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Vers la finance planifiée

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  • Vers la finance planifiée

    Depuis plus de cent soixante-dix ans, l'idée selon laquelle il ne faut pas faire confiance aux marchés en cas de resserrement des liquidités est parfaitement admise. Dans ces circonstances, les banques centrales doivent intervenir pour fixer le prix des liquidités à un niveau raisonnable - il dépend alors d'une planification centralisée - plutôt que de le laisser osciller au gré de l'offre et de la demande du privé. C'est la doctrine du « prêteur de dernier recours ».

    Durant 85 de ces 170 dernières années, l'idée qu'il ne faut pas non plus faire confiance aux marchés en période normale était aussi admise. On a donc estimé que les banques centrales doivent fixer le prix des liquidités au jour le jour. Selon Wicksell, les banques centrales doivent maintenir les taux d'intérêt sur le marché à un niveau voisin de leur taux naturel, alors que, pour Keynes, elles doivent compenser les variations dues au mimétisme des intervenants dans le cycle des affaires, de manière à stabiliser la demande agrégée et que, pour Friedman, elles doivent veiller à maintenir stable le taux de croissance de la masse monétaire. En réalité, ce sont les trois versants d'une même démarche et d'une même réalité.

    Alors que du point de vue économique, les projets gouvernementaux et les idées de planification centralisée connaissaient des hauts et des bas dans la social-démocratie, cette dernière volait de succès en succès dans le domaine de la finance à court terme. Les banques centrales étaient devenues des institutions technocratiques indépendantes, une sorte d'ordre religieux dans le domaine monétaire qui, tel un oracle, parlait en termes obscurs aux simples mortels. La justification de ce système est qu'il semblait fonctionner correctement. Cet îlot de planification centralisée dans l'océan de l'économie de marché était surprenant et étrange. Si personne ne demandait de règle pour fixer la croissance de la consommation d'électricité, des voix s'élevaient pour demander de fixer le taux de croissance de la masse monétaire M2. Il n'y avait pas d'autorité régulatrice pour fixer le prix des voitures, alors que la Fed fixait le coût des fonds fédéraux.

    Il semble pourtant qu'on estime ajourd'hui qu'il n'y a pas encore assez de planification centralisée dans le domaine financier. Car, même si la banque centrale décidait du coût des liquidités, celui du risque restait à la merci du marché. Et c'est le coût du risque qui est à l'origine de la débandade actuelle.

    L'économie mondiale n'est pas confrontée à un manque de liquidités. Loin de là : les bons du Trésor américain d'une durée de deux ans avec une valeur faciale de 1.000 dollars peuvent être échangés contre 998 dollars en liquide - le prix le plus bas en termes d'achat de liquidités depuis la Grande Dépression et la crise japonaise des années 1990.

    Néanmoins, la prime de risque sur les actifs privés a augmenté pour atteindre un niveau inimaginable : le supplément de taux d'intérêt versé aux détenteurs de certificats de dépôt émis par une banque privée atteint maintenant 5 points de pourcentage. C'est cette hausse des primes de risque qui menace de faire basculer l'économie mondiale dans une grave récession, transformant le spectacle jouissif de la déroute des marchés financiers en une vague de chômage et de fermetures d'usines à travers le monde. Du coup, le Trésor et la Fed consolident le capital des agences de refinancement hypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac et de la compagnie d'assurances AIG dans l'espoir d'abaisser le coût de leurs emprunts de manière à ce qu'elles puissent acheter davantage de prêts hypothécaires.

    Le Trésor a demandé l'autorisation d'acheter 700 milliards de créances immobilières pour les effacer des comptes du secteur privé. Augmenter la demande et réduire l'offre portant sur ces actifs à haut risque est une façon de manipuler les prix. La Fed et le Trésor s'engagent sur une voie qui aboutit à contrôler le coût du risque sur les marchés financiers et celui des liquidités. C'est ainsi que les banques centrales ont commencé au tout début : laisser le marché déterminer le prix des liquidités semblait trop coûteux pour les hommes d'affaires qui votaient et pour les salariés qui pouvaient renverser le gouvernement. De même, aujourd'hui, on estime trop coûteux pour les électeurs et les donateurs de la campagne présidentielle de laisser le marché tout seul déterminer le coût du risque.


    Par J. BRADFORD DELONG, professeur d'économie à l'université de Californie (Berkeley} - Les Echos
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