Il y a encore trois semaines, Ragnar Kristinn Kristjansson était un entrepreneur à qui les vents polaires avaient réussi. A 48 ans, ce rouquin dynamique vivait de ses rentes. Son exploitation de champignons lui avait apporté fortune et félicité. Depuis la baie vitrée de son élégante résidence secondaire, à Fludir, à deux heures de route au sud-est de Reykjavik, la capitale, il pouvait contempler fier et serein les vastes plaines volcaniques de l'Islande. Par beau temps, sa terrasse était idéale pour admirer les aurores boréales.
A la banque, il avait droit aux meilleurs égards. Des conseillers attitrés, des taux privilégiés. Le secteur financier de l'île était à son apogée. Toutes les audaces étaient permises. Sur son dernier investissement, on lui avait promis 40 % de bénéfices. C'était pour un hôtel à Pittsburgh, aux Etats-Unis. Il y a cru.
En trois jours, début octobre, tout a sombré : les rentes, l'hôtel à Pittsburgh. Après une décennie d'euphorie, une croissance entre 4 % et 7 % par an, la crise financière internationale a atteint l'Islande, qui n'a rien vu venir. Elle a fait banqueroute, façon Monopoly, avec comptes gelés, crédits bloqués, épargne partie en fumée.
En 72 heures, les 7, 8 et 9 octobre, le gouvernement a dû brutalement nationaliser les trois principales banques du pays pour sauver ce qui était encore "sauvable". Des banques aux noms "barbares" jusqu'alors respectées : Glitnir, Landsbankinn et Kaupthing. C'est chez elles que M. Kristjansson avait fait ses placements. Comme la plupart des 300 000 Islandais. Aujourd'hui, comme beaucoup, il est en colère.
A Reykjavik, des manifestants réclament la tête du gouverneur de la Banque centrale. Dans les rues de la capitale, pas un passant qui n'ait perdu quelque chose dans la banqueroute. "Je n'ai aucune idée de ce qui reste de ma pension !" se désole Peter, 58 ans, consultant en informatique. Comme beaucoup, il avait une retraite par capitalisation. "C'est simple, j'ai perdu toutes mes années d'épargne !", lâche, le pas pressé, Hafsteinn Halldorsson, un intérimaire de 48 ans.
Pour répondre aux inquiétudes de l'opinion, le gouvernement a mis en place un centre d'appels. Il a aussi demandé l'ouverture des églises tard le soir. Et il a fourni des gardes du corps et une porte-parole au premier ministre.
Dans les magasins, face à une demande qui s'écroule, on tente par tous les moyens d'écouler les stocks. Sur les prospectus distribués dans les boîtes aux lettres, on casse les prix : - 50 % sur les pâtisseries, - 80 % sur les meubles, - 90 % sur les chaussures. Les galeries d'art et le milieu artistique, très dépendants du mécénat d'entreprise, craignent le pire. Chez les jeunes, l'humeur est morose. Des étudiants inscrits dans des universités étrangères ont été obligés de revenir en urgence. Avec l'effondrement de la couronne, la vie hors d'Islande est devenue inabordable. D'autres songent à s'expatrier "pour ne pas payer pendant vingt ans les dettes des parents". Une mère rapporte les propos de son jeune garçon, un soir, de retour de l'école : "Maintenant, il va falloir manger tout ce qu'il y a dans l'assiette !"
Ces dix dernières années, c'était la finance qui avait nourri la croissance. Grâce à elle, les Islandais avaient pris l'habitude de se considérer comme "le peuple le plus heureux du monde". Les statistiques les confortaient. Après avoir été l'un des pays les plus pauvres du monde occidental, l'île était devenue l'endroit sur terre où l'on mourait le plus tard, le moins malade et le plus riche.
Mais cette croissance était fragile. Elle était basée sur des emprunts massifs à l'étranger - jusqu'à 550 % du produit national brut - avec une monnaie surévaluée. La crise mondiale n'a eu aucun mal à renverser le château de cartes. Au pays des fjords, des geysers et des rivières à saumons, le quotidien s'est brutalement durci. "Je m'attendais éventuellement à une troisième guerre mondiale, mais pas à ça !" déplore avec humour M. Kristjansson. Dans son cas, la crise pourrait seulement le contraindre à retravailler. Mais pour la plupart des Islandais, les choses sont plus délicates. L'aide du Fonds monétaire international (FMI) ne résoudra pas tout. Depuis trois semaines, l'inflation a fait exploser les prix. Les comptes courants fonctionnent, mais tous les comptes d'épargne ou de placement sont gelés. Personne n'a eu le temps de retirer son argent. En attendant une éventuelle aide étrangère, l'Etat a imposé des mesures de sauvegarde du jour au lendemain.
Toutes les importations sont bloquées. A court de devises, la Banque centrale refuse les sorties de couronnes. Beaucoup de produits manquent dans les boutiques. Seuls les secteurs alimentaire et pharmaceutique sont épargnés. Privée d'argent, l'Islande est un pays paralysé. "C'est comme si on était dans un film d'action et que, au moment de la pire scène du film, on avait pris la télécommande pour faire pause", remarque Einar Arnason, économiste au syndicat du fonds de retraite des employés du secteur public.
Pour des ménages comme celui de Ragnhildur Sigurdordottir, 42 ans, et son époux, la situation est devenue critique. Ils sont propriétaires d'un ranch près de Selfoss, une petite ville sur la côte atlantique, à trente minutes de Fludir. Ils ont deux enfants, et 50 poneys islandais qu'il faut nourrir. Or, il y a trois ans, pour pouvoir investir près de cette bourgade où, comme partout en Islande, les murs des maisons sont recouverts de tôles ondulées colorées, ils ont dû emprunter.
Le crédit qu'on leur a fait souscrire, comme à beaucoup d'Islandais, était en devises étrangères. Un produit que les banques avaient élaboré pour obtenir des taux d'intérêt peu élevés et attirer les clients. Les autres prêts proposés à l'époque étaient à des taux trois fois plus chers, mais le pari était risqué. Avec la dévaluation de la couronne des dernières semaines, les mensualités ont explosé. Pour Mme Sigurdordottir, elles ont doublé. Le ménage était régulièrement à découvert, il l'est encore plus. En Islande, on ne crie pas, on ne s'énerve pas face à l'adversité.
Fidèle au pragmatisme islandais, cette jolie mère de famille aux longs cheveux blonds refuse donc de s'alarmer. Elle préfère s'accrocher à la promesse gouvernementale d'allongement des créances pour les ménages les plus en difficulté : "De toute façon, nous n'avons pas d'épargne et rien à vendre."
A la banque, il avait droit aux meilleurs égards. Des conseillers attitrés, des taux privilégiés. Le secteur financier de l'île était à son apogée. Toutes les audaces étaient permises. Sur son dernier investissement, on lui avait promis 40 % de bénéfices. C'était pour un hôtel à Pittsburgh, aux Etats-Unis. Il y a cru.
En trois jours, début octobre, tout a sombré : les rentes, l'hôtel à Pittsburgh. Après une décennie d'euphorie, une croissance entre 4 % et 7 % par an, la crise financière internationale a atteint l'Islande, qui n'a rien vu venir. Elle a fait banqueroute, façon Monopoly, avec comptes gelés, crédits bloqués, épargne partie en fumée.
En 72 heures, les 7, 8 et 9 octobre, le gouvernement a dû brutalement nationaliser les trois principales banques du pays pour sauver ce qui était encore "sauvable". Des banques aux noms "barbares" jusqu'alors respectées : Glitnir, Landsbankinn et Kaupthing. C'est chez elles que M. Kristjansson avait fait ses placements. Comme la plupart des 300 000 Islandais. Aujourd'hui, comme beaucoup, il est en colère.
A Reykjavik, des manifestants réclament la tête du gouverneur de la Banque centrale. Dans les rues de la capitale, pas un passant qui n'ait perdu quelque chose dans la banqueroute. "Je n'ai aucune idée de ce qui reste de ma pension !" se désole Peter, 58 ans, consultant en informatique. Comme beaucoup, il avait une retraite par capitalisation. "C'est simple, j'ai perdu toutes mes années d'épargne !", lâche, le pas pressé, Hafsteinn Halldorsson, un intérimaire de 48 ans.
Pour répondre aux inquiétudes de l'opinion, le gouvernement a mis en place un centre d'appels. Il a aussi demandé l'ouverture des églises tard le soir. Et il a fourni des gardes du corps et une porte-parole au premier ministre.
Dans les magasins, face à une demande qui s'écroule, on tente par tous les moyens d'écouler les stocks. Sur les prospectus distribués dans les boîtes aux lettres, on casse les prix : - 50 % sur les pâtisseries, - 80 % sur les meubles, - 90 % sur les chaussures. Les galeries d'art et le milieu artistique, très dépendants du mécénat d'entreprise, craignent le pire. Chez les jeunes, l'humeur est morose. Des étudiants inscrits dans des universités étrangères ont été obligés de revenir en urgence. Avec l'effondrement de la couronne, la vie hors d'Islande est devenue inabordable. D'autres songent à s'expatrier "pour ne pas payer pendant vingt ans les dettes des parents". Une mère rapporte les propos de son jeune garçon, un soir, de retour de l'école : "Maintenant, il va falloir manger tout ce qu'il y a dans l'assiette !"
Ces dix dernières années, c'était la finance qui avait nourri la croissance. Grâce à elle, les Islandais avaient pris l'habitude de se considérer comme "le peuple le plus heureux du monde". Les statistiques les confortaient. Après avoir été l'un des pays les plus pauvres du monde occidental, l'île était devenue l'endroit sur terre où l'on mourait le plus tard, le moins malade et le plus riche.
Mais cette croissance était fragile. Elle était basée sur des emprunts massifs à l'étranger - jusqu'à 550 % du produit national brut - avec une monnaie surévaluée. La crise mondiale n'a eu aucun mal à renverser le château de cartes. Au pays des fjords, des geysers et des rivières à saumons, le quotidien s'est brutalement durci. "Je m'attendais éventuellement à une troisième guerre mondiale, mais pas à ça !" déplore avec humour M. Kristjansson. Dans son cas, la crise pourrait seulement le contraindre à retravailler. Mais pour la plupart des Islandais, les choses sont plus délicates. L'aide du Fonds monétaire international (FMI) ne résoudra pas tout. Depuis trois semaines, l'inflation a fait exploser les prix. Les comptes courants fonctionnent, mais tous les comptes d'épargne ou de placement sont gelés. Personne n'a eu le temps de retirer son argent. En attendant une éventuelle aide étrangère, l'Etat a imposé des mesures de sauvegarde du jour au lendemain.
Toutes les importations sont bloquées. A court de devises, la Banque centrale refuse les sorties de couronnes. Beaucoup de produits manquent dans les boutiques. Seuls les secteurs alimentaire et pharmaceutique sont épargnés. Privée d'argent, l'Islande est un pays paralysé. "C'est comme si on était dans un film d'action et que, au moment de la pire scène du film, on avait pris la télécommande pour faire pause", remarque Einar Arnason, économiste au syndicat du fonds de retraite des employés du secteur public.
Pour des ménages comme celui de Ragnhildur Sigurdordottir, 42 ans, et son époux, la situation est devenue critique. Ils sont propriétaires d'un ranch près de Selfoss, une petite ville sur la côte atlantique, à trente minutes de Fludir. Ils ont deux enfants, et 50 poneys islandais qu'il faut nourrir. Or, il y a trois ans, pour pouvoir investir près de cette bourgade où, comme partout en Islande, les murs des maisons sont recouverts de tôles ondulées colorées, ils ont dû emprunter.
Le crédit qu'on leur a fait souscrire, comme à beaucoup d'Islandais, était en devises étrangères. Un produit que les banques avaient élaboré pour obtenir des taux d'intérêt peu élevés et attirer les clients. Les autres prêts proposés à l'époque étaient à des taux trois fois plus chers, mais le pari était risqué. Avec la dévaluation de la couronne des dernières semaines, les mensualités ont explosé. Pour Mme Sigurdordottir, elles ont doublé. Le ménage était régulièrement à découvert, il l'est encore plus. En Islande, on ne crie pas, on ne s'énerve pas face à l'adversité.
Fidèle au pragmatisme islandais, cette jolie mère de famille aux longs cheveux blonds refuse donc de s'alarmer. Elle préfère s'accrocher à la promesse gouvernementale d'allongement des créances pour les ménages les plus en difficulté : "De toute façon, nous n'avons pas d'épargne et rien à vendre."
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