Alger la blanche n'est plus. Elle est devenue noire, noire de monde, noire de saleté, tout est noir. Le voile blanc n'est plus porté par les femmes, les vieilles portent le " hidjab " de couleur sombre, sombre comme le regard des gens et comme l'avenir de ce pays. Bienvenue à Alger !
Arrivée à l'aéroport et déjà un malaise vous saisi, ça sent la misère : les gens sont maigres, les visages sont sombres, on n'entend presque pas de rires d'enfants. Seuls quelques adultes rient et même les rires sont forcés, exagérés, comme tout ce qui se vit à Alger.
Des amies sont venues nous chercher, je n'ose pas leur demander des nouvelles, il me suffit de les regarder : les visages tristes marqués par la fatigue. Je sens que nous sommes un bol d'air frais pour elles. Je me risque à demander : " Comment va la famille ? " Puis, je regrette, quelle question idiote…
Une des deux me répond : " Ça va… imdoullah ! ", mais le ton n'est pas convaincant. Je ne sais pourquoi j'insiste : " Et comment va la santé ? " Là, elle devient beaucoup plus loquace : elle a un problème de tension, elle fait du diabète, problème de cœur (elle a à peine 47 ans), les chocs, les peurs : " on " lui a tué un fils… un autre s'est exilé en France, réfugié politique… elle est diabétique… elle se ruine en médecin et en médicaments quand elle en trouve… enfin il y a pire… Nous sommes très fatalistes. J'apprendrai plus tard que la majorité du peuple algérien souffrent des mêmes symptômes : tension, diabète, etc. Est-ce dû aux chocs répétés, aux peurs ou alors à une alimentation déséquilibrée… Je ne sais pas !
Nous arrivons dans la famille, quelque part à Alger. C'est une famille dite moyenne, le père est cadre dans une grosse société publique. Ils sont heureux de nous voir, ouf ! De nouvelles têtes, des gens à qui raconter toutes les souffrances endurées. Le soir même, ils nous racontent tout ce qu'ils ont vécu, ce que les autres ont vécu. Ce qu'ils nous ont raconté, il y a deux ans, ils ne s'en souviennent pas. Ils nous racontent tout… l'insoutenable… l'innommable… dans les détails… c'est terrible.
J'avais lu les livres de Habib Souaïdia et Nesroulah Yous, La sale guerre et Qui a tué à Benthala ?, j'avais cru avoir lu et entendu le plus horrible. Eh bien non… Ils me racontent les bébés trouvés carbonisés dans les fours, des hommes et des femmes, qui après un attentat, continuent à marcher sans tête et j'en passe… Ils ne sont pas seulement des témoins, ils sont des victimes. Et ce sont les mêmes discours que tiennent les différentes personnes que nous rencontrons. Quand ils racontent, on lit l'effroi dans leurs regards ! Ils viennent tous de loin, de très loin… Mais sont-ils réellement revenus ? Ils passent du coq à l'âne, ils rient de choses qui me font froid dans le dos… Je réalise qu'ils sont traumatisés, qu'il leur faudrait une psychothérapie ou une psychanalyse, je ne sais pas… Ils ont trop vu, trop entendu, trop enduré, trop souffert et les enfants ne sont pas épargnés. Mon Dieu, quel héritage ! ! !
Je décide de me changer les idées, d'aller me balader dans les rues d'Alger que je connais pour y avoir vécu pendant des années. Alger est surpeuplée : des gens partout : dans les boutiques, les cafés, les salons de thés, les trottoirs débordent, il faut marcher sur les routes. Je regarde les boutiques et je reste outrée par les prix. Au niveau vestimentaire et alimentaire, il y a de tout et pour tous les goûts, mais pas pour toutes les bourses. Les prix sont exagérés, comme tout ici, à l'image du pays : 2 000 dinars un pantalon, 1 500 dinars un tee-shirt, 4 000 à 7 000 dinars une paire de chaussures, lorsque l'on sait que le salaire mensuel le plus élevé est de 30 000 dinars après cinq années d'études, mais ceux-là ne sont pas majoritaires. Comment font les gens ? Je ne sais pas. Pourtant ils achètent.
À Alger on s'habille, on cultive l'apparence, sinon on subit la " hogra " (le mépris). Il faut donner l'impression que l'on a de l'argent. On entretient son corps, être mince est devenu une obsession comme dans le reste du monde, la parabole laisse ses empreintes ! On ose tout, on ose ce que l'on n'osait pas il y deux ou trois ans : robes courtes, moulantes, décolletés vertigineux et personne ne vous regarde. On ne vous siffle plus dans les rues… Et pour cause. Dès que la nuit tombe, les rues s'emplissent de filles qui font le plus vieux métier du monde, dans des tenues de professionnelles. Elles sont jeunes, très jeunes, 12-18 ans. Il y a celles qui le font parce qu'il n'y a plus aucun revenu dans la maison : ici pas d'indemnisation au chômage, pas de RMI ou de prestations familiales, le chômage fait des ravages alors il faut survivre. Et il y a celles qui viennent de " l'extérieur ", comme on dit ici : elles ont fui les villages, où toutes leurs familles ont été massacrées, victimes de la barbarie. Elles vivent dans les rues, aucune structure pour les accueillir ; on abuse d'elles, alors autant utiliser ce corps pour manger. C'est triste, horrible, mais un peu plus chez nous.
Tout a changé à Alger : la ville, les gens, les mentalités, les valeurs. Drahem, Drahem, c'est le mot qui revient le plus dans la bouche des gens : l'argent, on ne parle que de ça. Parce que pour vivre ici, il faut de l'argent, beaucoup d'argent. Tout se paye et tout est cher, affreusement cher, autant les produits de luxe que les produits de bases. Plus vous êtes filou et futé plus on vous admire, c'est la loi de la jungle, le plus fort mange le plus faible. Mieux vaut être en bonne santé, sans scrupule, sinon c'est terrible…
Les constructions ont changé, les villas sont de véritables bunkers, des forteresses, des grosses bâtisses de deux voire quatre étages, des barreaux aux fenêtres, des portes blindées. Incroyable, ces années de terreur ont changé l'architecture. Tout est fou, même les gens, mais au bout d'un mois à vivre parmi les roses on en prend malgré soi le parfum. Il y a vraiment de quoi devenir fou. Tout est irrationnel, on perd tout, la notion du temps, des valeurs. Tout est compliqué, tout demande un effort incroyable. Les gestes les plus anodins, comme se laver, deviennent un calvaire. L'eau ne vient que tous les trois ou quatre jours à des heures incongrues de la nuit, 23 heures, 2 heures ou 3 heures du matin. L'eau de réserve ne suffit pas. De plus, l'eau est de très mauvaise qualité, les barrages sont infectés par les cadavres d'animaux mais aussi d'hommes que l'eau charrie régulièrement… Il faut être vigilant. Une menace de plus, comme si le reste ne suffisait pas.
===========modération ===========
Merci d'indiquer toujours la source de vos copier-coller et de préférence mettez une introduction explicatif de l'article : http://www.algerie-dz.com/forums/showthread.php?t=928
La suite de l'article
Alger, août 2001 : silence, mon peuple se meurt
========== morjane =========
Arrivée à l'aéroport et déjà un malaise vous saisi, ça sent la misère : les gens sont maigres, les visages sont sombres, on n'entend presque pas de rires d'enfants. Seuls quelques adultes rient et même les rires sont forcés, exagérés, comme tout ce qui se vit à Alger.
Des amies sont venues nous chercher, je n'ose pas leur demander des nouvelles, il me suffit de les regarder : les visages tristes marqués par la fatigue. Je sens que nous sommes un bol d'air frais pour elles. Je me risque à demander : " Comment va la famille ? " Puis, je regrette, quelle question idiote…
Une des deux me répond : " Ça va… imdoullah ! ", mais le ton n'est pas convaincant. Je ne sais pourquoi j'insiste : " Et comment va la santé ? " Là, elle devient beaucoup plus loquace : elle a un problème de tension, elle fait du diabète, problème de cœur (elle a à peine 47 ans), les chocs, les peurs : " on " lui a tué un fils… un autre s'est exilé en France, réfugié politique… elle est diabétique… elle se ruine en médecin et en médicaments quand elle en trouve… enfin il y a pire… Nous sommes très fatalistes. J'apprendrai plus tard que la majorité du peuple algérien souffrent des mêmes symptômes : tension, diabète, etc. Est-ce dû aux chocs répétés, aux peurs ou alors à une alimentation déséquilibrée… Je ne sais pas !
Nous arrivons dans la famille, quelque part à Alger. C'est une famille dite moyenne, le père est cadre dans une grosse société publique. Ils sont heureux de nous voir, ouf ! De nouvelles têtes, des gens à qui raconter toutes les souffrances endurées. Le soir même, ils nous racontent tout ce qu'ils ont vécu, ce que les autres ont vécu. Ce qu'ils nous ont raconté, il y a deux ans, ils ne s'en souviennent pas. Ils nous racontent tout… l'insoutenable… l'innommable… dans les détails… c'est terrible.
J'avais lu les livres de Habib Souaïdia et Nesroulah Yous, La sale guerre et Qui a tué à Benthala ?, j'avais cru avoir lu et entendu le plus horrible. Eh bien non… Ils me racontent les bébés trouvés carbonisés dans les fours, des hommes et des femmes, qui après un attentat, continuent à marcher sans tête et j'en passe… Ils ne sont pas seulement des témoins, ils sont des victimes. Et ce sont les mêmes discours que tiennent les différentes personnes que nous rencontrons. Quand ils racontent, on lit l'effroi dans leurs regards ! Ils viennent tous de loin, de très loin… Mais sont-ils réellement revenus ? Ils passent du coq à l'âne, ils rient de choses qui me font froid dans le dos… Je réalise qu'ils sont traumatisés, qu'il leur faudrait une psychothérapie ou une psychanalyse, je ne sais pas… Ils ont trop vu, trop entendu, trop enduré, trop souffert et les enfants ne sont pas épargnés. Mon Dieu, quel héritage ! ! !
Je décide de me changer les idées, d'aller me balader dans les rues d'Alger que je connais pour y avoir vécu pendant des années. Alger est surpeuplée : des gens partout : dans les boutiques, les cafés, les salons de thés, les trottoirs débordent, il faut marcher sur les routes. Je regarde les boutiques et je reste outrée par les prix. Au niveau vestimentaire et alimentaire, il y a de tout et pour tous les goûts, mais pas pour toutes les bourses. Les prix sont exagérés, comme tout ici, à l'image du pays : 2 000 dinars un pantalon, 1 500 dinars un tee-shirt, 4 000 à 7 000 dinars une paire de chaussures, lorsque l'on sait que le salaire mensuel le plus élevé est de 30 000 dinars après cinq années d'études, mais ceux-là ne sont pas majoritaires. Comment font les gens ? Je ne sais pas. Pourtant ils achètent.
À Alger on s'habille, on cultive l'apparence, sinon on subit la " hogra " (le mépris). Il faut donner l'impression que l'on a de l'argent. On entretient son corps, être mince est devenu une obsession comme dans le reste du monde, la parabole laisse ses empreintes ! On ose tout, on ose ce que l'on n'osait pas il y deux ou trois ans : robes courtes, moulantes, décolletés vertigineux et personne ne vous regarde. On ne vous siffle plus dans les rues… Et pour cause. Dès que la nuit tombe, les rues s'emplissent de filles qui font le plus vieux métier du monde, dans des tenues de professionnelles. Elles sont jeunes, très jeunes, 12-18 ans. Il y a celles qui le font parce qu'il n'y a plus aucun revenu dans la maison : ici pas d'indemnisation au chômage, pas de RMI ou de prestations familiales, le chômage fait des ravages alors il faut survivre. Et il y a celles qui viennent de " l'extérieur ", comme on dit ici : elles ont fui les villages, où toutes leurs familles ont été massacrées, victimes de la barbarie. Elles vivent dans les rues, aucune structure pour les accueillir ; on abuse d'elles, alors autant utiliser ce corps pour manger. C'est triste, horrible, mais un peu plus chez nous.
Tout a changé à Alger : la ville, les gens, les mentalités, les valeurs. Drahem, Drahem, c'est le mot qui revient le plus dans la bouche des gens : l'argent, on ne parle que de ça. Parce que pour vivre ici, il faut de l'argent, beaucoup d'argent. Tout se paye et tout est cher, affreusement cher, autant les produits de luxe que les produits de bases. Plus vous êtes filou et futé plus on vous admire, c'est la loi de la jungle, le plus fort mange le plus faible. Mieux vaut être en bonne santé, sans scrupule, sinon c'est terrible…
Les constructions ont changé, les villas sont de véritables bunkers, des forteresses, des grosses bâtisses de deux voire quatre étages, des barreaux aux fenêtres, des portes blindées. Incroyable, ces années de terreur ont changé l'architecture. Tout est fou, même les gens, mais au bout d'un mois à vivre parmi les roses on en prend malgré soi le parfum. Il y a vraiment de quoi devenir fou. Tout est irrationnel, on perd tout, la notion du temps, des valeurs. Tout est compliqué, tout demande un effort incroyable. Les gestes les plus anodins, comme se laver, deviennent un calvaire. L'eau ne vient que tous les trois ou quatre jours à des heures incongrues de la nuit, 23 heures, 2 heures ou 3 heures du matin. L'eau de réserve ne suffit pas. De plus, l'eau est de très mauvaise qualité, les barrages sont infectés par les cadavres d'animaux mais aussi d'hommes que l'eau charrie régulièrement… Il faut être vigilant. Une menace de plus, comme si le reste ne suffisait pas.
===========modération ===========
Merci d'indiquer toujours la source de vos copier-coller et de préférence mettez une introduction explicatif de l'article : http://www.algerie-dz.com/forums/showthread.php?t=928
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