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Droits de l’homme - Ziegler: "La crise est une occasion formidable"

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  • Droits de l’homme - Ziegler: "La crise est une occasion formidable"

    Jean Ziegler, du Conseil des droits de l’homme de l’Onu, décrète la fin du néolibéralisme triomphant. Il cite Morales et la Bolivie en exemples de réveil du Sud.

    Entretien

    L’ancien rapporteur de l’Onu pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, publie "La Haine de l’Occident" (*). Aujourd’hui membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, il a un regard très percutant sur la crise actuelle.

    La reconnaissance des dommages de l'esclavagisme et de la colonisation et des réparations sont-elles un préalable à l'établissement de saines relations entre le Nord et le Sud ?


    Le Sud l’exige. C’est très mystérieux ; ce n’est que maintenant que resurgit cette mémoire blessée, cette récupération de l’identité qui se traduit ensuite par la double revendication, réparation et repentance. Un parallélisme peut être fait avec la Shoah. Pendant longtemps, elle a été renvoyée au silence. Et ce n’est que trente ans après qu’elle s’est installée dans la conscience collective comme un fait irréfutable, créateur de revendications. Une chose semblable est en train de se passer avec les peuples du Sud.

    Il y a deux haines. La haine pathologique représentée par al Qaeda, le salafisme, qui est à combattre. Mais elle est née de la même souffrance que la haine raisonnée. Sartre dit dans "La Critique de la raison dialectique": "Pour aimer les hommes, il faut détester fortement ce qui les opprime." C’est la mémoire des blessures de ceux qui ont souffert et en même temps, c’est la haine du système capitaliste meurtrier que l’Occident a imposé à la planète. Les Blancs sont aujourd’hui 13 pc de la population mondiale ; ils sont très minoritaires. Depuis 500 ans, par des systèmes toujours différents mais qui s’aggravent dans le mépris et l’exploitation, ils règnent sur la planète.



    Pour vous, l'ordre économique actuel est le produit des systèmes d'oppression antérieurs ?

    Oui, de la conquête, de l’esclavage, du colonialisme. Edgar Morin, qui n’est pas un trotskiste frénétique, a déclaré que "la domination de l’Occident est la pire de l’histoire humaine dans sa durée et son extension". Cet ordre du monde a une double caractéristique: il est meurtrier et absurde. Meurtrier: selon les chiffres de la FAO, toutes les cinq secondes, un enfant meurt de faim ; 100000 personnes meurent de faim ou de ses suites par jour et 923millions de personnes sont gravement et en permanence sous-alimentés. Absurde: ceci se passe sur une planète où l’agriculture actuelle pourrait nourrir sans problème (2700 calories par individu par jour) 12milliards d’êtres humains. Il n’y a aucune fatalité. Un enfant qui meurt de faim aujourd’hui est assassiné.

    La crise financière actuelle peut-elle dès lors être salutaire ?


    Elle est créatrice de souffrances. Il y a 10000 familles par jour aux Etats-Unis qui sont expulsées de leur logement. La récession commence ; le chômage va augmenter à Bruxelles, à Paris ou à Genève. Il ne faut pas minimiser la souffrance, réelle, en Occident.

    Mais c’est une occasion formidable. Le néolibéralisme, cette théorie obscurantiste, a dominé le monde pendant vingt ans, depuis que l’Union soviétique a explosé en août1991. Il disait: "Le marché est totalement autonome, s’autorégule" ; "Les lois économiques sont des lois naturelles" ; "Le chômage de masse augmente, c’est le marché" ; "Il y a une délocalisation des industries vers les pays périphériques, c’est le marché" ; "On n’y peut rien". Cette théorie était totalement triomphante, légitimatrice de cet ordre meurtrier du monde ; aujourd’hui, elle s’écroule. Les malfaiteurs eux-mêmes font appel à l’Etat. Et comme on vit tout de même en démocratie en Occident, ce rejet peut provoquer une prise de conscience du mensonge néo-libéral.



    La réaction d'un dirigeant comme Nicolas Sarkozy vise-t-elle à changer le système ou à l'accommoder pour assurer sa survie ?


    Elle ne vise pas à changer le système. Nicolas Sarkozy est un mercenaire. Face à la mémoire blessée du Sud, il répond en justifiant le colonialisme dans son discours de Dakar. "Le colonialisme avait de bons côtés ; on a fait des écoles, des routes asphaltées" Les Africains répondent: "Et les 85000 morts à Madagascar? Et le travail forcé? Quand les agents de Léopold II sont arrivés au Congo, il y a avait 20millions d’habitants dans l’immense bassin congolais, seize ans plus tard, il y en avait dix millions" Tout cela est justifié par Nicolas Sarkozy par son refus de la nostalgie. Le 12octobre, à l’Elysée, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel président la réunion des membres de l’Eurogroupe. Après trois heures et demie de débats, ils disent: "Nous avons libéré 1700 milliards d’euros pour le crédit interbancaire en Europe et pour permettre aux banques d’augmenter le plancher de leurs capitaux propres de 3 à 5 pc." Si une femme au Darfour apprenait cela alors que les rations distribuées par les Nations unies dans les camps de réfugiés sont 700 calories en-dessous du minimum vital pour des raisons budgétaires Dans cette crise, il y a quelque chose de totalement choquant.



    Les émeutes de la faim observées ces derniers mois dans de nombreux pays sont-elles annonciatrices d'une vaste révolte sociale du Sud ?



    Je crois. Ce sont des signes avant-coureurs de ce réveil du Sud, appuyé sur une mémoire récupérée, une identité reconstituée et un refus radical de l’ordre du monde.


    Dans votre livre, vous détaillez la situation du Nigeria, comme exemple de collusion entre Occidentaux et dirigeants corrompus, et, a contrario, celle de la Bolivie. L'exemple bolivien démontre-t-il que la solution doit venir du Sud ?

    Totalement. En Bolivie, pour la première fois depuis 500 ans en Amérique du Sud, à travers des élections libres, un Indien accède au pouvoir le 1erjanvier 2006. En six mois, il rétablit la souveraineté énergétique. Il rétablit le contrôle bolivien sur les champs pétroliers, gaziers et sur les mines. La Bolivie était le deuxième pays le plus pauvre d’Amérique latine derrière Haïti alors qu’elle est propriétaire, après le Venezuela, des plus grandes ressources pétrolières. En 2005, l’Etat bolivien touchait sur les revenus pétroliers 5 pc et les sociétés pétrolières étrangères 95 pc ; aujourd’hui, ces dernières touchent 18 pc et l’Etat bolivien 82 pc. Dans deux ans, les caisses seront remplies de milliards de dollars qui seront immédiatement transformés en hôpitaux, en routes, en infrastructures, en programmes contre la malnutrition C’est extraordinaire. Et les sociétés pétrolières sont restées en tant que sociétés de service. Les Norvégiens ont beaucoup conseillé Evo Morales et ont calculé qu’en leur laissant 18 pc, ils resteraient parce que c’est encore très très rentable


    Gérald Papy

    Mis en ligne le 24/10/2008
    (*) "La Haine de l’Occident", éd. Albin Michel, Paris, 2008, 298 pp., 21€




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