Par Youssef Ziraoui
et Abdellah Tourabi
Témoignage Exclusif. Dans la peau d’un fanatiqueet Abdellah Tourabi
La première fois que nous avons rencontré Abdelhakim Aboullouz, c’était début septembre, à Marrakech. Nous souhaitions nous renseigner sur le Cheikh Mohamed Maghrawi, dont la fatwa autorisant le mariage d’une fillette de neuf ans, émise dans les premiers jours du ramadan, avait provoqué un tollé. Nous savions que M. Aboullouz avait effectué un travail de recherche sur le salafisme à Marrakech. Réalisée sous la direction de Mohamed Tozy, universitaire, spécialiste de l’islam politique, la thèse de Abdelhakim Aboullouz* brasse le paysage salafiste marocain. Ce que nous ignorions en revanche, c’est la portée de son travail. Nous avons demandé au chercheur de nous introduire auprès du Cheikh. Il a hésité... Et pour cause. Si Aboullouz, qui a longtemps vécu dans le “milieu”, n’a pas eu trop de difficultés à en sortir, il y a quand même laissé des plumes. Six ans chez les salafistes, ça vous change la vie. Six ans, ça vous change un homme. Forcément. Aujourd’hui, Abdelhakim Aboullouz choisit de livrer à TelQuel ses joies et ses peines, de raconter ses peurs et ses angoisses, mais surtout, de nous expliquer “ce monde”. Au risque de s’attirer les foudres de ceux qu’il appelait, il y a encore peu de temps, “ses frères”.
*(Les mouvements salafistes au Maroc de 1971 à 2004, soutenue en mai 2008)
Je m’appelle Abdelhakim Aboullouz. J’ai 35 ans, et pendant près de six années, j’ai vécu dans une secte, dans l’intimité d’un gourou. J’ai mangé avec lui, j’ai prié avec lui, j’ai ri avec lui... bref, j’ étais de la famille. Lui, c’est Mohamed Maghrawi, chef de file salafiste, qui sévit à Marrakech…
Le Cheikh, comme ses adeptes le surnomment, dirige l’Association pour l’appel au Coran et à la Sunna. Ma première rencontre avec Maghrawi, c’était un soir d’été 2002. A l’époque, j’étais étudiant à la faculté des
Wahhabite tal’mout
“Pourquoi avoir choisi Maghrawi ?”, me demande-t-on. Tout simplement parce qu’il dirige un mouvement qui compte des milliers d’adeptes qui lui obéissent au doigt et à l’œil , et il incarne à lui tout seul la présence du wahhabisme saoudien au Maroc. D’ailleurs, avec nos “amis” saoudiens, principaux pourvoyeurs de fonds du mouvement, Maghrawi n’a jamais vraiment coupé le cordon. Il faut dire que l’idylle ne date pas d’hier. Au milieu des années 1960, il est reçu à l’Université Attaïf à Médine en Arabie Saoudite, grâce à la médiation de Takyeddine El Hilali, figure historique du wahhabisme marocain. Quelques années plus tard, Maghrawi revient au Maroc avec une Tazkia (sorte de certificat d’aptitude à l’enseignement islamique) en poche, remise par le grand mufti saoudien Abdul-Aziz Ibn Abdullah Ibn Baz. Après un passage à l’Université Al Qaraouiyine à Fès, il multiplie les prêches dans les mosquées aux quatre coins du pays. En 1976, il fonde l’Association pour l’appel au Coran et à la Sunna, qu’il dirige depuis. Et quand il n’est pas en Arabie Saoudite, Maghrawi passe le plus clair de son temps dans la ville ocre. En marge de son travail “associatif”, Maghrawi a longtemps enseigné à la Faculté des lettres de Marrakech, adaptant le programme universitaire à la sauce salafiste. Depuis quelques années, il a pris son DVD (départ volontaire à la retraite), ce qui lui laisse plus de temps pour l’associatif.
Maghrawi, pas touche !
Je n’ai pas trop de difficultés à localiser le Cheikh. Pour le convaincre de m’introduire dans son univers, c’est une autre affaire. La première fois que je l’ai vu en chair et en os, c’était à la sortie de la mosquée. Au moment où il allait démarrer sa vieille Mercedes 240, comme celle des taxis, j’ai toqué à sa vitre. L’homme a l’habitude d’être sollicité en pleine rue, prodiguant ses conseils plus ou moins avisés. Il descend la vitre, je me présente : “Bonjour Si Maghrawi, Abdelhakim Aboullouz, je suis chercheur…”. Il me coupe net : “Vous les chercheurs, vous ne faites que courir après l’argent”, me lance-t-il droit dans les yeux, avant de démarrer en trombe. Heureusement que j’ai décidé de ne pas lâcher l’affaire. Dès le lendemain, je guette le moment où le cheikh quitte le siège de son association et je tente de l’aborder, une fois de plus. Mais Maghrawi est rarement seul, ses affidés ne le lâchent pas d’un pouce. Difficile donc de l’approcher. Je reviens à la charge autant de fois que les règles de la bienséance le permettent. Sans guère plus de succès.
Barakat al oualidine
Que faire ? Maghrawi est ma seule porte d’entrée. Même si l’Association est ouverte au grand public, il m’est impossible de drainer des informations essentielles s’il refuse de me parler. Je m’en remets à mon père, qui connaît le Cheikh depuis des lustres. Ma famille, originaire du Souss, est dans le négoce de l’huile d’olive depuis plusieurs générations. Et depuis les années 1970, mon père commerce avec Maghrawi. Ce dernier doit apprécier l’walid, vu que pour chaque fête religieuse, il lui fait don de quelques bidons d’huile du bled. Je parviens à convaincre mon père de contacter Maghrawi. Après quelques coups de fil, rendez-vous est pris avec le Cheikh, au siège de l’Association, un immeuble de quatre étages sis dans un quartier au nord de Marrakech. Première barrière à franchir, les quelques “vigiles en civil”. Enfin, façon de parler, car ils portent tous une gandoura immaculée à la mode afghane, et des sandales noires. Le port de barbe aussi est de rigueur, c’est une sorte de “tenue correcte exigée”, signe distinctif des disciples de Maghrawi. Nous leur annonçons que le Cheikh nous attend. Ils nous font signe de la main de les suivre. Nous nous exécutons et franchissons une porte métallique, qu’un des hommes de main de Maghrawi prend le soin de refermer. Ouf !
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