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Immigration, identité nationale, sans-papiers

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    Alexis Spire à la préfecture


    Sociologue, chercheur au CNRS, Alexis Spire vient de publier Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration, aux éditions Raison d’agir. Il démontre qu’engagement et rigueur scientifique se conjuguent très bien ensemble. Son livre-enquête est une plongée dans l’univers de l’immigration, vu depuis les guichets de la préfecture.





    Les guichetiers, ces fonctionnaires chargés « de faire du chiffre » et de traquer les fraudeurs, très craints par les candidats à la régularisation, parce qu’ils représentent l’Etat français, reçoivent quelle formation et sur quelles bases travaillent-ils ? Qui sont-ils ?

    Après plusieurs années d’enquête dans les services d’immigration, j’ai essayé de dresser dans ce livre le portait sociologique des agents qui, derrière les guichets, décident du sort des étrangers. Dans la plupart des cas, ce sont des fonctionnaires subalternes qui se retrouvent là par hasard et très rarement par vocation. Dans l’imaginaire des fonctionnaires français, les services en charge de l’immigration occupent une place dévalorisée, un peu à l’image de celle qu’occupent les étrangers dans la société française. C’est la raison pour laquelle on trouve dans ces services des fonctionnaires plutôt en position d’être dominés et notamment des personnels récemment naturalisés ou originaires d’outre-mer. Pour comprendre au plus près la logique dans laquelle ils travaillent, je me suis fait embaucher comme guichetier vacataire, pendant un mois. Cette expérience m’a d’abord permis d’avoir accès à la formation qu’ils reçoivent. Il s’agit d’un apprentissage sur le tas : des collègues plus anciennement en poste expliquent aux nouveaux venus comment repérer les fraudeurs, comment en dire le moins possible aux usagers, tout en essayant d’en savoir le plus possible sur leur parcours. Le temps passé à travailler aux côtés d’autres guichetiers m’a aussi permis d’analyser les différences dans leur manière de se représenter leur mission : selon leur trajectoire sociale, leur position dans le service, leurs croyances et le rapport qu’ils entretiennent avec leur hiérarchie, ils peuvent prendre des décisions variables d’un guichetier à l’autre, d’un bureau à l’autre.


    Comment se traduit sur le terrain la politique de l’immigration choisie ?

    La politique d’immigration choisie reste pour l’instant un slogan politique qui n’a pas véritablement modifié les pratiques quotidiennes de suspicion à l’égard des étrangers qui se présentent au guichet pour demander un titre de séjour. Il est frappant de constater par exemple qu’au niveau de certains consulats, des contingents de visas pour des étrangers très qualifiés ont été fixés par le ministère dans le cadre de l’immigration choisie, mais les agents ne parviennent pas à remplir ces objectifs. Tout d’abord, la condition de trouver un employeur en France qui s’engage pour le candidat est très difficile à remplir. De plus, la cible privilégiée par le gouvernement, celle de personnes hautement qualifiées, correspond à une population qui n’a pas forcément envie de partir pour la France. La politique d’immigration choisie repose, en effet, sur l’hypothèse que tous les étrangers du monde entier veulent venir en France et que l’administration n’a qu’à bien les choisir. En réalité, beaucoup hésitent face aux contrôles tatillons et aux obstacles qu’ils vont devoir affronter s’ils veulent être rejoints par leur famille. Pour l’instant, les seuls résultats viennent du fait que les agents de préfecture, au lieu de délivrer des cartes « vie privée familiale » octroient aux étrangers des cartes « salarié ». Ainsi, on peut faire artificiellement augmenter la part de l’immigration de travail par rapport à l’immigration familiale, mais au-delà de ce phénomène purement comptable, les consulats ont toutes les peines du monde à trouver des candidats qui remplissent les nombreuses conditions imposées par les textes.


    Le discours officiel, qui se veut « ferme et humain », a-t-il un sens ?

    En France, chaque fois qu’un gouvernement s’apprête à changer la loi sur l’immigration, il entoure sa réforme d’un discours vantant l’équilibre d’une loi ferme et humaine. Cet habillage a surtout pour fonction de rassurer en restant le plus flou et le plus général possible. Dans mon livre, j’ai justement essayé de montrer les implications concrètes que pouvaient avoir les grands discours et les belles paroles sur l’immigration. Au quotidien, les agents sont contraints par leur hiérarchie, et du fait de l’existence d’objectifs chiffrés, d’adopter des mesures extrêmement répressives et il est très important pour eux de pouvoir se raccrocher à quelques cas d’étrangers qui ont été régularisés, pour rester convaincus qu’ils mettent en œuvre une politique équilibrée.


    Que pensez-vous de cette imbrication de l’immigration et de l’identité nationale ? L’immigration menacerait-elle l’identité nationale ?

    Tout d’abord, il faut souligner que la France est le seul pays au monde à avoir un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. Pour imposer de nouvelles mesures, ceux qui nous gouvernent utilisent souvent l’argument selon lequel d’autres pays l’ont fait avant nous, mais là, ça ne marche pas. L’association des deux termes n’a été osée par aucun autre gouvernement. Elle puise son inspiration dans une vieille tradition de xénophobie française qui reste arc-boutée sur l’image d’une identité nationale figée et perpétuellement menacée. Dans ce contexte, on demande aux étrangers d’en faire toujours plus pour démontrer leur allégeance à la nation française. On leur demande de connaître les valeurs et les grands principes de la République par le biais d’entretiens personnalisés, mais je serais curieux de savoir ce que seraient capables de répondre un certain nombre de Français à ces questions. En réalité, on fait jouer à l’étranger le rôle de coupable idéal pour expliquer la désaffection de l’identité nationale, alors qu’elle a des causes historiques et sociales qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’immigration.




    Par Rémi Yacine
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