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La fin du siècle américain

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  • La fin du siècle américain

    Il fut un temps où l'or de Fort Knox garantissait le dollar des Etats-Unis. Ce temps n'est plus depuis que Richard Nixon a cassé le lien qui unissait le métal jaune au billet vert, le 15 août 1971. Il fut un temps où New York était la capitale financière de la planète, où le dollar était la monnaie universelle, où la signature de l'Etat américain était la plus sûre au monde. Ce temps-là s'achève à son tour.

    La terrible crise financière que nos vivons depuis plus d'un an a été fabriquée à Wall Street. Les banques les plus prestigieuses de Manhattan, les plus arrogantes aussi, ont toutes appelé au secours d'une manière ou d'une autre ces six derniers mois. Lehman a fait faillite, Bear Stearns et Merrill Lynch ont été rachetés en catastrophe, Goldman Sachs et Morgan Stanley ont été renfloués in extremis. Dans cette tourmente, le dollar n'inspire plus confiance. Bien sûr, la monnaie des Etats-Unis a beaucoup grimpé face à l'euro ces derniers jours, depuis que l'orage de la crise a traversé l'Atlantique. Mais ce n'est qu'un répit. La devise américaine dévisse par rapport au yen japonais. Et sa résistance face aux autres monnaies asiatiques vient d'abord de la volonté politique de la Chine de maintenir la valeur du billet vert. Le doute, enfin, gagne la confiance en l'Etat américain. Sur les marchés financiers, des acteurs parient désormais sur un défaut de paiement de Washington. Dans le chaos de la crise financière, ce bouleversement-là est le plus radical, le plus novateur, celui qui porte les plus lourdes conséquences à terme. C'est tout simplement un nouvel ordre mondial qui pointe.

    Au moment même où une classe politique et intellectuelle moutonnière célèbre le retour en grâce de l'Etat, sa puissance financière est bousculée par des tempêtes d'argent sans précédent. Les capitales manquent de capitaux. Cette semaine, un tout petit Etat comme l'Islande (350.000 habitants) a dû emprunter des milliards d'euros à la Russie pour sauver ses banques. La semaine dernière, un pays plus conséquent, la Belgique (11 millions d'habitants) a encaissé un camouflet magistral. Il venait de nationaliser Fortis... et les financiers ont continué de regarder la banque de haut. Autrement dit, ils ne croyaient pas en la garantie du royaume. Pour que leur regard change, il a fallu que la banque soit reprise par BNP Paribas, une banque venant d'une France plus grande et donc aux poches plus profondes. Autre signe de défiance à l'égard d'un Etat qui fait cette fois-ci partie des grands pays : l'Italie (60 millions d'habitants) doit désormais payer un taux d'intérêt supérieur de 1 % à celui de l'Allemagne pour lever de l'argent, alors que cet écart était trois fois moindre il y a six mois. Là encore, les acteurs financiers doutent de la capacité d'une nation à faire face à ses engagements.

    Les Etats-Unis n'en sont pas là, ou pas encore. Si leur dette publique devrait dépasser 70 % l'an prochain, elle va au-delà de 100 % en Italie et 180 % au Japon. Les investisseurs du monde entier continuent de se ruer sur les obligations émises par le Trésor américain. Les agences de rating rappellent régulièrement que cette dette bénéficie toujours de la notation AAA, attribuée aux emprunteurs les plus sûrs. Mais le doute s'installe. Sur le marché des CDS (« credit default swap »), des assurances contre le non-remboursement d'un prêt, la probabilité de défaut des Etats-Unis est certes jugée infime... mais elle a plus que doublé en six mois, une défiance qui ne touche pas d'autres grands pays.

    Et, surtout, les investisseurs étrangers qui achètent le papier public américain par centaines de milliards de dollars deviennent de plus en plus nerveux. Washington le sait bien. Une décision le montre clairement : le sauvetage le mois dernier de Fannie Mae et Freddie Mac. En plein effondrement du marché du logement, il était logique de sauver ces deux géants du refinancement immobilier. Mais si les actionnaire ont été dûment ratiboisés dans l'opération, les prêteurs, eux, ont été totalement préservés. Une gracieuseté à laquelle n'ont pas eu droit par exemple les créanciers de l'assureur AIG. Pourquoi ? Tout simplement parce que les banques centrales asiatiques avaient acheté des wagons entiers d'obligations émises par Freddie et Fannie, qui promettait dans son slogan « le rêve américain ». Pas question de prendre le risque de fâcher d'aussi bons clients !

    Malgré ce bel effort, le ver est désormais dans le fruit. Le doute plane sur les obligations du Trésor américain. Or ces obligations jouent un rôle essentiel dans la finance mondiale : elles en constituent les fondations. Tout est bâti dessus, par un jeu savant d'écarts par rapport à son taux d'intérêt (des « spreads », disent les financiers). Le rôle du dollar dans l'économie mondial en dépend. La tornade fait ici vaciller un ordre mis en place depuis près d'un siècle. Elle sape l'hyperpuissance financière des Etats-Unis.

    Le pays avait mis plusieurs décennies à instaurer sa prééminence financière. L'économie américaine était devenue la première du monde au début du XXe siècle. Sa finance s'est bâtie au fil des crises, avec notamment le krach de 1907 qui a entraîné la création de la Réserve fédérale. Elle s'est affirmée dans les années 1920, quand le dollar s'est imposé face à la livre sterling (la création massive de billets verts pour soutenir la devise britannique est d'ailleurs l'une des causes de la bulle de 1929). Elle a été consacrée par les accords de Bretton Woods en 1944. Cette histoire-là est en train de s'achever, dans le fracas des maisons financières qui se sont effondrées les unes après les autres. Pour la première fois, le gouvernement a même dû recapitaliser la Réserve fédérale, affaiblie par les actifs toxiques qu'elle achète aux banquiers asphyxiés pour leur donner un peu d'oxygène !

    Dans le brouillard actuel, difficile de voir ce qui va remplacer l'Amérique comme coeur de la finance mondiale. C'est trop tôt pour la Chine - dans la compétition pour le premier rang mondial, elle en est à peu près là où étaient les Etats-Unis en 1900. L'Europe étale sa désunion. L'existence même de l'euro, qui a monté dans les réserves mondiales de change au détriment du dollar ces dernières années, pourrait être remis en cause par la tentation du chacun pour soi qui démange les dirigeants européens. Aucune autre puissance n'est crédible pour devenir le nouveau coeur. A moins que n'émergent plusieurs économies monde organisées autour de métropoles financières comme New York, Londres ou Francfort, Dubaï, Shanghai, São Paulo, Johannesburg... La crise financière est radicalement nouvelle - c'est pour cette raison que nous avons tant de mal à la comprendre. Le monde de l'après-crise sera lui aussi radicalement nouveau.

    JEAN-MARC VITTORI est éditorialiste aux « Echos
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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