Annonce

Réduire
Aucune annonce.

La dépendance croissante des Etats-Unis aux prêteurs étrangers

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • La dépendance croissante des Etats-Unis aux prêteurs étrangers

    Après l'adoption du plan de sauvetage bancaire par le Congrès américain, vendredi 3 octobre, le coût des différentes mesures de soutien s'alourdit et devrait atteindre les 1 000 milliards de dollars (728 milliards d'euros). Une facture qui pourrait générer en 2009 "un niveau de déficit jamais atteint depuis la guerre", selon Michel Aglietta, professeur à Paris-X. Le déficit public américain doit déjà s'établir à 2,9 % du produit intérieur brut (PIB) pour l'exercice clos à fin septembre 2008, en raison de la baisse des rentrées fiscales, des crédits d'impôts aux ménages et de la guerre en Irak. L'Etat devra donc augmenter encore sa dette, qui était déjà en août 2008 de 9 645 milliards de dollars, soit 68 % du PIB.

    Comment vont réagir les créanciers étrangers des Etats-Unis, alors que la moitié des emprunts d'Etat américains sont entre leurs mains et que le déficit des paiements courants s'élevait déjà à 5,3 % du PIB en 2007 ? Ces dernières années, les banques centrales, notamment des pays asiatiques et du Golfe, ont été au premier rang pour absorber les nouvelles dettes des Etats-Unis, permettant à l'Amérique de vivre au-dessus de ses moyens. Elles y avaient intérêt : la consommation américaine dopait leurs exportations. Le soutien financier des pays émergents empêchait le dollar de s'effondrer et de menacer la compétitivité de leurs exportations, ainsi que la valeur de leurs avoirs de change en dollars.

    Les réserves de change mondiales sont passées de 4 174,6 milliards de dollars à la fin 2005 à 7 008,1 milliards de dollars à la fin juin 2008, selon le Fonds monétaire international (FMI). La part des bons du Trésor américains y reste prépondérante (plus de 62 % du montant des réserves dont on connaît la répartition par devise, et qui représente lui-même 60 % du total des réserves), même si les titres en euros ont gagné un peu de terrain (27 % du montant officiel).

    Si l'on en juge par la première réaction des financiers, la confiance dans la signature de l'Etat américain ne semble pas pourtant aujourd'hui menacée : les agences de notation n'ont pas changé leur appréciation et le dollar a fait mieux que résister, l'euro tombant sous 1,40 dollar, le 1er octobre. Dans un contexte financier troublé, les titres émis par les Etats sont encore perçus comme un refuge.

    Il est vrai que la taille de l'économie américaine et la puissance politique et militaire sur laquelle elle s'appuie rassurent. L'Euroland ne constitue guère une alternative à brève échéance, d'autant que l'économie du Vieux Continent est aussi très affaiblie. "Avec un ratio de dette publique sur PIB de 68 %, les Etats-Unis font jeu égal avec l'Europe. Même si l'on augmente ce ratio de cinq points, cela n'est pas un drame", dit Bruno Cavalier, économiste en chef de la société de Bourse Oddo. "1 000 milliards de dollars de plans de sauvetage ne remettront pas en question la signature de l'Etat américain. Même si c'était le double - je n'y crois d'ailleurs pas - cela resterait gérable", ajoute Jean-Pierre Petit, directeur de la recherche économique et de la stratégie de la société de Bourse Exane-BNP Paribas. Le risque d'une dégradation par les agences de notation ne semble pas non plus inquiéter les économistes : "Pour évaluer la qualité de la signature d'un Etat, tout ne se joue pas simplement sur le ratio dette sur PIB, mais aussi sur le risque politique global ou la capacité à attirer des capitaux", dit M. Cavalier. Les Etats-Unis ne peuvent se comparer à l'Islande, dont l'agence Standard & Poor's a abaissé les notes, le 30 septembre, au lendemain de l'acquisition par l'Etat de 75 % de la banque Glitnir pour 600 millions d'euros, soit 5,9 % du PIB de l'île. Certes, les Etats-Unis sont financés par le reste du monde : les étrangers ont plus d'avoirs aux Etats-Unis que les Américains ne possèdent d'actifs à l'étranger. Mais les avoirs américains à l'extérieur sont tout de même "considérables" et rapportent des revenus, souligne M. Aglietta : "De ce fait, la dette extérieure nette des avoirs américains à l'étranger est encore un peu inférieure à 30 % du PIB. Donc les Etats-Unis ne risquent pas de faire défaut."

    De plus, cette dépendance vis-à-vis de l'extérieur est réciproque : le billet vert reste la monnaie mondiale de référence, notamment des matières premières. Les pays d'Asie et du Golfe perdraient une grande partie de leurs avoirs accumulés si le dollar s'effondrait, par exemple si les Etats-Unis "monétisaient" leurs dettes, en faisant tout simplement tourner la planche à billets pour la rembourser. "L'Etat américain et ses créanciers sont dans une logique de donnant-donnant" souligne M. Cavalier. Semblant jusqu'ici peu soucieux de la dépréciation du dollar, les responsables américains ont d'ailleurs "infléchi ces derniers mois leur discours sur le billet vert, qui s'est ainsi raffermi".

    Si à court terme, la confiance des créanciers de l'Amérique ne semble pas ébranlée, la question à plus long terme est de savoir si les pays émergents auront toujours les moyens d'investir dans les emprunts d'Etat américains. C'est le risque pointé par Albert Edwards, économiste à la Société générale. "Un moteur essentiel des marchés mondiaux et des économies émergentes - la croissance des réserves mondiales de change - ne commence qu'aujourd'hui à se gripper", dit-il. En effet, le comblement progressif du déficit commercial américain - hors importations pétrolières - réduit les recettes des pays émergents. "Par conséquent, une crise de liquidité a déjà été transmise aux pays (émergents) non producteurs de pétrole", estime-t-il.

    Si les Etats-Unis restaient fortement endettés pendant plusieurs années et que l'étranger pouvait moins aisément les financer, l'épargne privée américaine devrait prendre le relais. Mais son faible volume actuel engendrerait "des taux d'intérêt à long terme élevés" pesant sur la croissance, ainsi qu'"une dépréciation du dollar ou un mélange des deux", souligne M. Aglietta.

    Beaucoup dépendra du coût final des plans de sauvetage. Leur facture brute devrait représenter 5 % à 10 % du PIB américain (700 à 1 500 milliards de dollars), mais "les actifs rachetés par l'Etat seront ensuite revendus", rappelle M. Petit. Il estime "que le coût net véritable, in fine, sera compris entre 3 % et 6 % du PIB. On ne saura pas véritablement l'estimer avant cinq ou dix ans : la facture finale de la crise des caisses d'épargne américaines, au début des années 1990, n'a été connue qu'en 2001. Son coût brut pour le contribuable aura été de 3,6 % du PIB, mais son coût net de seulement 2 %, soit 124 milliards de dollars". Le plan sera d'autant moins coûteux qu'il réussira à ramener la confiance dans l'économie, confortant les créanciers de l'Amérique.


    Par Le Monde
Chargement...
X