Des dizaines de milliers de Sahraouis vivent depuis plus de 30 ans dans des campements de réfugiés sur la hamada proche de Tindouf, en Algérie, dépendant largement de l’aide internationale. Avec, pour ceux qui sont nés avant 1975, le souvenir traumatique des bombardments marocains devant lesquels ils avaient dû fuir. Séparés depuis plus de 30 ans de leurs familles qui n’ont pas pu, ou pas voulu, les suivre, et qui vivent de leur côté sous occupation marocaine.
On n’en parle pratiquement jamais ici, en France. Dans le meilleur des cas, les médias rejettent dos à dos les positions marocaine et sahraouie sur l’avenir du territoire, comme dans un focus du Monde en mars de cette année. Comme pour ajouter à la confusion.
Il y a certes un statu quo qui dure en surface depuis une bonne quinzaine d’années, depuis la signature du cessez-le-feu entre Maroc et Polisario, le 6 septembre 1991. Mais si statu quo veut dire équilibre des forces, il ne signifie pas équilibre des positions.
Le droit à l’autodétermination n’est pas une invention du F. Polisario pour cacher sa revendication d’indépendance, c’est un droit inscrit dans la charte de l’ONU et défendu par celle-ci à l’endroit du peuple sahraoui depuis les années 1960.
En juillet 2003 encore, le Conseil de Sécurité appuyait le plan de James Baker, ancien Secrétaire d’État américan, qui prévoyait un référendum d’autodétermination des Sahraouis après cinq ans d’autonomie ; le Polisario et l’Algérie avaient alors accepté ce plan ; le Maroc l’avait rejeté ! – c’est pourtant ce même pays qui ne jure aujourd’hui que par l’autonomie des Saharouis… à condition il est vrai de ne pas leur demander leur avis !
Après beaucoup d’hésitations, le Front Polisario avait accepté, à l’époque, le principe de passer par 5 années d’autonomie (sous « souveraineté » marocaine donc) avant que les Sahraouis ne puissent s’autodéterminer – c’est-à-dire, bien clairement, avant qu’ils ne puissent choisir entre trois possibilités : l’indépendance, mais aussi l’autonomie et même l’intégration pure et simple au Maroc…
Le Front Polisario avait pris là une position risquée ; une position qu’une partie de sa « base », de sa jeunesse élevée dans l’esprit de résistance, et plutôt prête à en découdre, ne comprendrait sans doute pas. Mais une position réaliste et ouverte vis-à-vis du Maroc, faisant le pari que l’ONU serait le cadre fiable dans lequel pourrait aboutir un processus de décolonisation entamé il y a plus de trente ans. C’est là sans doute que les dirigeants sahraouis se sont trompés.
L’ONU, ou plus précisément le Conseil de sécurité, champ d’affrontement feutré des intérêts des puissants, laisse le problème s’enliser depuis le rejet par le Maroc du plan Baker en 2003. Car on ne veut pas forcer la main du Maroc. On veut si peu lui forcer la main que l’on fait comme si son projet d’autonomie interne pour les Sahraouis était parfaitement acceptable, alors qu’aucun pays au monde n’a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental : et si l’on n’a pas la souveraineté sur un territoire, comment peut-on lui accorder l’autonomie ?
Certes, « on » (le Conseil de sécurité) ne veut pas non plus forcer la main du Polisario, ou du moins celle de son soutien algérien. Que seraient devenus les Sahraouis, d’ailleurs, sans ce soutien ?
Pourrissement, lassitude des gens, tout cela est vrai. Mais on ne saurait, pour autant, affecter de la même valeur la position du Maroc et celle du Polisario. Le Maroc a annexé le Sahara occidental en novembre 1975. Il l’a envahi. Il a bombardé au napalm et au phosphore la population qui cherchait à le fuir vers l’est, vers l’Algérie où se sont établis bientôt des camps de réfugiés rassemblant plusieurs dizaines milliers de personnes (celles que la presse officielle marocaine a le culot d’appeler aujourd’hui des « séquestrés »). Le Polisario a mené une guerre de libération pendant 16 ans, avec le soutien de l’Algérie ; il y a eu des milliers de morts, de part et d’autre. Cela s’est arrêté avec la signature du cessez-le-feu de septembre 1991, sous l’égide de l’ONU. Cela s’est arrêté avec la promesse des deux parties de s’engager en faveur du processus d’autodétermination du peuple sahraoui.
Mais le Maroc n’a cessé depuis lors, et singulièrement depuis l’arrivée de Mohammed VI au pouvoir en 1999, de pratiquer l’esquive, faisant tout pour torpiller le recensement du corps électoral qui devait permettre l’exercice de ce droit à l’autodétermination au tournant des années 2000. Ensuite, il y eut son refus du plan Baker, puis, depuis 2006, la mise en avant d’un plan d’autonomie qui est présenté comme la seule option possible. En gros : « Sahraouis, vous n’avez pas le choix : c’est l’autonomie ou rien ! Pas de consultation. Éventuellement, on vous proposera un acte de confirmation… »
Le Maroc fait semblant, mais il ne joue pas le jeu du droit international. Si l’on ajoute à cela ce qui se passe au Sahara sous occupation marocaine – les journalistes ont toutes les peines du monde à y pénétrer pour faire leur travail, mais les informations filtrent et un rapport confidentiel du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme datant de septembre 2006 fait état d’une situation des droits de l’homme « préoccupante », accusant en particulier les autorités marocaines d’avoir utilisé la force « de manière disproportionnée », et la justice marocaine de ne pas être en mesure de garantir des procès équitables aux personnes traduites en justice, tout en estimant que « presque toutes les violations des droits humains du peuple su Sahara Occidental […] découlent de la non application de ce droit humain fondamental [i.e. le droit à l’autodétermination] » –, si l’on ajoute tout cela, la balance ne penche vraiment pas en faveur du régime alaouite.
Alors, mettre dos à dos les deux camps, accréditer l’idée d’une égale propagande, d’une égale mauvaise foi de part et d’autre, à quoi cela sert-il ? Certainement pas à faire avancer les choses, déjà bien trop enlisées.
On peut avoir des doutes sur la pureté des intentions de l’Algérie, ou des interrogations sur l’idéologie du Front Polisario. Mais il y a de quoi discriminer dans ce conflit : le droit international est du côté du peuple sahraoui ; le Maroc n’a aucun droit reconnu sur le Sahara occidental.
Et ce serait aider ce pays – le Maroc – que de le lui rappeler, pour qu’il se libère de sa monomanie nationaliste à propos du Sahara, pour qu’il sorte « par le haut » de ce vieux conflit. Il n’a pas d’autre choix que de parvenir à un règlement pacifique, porteur d’avenir ; un règlement qui préserve ses intérêts (coopération économique, exploitation négociée des ressources de la zone, garanties pour les populations marocaines installées au Sahara, comme le propose le Front Polisario aux négociations de Manhasset) et qui intègre les Saharouis, non pas malgré eux, mais avec eux, dans un marché commun régional, ou dans la toujours attendue Union du Maghreb Arabe.
Et bien entendu, la France devrait, dans son intérêt bien compris, appuyer en ce sens.
MEDIAPART
sep 2008 Par Niko
On n’en parle pratiquement jamais ici, en France. Dans le meilleur des cas, les médias rejettent dos à dos les positions marocaine et sahraouie sur l’avenir du territoire, comme dans un focus du Monde en mars de cette année. Comme pour ajouter à la confusion.
Il y a certes un statu quo qui dure en surface depuis une bonne quinzaine d’années, depuis la signature du cessez-le-feu entre Maroc et Polisario, le 6 septembre 1991. Mais si statu quo veut dire équilibre des forces, il ne signifie pas équilibre des positions.
Le droit à l’autodétermination n’est pas une invention du F. Polisario pour cacher sa revendication d’indépendance, c’est un droit inscrit dans la charte de l’ONU et défendu par celle-ci à l’endroit du peuple sahraoui depuis les années 1960.
En juillet 2003 encore, le Conseil de Sécurité appuyait le plan de James Baker, ancien Secrétaire d’État américan, qui prévoyait un référendum d’autodétermination des Sahraouis après cinq ans d’autonomie ; le Polisario et l’Algérie avaient alors accepté ce plan ; le Maroc l’avait rejeté ! – c’est pourtant ce même pays qui ne jure aujourd’hui que par l’autonomie des Saharouis… à condition il est vrai de ne pas leur demander leur avis !
Après beaucoup d’hésitations, le Front Polisario avait accepté, à l’époque, le principe de passer par 5 années d’autonomie (sous « souveraineté » marocaine donc) avant que les Sahraouis ne puissent s’autodéterminer – c’est-à-dire, bien clairement, avant qu’ils ne puissent choisir entre trois possibilités : l’indépendance, mais aussi l’autonomie et même l’intégration pure et simple au Maroc…
Le Front Polisario avait pris là une position risquée ; une position qu’une partie de sa « base », de sa jeunesse élevée dans l’esprit de résistance, et plutôt prête à en découdre, ne comprendrait sans doute pas. Mais une position réaliste et ouverte vis-à-vis du Maroc, faisant le pari que l’ONU serait le cadre fiable dans lequel pourrait aboutir un processus de décolonisation entamé il y a plus de trente ans. C’est là sans doute que les dirigeants sahraouis se sont trompés.
L’ONU, ou plus précisément le Conseil de sécurité, champ d’affrontement feutré des intérêts des puissants, laisse le problème s’enliser depuis le rejet par le Maroc du plan Baker en 2003. Car on ne veut pas forcer la main du Maroc. On veut si peu lui forcer la main que l’on fait comme si son projet d’autonomie interne pour les Sahraouis était parfaitement acceptable, alors qu’aucun pays au monde n’a reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental : et si l’on n’a pas la souveraineté sur un territoire, comment peut-on lui accorder l’autonomie ?
Certes, « on » (le Conseil de sécurité) ne veut pas non plus forcer la main du Polisario, ou du moins celle de son soutien algérien. Que seraient devenus les Sahraouis, d’ailleurs, sans ce soutien ?
Pourrissement, lassitude des gens, tout cela est vrai. Mais on ne saurait, pour autant, affecter de la même valeur la position du Maroc et celle du Polisario. Le Maroc a annexé le Sahara occidental en novembre 1975. Il l’a envahi. Il a bombardé au napalm et au phosphore la population qui cherchait à le fuir vers l’est, vers l’Algérie où se sont établis bientôt des camps de réfugiés rassemblant plusieurs dizaines milliers de personnes (celles que la presse officielle marocaine a le culot d’appeler aujourd’hui des « séquestrés »). Le Polisario a mené une guerre de libération pendant 16 ans, avec le soutien de l’Algérie ; il y a eu des milliers de morts, de part et d’autre. Cela s’est arrêté avec la signature du cessez-le-feu de septembre 1991, sous l’égide de l’ONU. Cela s’est arrêté avec la promesse des deux parties de s’engager en faveur du processus d’autodétermination du peuple sahraoui.
Mais le Maroc n’a cessé depuis lors, et singulièrement depuis l’arrivée de Mohammed VI au pouvoir en 1999, de pratiquer l’esquive, faisant tout pour torpiller le recensement du corps électoral qui devait permettre l’exercice de ce droit à l’autodétermination au tournant des années 2000. Ensuite, il y eut son refus du plan Baker, puis, depuis 2006, la mise en avant d’un plan d’autonomie qui est présenté comme la seule option possible. En gros : « Sahraouis, vous n’avez pas le choix : c’est l’autonomie ou rien ! Pas de consultation. Éventuellement, on vous proposera un acte de confirmation… »
Le Maroc fait semblant, mais il ne joue pas le jeu du droit international. Si l’on ajoute à cela ce qui se passe au Sahara sous occupation marocaine – les journalistes ont toutes les peines du monde à y pénétrer pour faire leur travail, mais les informations filtrent et un rapport confidentiel du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme datant de septembre 2006 fait état d’une situation des droits de l’homme « préoccupante », accusant en particulier les autorités marocaines d’avoir utilisé la force « de manière disproportionnée », et la justice marocaine de ne pas être en mesure de garantir des procès équitables aux personnes traduites en justice, tout en estimant que « presque toutes les violations des droits humains du peuple su Sahara Occidental […] découlent de la non application de ce droit humain fondamental [i.e. le droit à l’autodétermination] » –, si l’on ajoute tout cela, la balance ne penche vraiment pas en faveur du régime alaouite.
Alors, mettre dos à dos les deux camps, accréditer l’idée d’une égale propagande, d’une égale mauvaise foi de part et d’autre, à quoi cela sert-il ? Certainement pas à faire avancer les choses, déjà bien trop enlisées.
On peut avoir des doutes sur la pureté des intentions de l’Algérie, ou des interrogations sur l’idéologie du Front Polisario. Mais il y a de quoi discriminer dans ce conflit : le droit international est du côté du peuple sahraoui ; le Maroc n’a aucun droit reconnu sur le Sahara occidental.
Et ce serait aider ce pays – le Maroc – que de le lui rappeler, pour qu’il se libère de sa monomanie nationaliste à propos du Sahara, pour qu’il sorte « par le haut » de ce vieux conflit. Il n’a pas d’autre choix que de parvenir à un règlement pacifique, porteur d’avenir ; un règlement qui préserve ses intérêts (coopération économique, exploitation négociée des ressources de la zone, garanties pour les populations marocaines installées au Sahara, comme le propose le Front Polisario aux négociations de Manhasset) et qui intègre les Saharouis, non pas malgré eux, mais avec eux, dans un marché commun régional, ou dans la toujours attendue Union du Maghreb Arabe.
Et bien entendu, la France devrait, dans son intérêt bien compris, appuyer en ce sens.
MEDIAPART
sep 2008 Par Niko
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