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L'Algérien face à la pierre

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  • L'Algérien face à la pierre

    Tout le monde porte la ceinture de sécurité dans une voiture au plus tard une fois les portes fermées ou quelques mètres parcourus. En Algérie, c'est peut-être la seule loi qui est respectée à la lettre grâce aux nombreux virages «motardisés». La loi, chez nous étant une affaire de virage depuis l'aube des temps nouveaux. Presque tous les automobilistes décrochent le téléphone mobile en l'absence d'un barrage de police ou de gendarmerie et parlent d'une main, pendant qu'à l'autre main revient la charge de la conduite juste pour «vivre la vie», exercice réussi pour futurs manchots, mais combien dangereux pour la circulation. Cela est interdit aussi mais difficilement constatable dans un jeu amusant opposant le gendarme au voleur, un jeu habituellement consacré aux seuls enfants. «Barrage, barrage je te rappelle» ou «alors reste en ligne !». Les prétextes ne manquent pas pour décrire l'Algérien devant les esquives face à la loi. Pour nous décrire.

    Observons-nous dans une situation d'attente

    Quand le savant utilise sa Science l'Algérien utilise son ignorance. Elle devient alors de fait une arme contre la file pour gagner du temps et passer avant la masse oblongue par nécessité administrative. Il fait semblant de se gratter la tête ou de caresser sa barbe hirsute, ou aère fièrement ses tatouages pour exposer sa capacité de nuisance, quand il se dit homme. Quand il se dit femme, il arrange continuellement un foulard qui conserve sa féminité religieuse déposée au fond de la racine de ses cheveux, chauffée par un effet de serre, fuit les regards accusateurs de la foule orientés vers un mur pour transférer la culpabilité vers Dieu au-delà d'une muraille maintes fois repeinte. Dans tous les cas, il ne cesse de souffler en un rythme cadencé entre deux appels à Allah, signe de fatigue, mais source d'expiation de fautes à venir.

    L'économie du temps sert généralement à optimiser une journée, à faire avancer un projet, à répondre à des impératifs familiaux ou professionnels, ce qui dans notre cas demeure à la charge d'autrui venu apporter son aide au pays avec pour contrepartie une mondialisation mineure, minorée à merci. C'est là que nous passons dans l'art de transformer une chaîne en grappe de raisin, un parking en un souk pour voitures usagées, un moyen de transport en une cohue sans fondement historique, une discussion à deux en un débat houleux, un doute en une cour de cassation.

    La queue ne représente pour nous que l'expression d'une régression par définition négative, appartenant à des peuples de mer, profitant de nos pauses pour parcourir l'oubli de nos mémoires. C'est une affaire extérieure à nos coutumes nomades, habitués que nous sommes aux grands espaces sans frontières apparentes, sans Etat transparent.

    A l'intérieur, profitant d'un isolement qui nous arrange, nous créons la confusion pour conserver à la fraternité sa légende suicidaire. Nous savons déformer les queues par ignorance de l'autre, les allonger pour mieux se faufiler derrière les âges, les tordre par test chorégraphique, les chauffer pour détourner l'attention et en faire l'inverse du sens de la priorité. Nous savons ruser avec l'Histoire en reléguant les vrais événements aux suivants et sauter d'une géographie à une autre sur des cartes illisibles à l'oeil nu, pour ne laisser à la terre que le nom qui la porte, celui qui importe peu mais qui la supporte. Nous n'acceptons de passer les derniers que s'il n'y a personne devant comme si avant nous, le cosmos n'était qu'une phrase tue par les vents. Qu'une combinaison malsaine et incestueuse dès que quelques X croisent quelques Y, dans un couloir trop sombre pour l'aveu d'un serment aux seules fins de produire des prénoms composés que séparent les traits de l'union. Même nos X et nos Y refusent la queue par voyeurisme durablement incohérent perturbant les hypothèses du développement selon le sacro-saint principe d'«un homme une femme» sans voie de recours. Mais à qui revient la responsabilité ? A la grappe de raisin dont les racines arrachées par la folie des grandeurs, n'a donné lieu à aucune culture de l'attente en attendant que la file avance juste de quelques pas, même de droite à gauche.

    Observons-nous en mouvement

    En mouvement, nous préférons la position assise, confortablement sur n'importe quoi, mais assis. Le temps passe devant nous comme une charrette attelée à une bête de somme aux cornes ramollies. Lentement, doucement. Et nous nous succédons avec comme meilleur héritage l'ombre d'un arbre planté à l'envers et qui ne pousse qu'arrosé par une pluie soudaine, qui nous emporte souvent en plein sommeil. En mouvement, nous bougeons dans tous les sens, sauf le bon, celui qui trace des rêves, de préférence assis ou allongés une main frottant nos pieds entre les orteils, l'autre main servant de support à nos têtes alourdies par la quête d'une idée, qui nous dira comment nous en sortir et marcher la tête vissée définitivement sur les épaules, sans jamais craindre la perte de nos têtes. En mouvement, nous créons de l'air juste en soulevant nos robes par les pans, le temps de bâiller quelques mots d'ordre. Il peut nous arriver d'aller plus loin que le quartier ou le douar pour découvrir l'espace et la grandeur de Dieu, mais nous revenons souvent bredouilles avec pour unique image, celle de nous-mêmes, en perdant en chemin l'image d'une grandeur perdue. Mais nous revenons toujours. En mouvement, nous ignorons que nos mouvements peuvent soulever des montagnes juste en les regardant et que nos richesses s'épuisent plus par immobilisme que par forage de nos sols.

    Nos mouvements sont nationaux dans les livres scolaires et supposent qu'on doive y croire. Au fond de nos gorges, nos mouvements se transforment vite en arrêtes et nous étouffent dès que des vérités tentent de se transformer en lettres puniques pour rétablir des liens rompus depuis l'arrivée de la reine Didon chez nos ancêtres. En attente ou en mouvement, nous continuons à ignorer que la terre n'est plus plane depuis la chute de Grenade et qu'elle est encore plus grande qu'on ne le pense, pour peu que nous apprenions à lire dans la pierre les vertus de l'attente et du mouvement. Juste pour redresser les virages dangereux à droite comme à gauche.

    Par Ahmed Saïfi Benziane , Le Quotidien d'Oran
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