria pense que seule une nouvelle approche - fondée sur un multilatéralisme garant de la prospérité commune - permettra de sauvegarder les intérêts supérieurs des Etats-Unis.

    Dans la remarquable série télévisée "The West Wing" (A la Maison Blanche), le président des Etats-Unis, Jed Bartlet, incarné par le très radical Martin Sheen, est un intellectuel d'envergure internationale, Prix Nobel d'économie, d'obédience keynésienne. S'il sait faire preuve quand il le faut d'un implacable réalisme, il n'en est pas moins un authentique progressiste, qui connaît ses classiques. L'ultime épisode de la série nous montre le déménagement des effets personnels du président sortant. La caméra s'attarde l'espace de deux secondes à peine sur un ouvrage en particulier, dont le téléspectateur a tout juste le temps de découvrir le titre : Il faut défendre la société, le cours de Michel Foucault au Collège de France en 1975-1976, réflexion sur la résistance au flicage, à la surveillance généralisée et aux racismes d'Etat !

    Clin d'oeil du facétieux scénariste Aaron Sorkin : le philosophe français radical, qui a consacré son oeuvre aux exclus, aux marginaux, aux prisonniers et à toutes les périphéries écrasées, Foucault, l'analyste subversif de la folie et de la sexualité, le contestataire éternel, trônait benoîtement sur une étagère de ce bureau ovale, coeur battant de l'Empire en état d'hubris ! Face au Patriot Act, face à l'invasion illégale de l'Irak, face à Abou Ghraib et à Guantanamo, pouvait-on imaginer meilleur antidote que Michel Foucault ?

    Dans la série, le candidat qui succède à Bartlet a pour nom Matt Santos. Pour construire son personnage, les auteurs ont avoué s'être inspirés de l'itinéraire de Barack Obama. Mais si la roche Tarpéienne est proche du Capitole, Washington est bien loin d'Hollywood. Michel Foucault ne pénétrera jamais dans le bureau ovale. Quel que soit l'élu, il devra donner des gages à l'orthodoxie et défendre les intérêts bien compris de l'establishment. Il n'en reste pas moins qu'une élection de M. Obama permettrait pour la première fois à un souffle de cosmopolitisme d'aérer quelque peu une Maison Blanche qui a besoin d'une nouvelle hygiène intellectuelle.

    Consultant, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et directeur de la revue "L'ENA hors les murs".
    Karim Emile Bitar
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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