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De la Russie à la Thaïlande, comment la crise s'étend

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  • De la Russie à la Thaïlande, comment la crise s'étend

    Suspension temporaire des cotations boursières à Bangkok et à Sao Paulo après une chute de plus de 10 %, décisions des autorités de ne pas ouvrir la Bourse à Moscou, report de l'ouverture dans l'après-midi à Bucarest, plongeon à deux chiffres sur les places financières de Prague, Budapest ou Zagreb et de près de 10 % à Bombay à la mi-journée : vendredi 10 octobre, les espoirs selon lesquels les marchés financiers émergents pouvaient rester à l'écart de la tempête de Wall Street se sont évanouis. Déjà, depuis l'été, les brutales répliques boursières enregistrées de Shanghaï à Moscou ou les tensions ressenties sur les marchés des emprunts d'Etat émergents laissaient peu de doute...

    La baisse des marchés boursiers n'a pas un impact aussi fort sur la demande interne dans les pays émergents que dans les pays développés : les placements en actions y sont moins répandus. Mais le mal est plus profond. Le "credit crunch", le rationnement du crédit, s'étendant au-delà des économies occidentales, le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé, jeudi 9 octobre, la réactivation d'une procédure de prêts d'urgence aux Etats qui en feraient la demande afin de "répondre aux problèmes qui pourraient intervenir dans certains pays émergents", a indiqué son directeur général Dominique Strauss-Kahn.

    A court terme, les pays les plus menacés par la crise financière sont ceux qui dépendent le plus des entrées de capitaux étrangers et affichent de très forts déficits des paiements courants : "Avant la crise, ils finançaient facilement leur boom interne par l'augmentation de la dette de leurs entreprises et de leurs banques auprès des banques des pays industrialisés", explique Yves Zlotowski, économiste en chef de Coface, établissement spécialisé dans la gestion des risques commerciaux. Avec la crise, cette mécanique se grippe car "le crédit est plus rare et plus cher : Roumanie, Bulgarie, Afrique du Sud, Vietnam risquent un ralentissement brutal. Ce scénario se matérialise déjà dans les pays baltes", juge-t-il. La Turquie, l'Inde et la Corée du Sud sont ajoutées à la liste par Sébastien Barbe, économiste du Crédit agricole, car elles présentent "des faiblesses au niveau de leur balance des paiements" ou qu'elles ont fait "récemment appel au financement externe à court terme".

    Tirant les leçons des crises précédentes, la Chine ou la Russie ont, elles, accumulé de confortables réserves de change depuis les années 2000 afin de se protéger contre de nouvelles bourrasques. Il n'empêche : les deux Etats sont aussi très secoués. "Les actifs russes sont passés du statut de chéris des investisseurs des marchés émergents à celui de belle-mère antipathique", constate Michael Ganske, analyste de la Commerzbank, tout en jugeant ce revirement exagéré. Une série d'inquiétudes sur la vie des affaires et la guerre en Géorgie avaient préparé le terrain de la défiance mais "l'escalade du "credit crunch" global a frappé les marchés russes comme une massue", décrit-il. Les sorties nettes de capitaux de Russie devraient s'élever à 35 milliards de dollars au second semestre, faisant plus qu'annuler les 30 milliards d'entrées du premier semestre, selon la banque ING, qui se base sur " l'hypothèse - pas si pessimiste - que les capitaux étrangers ne reviendront pas avant décembre sur les marchés russes".

    Si la crise financière et économique des pays développés se transmet "évidemment" aux pays émergents, c'est par plusieurs canaux, analyse Jean-Paul Betbèze, économiste en chef du Groupe Crédit agricole : les exportations, "puisque la demande des grands pays fléchit" ; le financement extérieur, plus difficile à obtenir et moins bon marché car la confiance se réduit ; et, in fine, le canal bancaire, la solidité des établissements de crédit étant partout l'objet de doutes. L'Asie et l'Europe de l'Est devraient perdre entre 1,5 et 2 points de croissance du produit intérieur brut (PIB) en 2008-2009 par rapport à 2007, compte tenu de leur dépendance aux exportations, selon le Crédit agricole. L'Amérique latine devrait mieux résister, en raison de l'ouverture plus faible des économies et grâce aux exportations de matières premières, en particulier du Brésil. Le Moyen-Orient, lui, serait épargné par le ralentissement, "les producteurs de pétrole continuant à investir les subsides pétroliers exportés dans un but de diversification économique", selon M. Barbe.
    La thèse dite du "découplage", présentant le dynamisme économique des pays émergents comme immunisé contre la crise américaine et européenne, est donc malmenée.

    Mais le monde émergent n'est pas pour autant entré aujourd'hui en récession. Au premier semestre, en tout cas, l'activité "a très bien résisté", note M. Zlotowski : dans les pays d'Europe centrale, les exportations "sont restées dynamiques alors qu'elles sont tournées vers cette Europe de l'Ouest très touchée par la crise..." "Découplage non, mais résistance oui", en particulier pour les "BRICS" (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), ajoute-t-il. Face à la crise, les grands pays ont les moyens de développer la demande interne, d'accélérer les investissements publics, de soutenir leurs banques, comme la Russie a déjà commencé à le faire en leur prêtant 36 milliards de dollars... Le Mexique a annoncé un plan de soutien aux infrastructures, tandis que l'Inde pourrait relever les salaires des fonctionnaires.

    Et la Chine ne peut laisser tomber la croissance sous les 9 % en rythme annuel, selon Christine Peltier, économiste de BNP Paribas, car ce taux est nécessaire pour créer chaque année les dix millions d'emplois "qui permettent d'absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail". "Le ralentissement de la croissance et la chute des prix des actifs boursiers pourraient avoir des implications sociales et inquiètent le gouvernement, qui a clairement assoupli sa politique économique depuis juin 2008", explique-t-elle. Fait inédit, mercredi 8 octobre, la Banque centrale chinoise a suivi, quelques minutes après, l'action coordonnée de baisse des taux d'intérêt décidée par les grandes banques centrales des pays développés (Réserve fédérale américaine et Banque centrale européenne en tête). Il s'agit, pour la Banque centrale chinoise, de la deuxième baisse en un mois tandis que ses consoeurs coréenne, taïwanaise et hongkongaise ont toutes trois réduit le loyer de l'argent jeudi 9 octobre. Les pays émergents et les pays développés sont dans le même bateau, qui prend l'eau.

    Adrien de Tricornot (Le Monde)
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