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Soufisme et Science

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  • Soufisme et Science

    Pour une Approche Pluridimensionnelle de l’Objectivite Scientifique
    Eric Younès Geoffroy

    Dans l’intitulé même de la séance de cet après-midi ("L’intellectuel face au religieux"), on peut détecter un présupposé selon lequel l’intellectuel détiendrait à lui seul l’objectivité scientifique, dans le regard qu’il pose sur le religieux, lequel se trouve dès lors voué au subjectif et à l’irrationnel. Nous serions donc, nous autres enseignants et chercheurs travaillant sur les divers modes de présence du religieux - social, spirituel, politique, psychologique... - des observateurs neutres, étudiant des "sujets", c’est-à-dire des êtres ou des phénomènes soumis à la subjectivité, comme l’induit la langue française.
    Soyons donc à la hauteur de nos prétentions scientifiques, et envisageons par exemple ce qu’a à nous dire l’anthropologie, science humaine qui a poussé loin la réflexion sur les rapports entre observateur et observé. « C’est lorsque l’anthropologue prétend à la neutralité absolue, lorsqu’il croit avoir recueilli des faits "objectifs", lorsqu’il élimine des résultats de sa recherche tout ce qui a contribué à y accéder et qu’il gomme soigneusement les traces de son implication personnelle dans l’objet de son étude, qu’il risque le plus de s’écarter du type d’objectivité et du mode de connaissance spécifiques de sa discipline » [1]. Cette remarque émane de François Laplantine, professeur d’anthropologie à l’Université Lyon II, auprès duquel j’ai étudié avant de me "convertir" aux études arabes et islamiques. « S’il est possible, et même nécessaire, poursuit Laplantine, de distinguer celui qui observe et celui qui est observé, il me paraît en revanche exclu (a fortiori si l’on prétend faire oeuvre scientifique) de les dissocier. Nous ne sommes jamais des témoins objectifs observant des objets, mais des sujets observant d’autres sujets. [...] Si l’ethnographe perturbe une situation donnée, et même crée une situation nouvelle, due à sa présence, il est à son tour éminemment perturbé par cette situation. Ce que vit le chercheur, dans sa relation à ses interlocuteurs (ce qu’il refoule ou ce qu’il sublime, ce qu’il déteste ou ce qu’il chérit), fait partie intégrante de sa recherche. Aussi une véritable anthropologie scientifique doit-elle toujours poser le problème et des motivations extra-scientifiques de l’observateur et de la nature de l’interaction en jeu » [2]. Je vous prie de m’excuser pour cette longue citation, mais je crois que tout enseignant, tout chercheur peut, à un degré ou à un autre, se regarder dans le miroir de l’anthropologue.
    En fait, l’idée que l’on puisse construire un objet d’observation indépendamment de l’observateur est issue d’un modèle "objectiviste", qui fut celui de la physique jusqu’à la fin du XIXe siècle, mais que les physiciens eux-mêmes ont abandonné depuis longtemps. On croyait alors qu’il était possible de découper des objets, de les isoler, puis d’objectiver un terrain d’étude dont l’observateur serait absent. Par la suite, la réintégration de l’observateur dans le champ de l’observation ne s’est pas effectuée par la voie des sciences humaines, comme on pourrait le croire, mais par le biais de la physique moderne. Dès 1927, Heisenberg montrait que l’on ne pouvait observer un électron sans créer une situation qui le modifie. Il en tira son fameux « principe d’incertitude », qui le conduisit à réintroduire le physicien dans l’expérience même de l’observation physique. Il s’agit là de sciences dites "exactes" ; qu’en est-il alors des sciences humaines, dans lesquelles un humain observe un autre humain ? Les anthropologues s’insurgent également contre l’idée que le sujet étudié - dans notre cas, le religieux, ou l’homme religieux - serait une entité irréductible à la rationalité que nous revendiquons comme nôtre. Claude Lévi-Strauss, bien connu, récusait une opinion répandue chez beaucoup de chercheurs occidentaux, selon laquelle « la conscience serait l’ennemie secrète des sciences de l’homme ». Le problème est-il davantage aïgu en France, du fait de la séparation de l’étatique et du religieux ?
    Malgré ce qui vient d’être dit, ne tombons pas dans le pessimisme, qui avait suscité à Michel Foucault cette réflexion : « Les sciences humaines sont de fausses sciences, ce ne sont pas des sciences du tout ». Gardons du moins à l’esprit que, à l’instar du relativisme culturel dont des hommes éclairés se sont rapidement fait l’avocat, relayés ensuite par les anthropologues, le relativisme scientifique s’impose à nous. J’entends par là que la remise en cause permanente qui fonde notre démarche critique doit certes s’appliquer à l’objet étudié, mais en premier lieu c’est nous-mêmes qu’elle concerne.
    Venons-en maintenant à l’islam. J’ai été frappé par le fait que celui-ci n’a pas une conception monolithique, unidimensionnelle de la "science". La science, al-‘ilm, est une, comme le souligne le maître soufi Ibn ‘Arabî, puisqu’elle procède de Dieu l’Unique, mais les modalités de la connaissance, elles, sont multiples. Pour cette raison, les diverses branches de la science ont globalement fait bon ménage en islam classique.
    Cependant, il est vrai que la science proprement religieuse de l’islam, la théologie (‘ilm al-kalâm), c’est-à-dire le discours produit sur le religieux, est essentiellement apologétique : il s’agit de justifier un dogme. En effet, cette théologie s’est élaborée sur un credo, sur une foi qui, par nature, est subjective, puisqu’elle consiste à adhérer à quelque chose que l’on ne voit pas : le Ghayb. Par ailleurs, cette même théologie a été influencée par son corrélatif d’opposition, en quelque sorte, la philosophie hellénistique (al-falsafa) qui, elle, place son fondement dans le doute et sa légitimité dans l’argumentation rationnelle. La science islamique classique s’est donc nourrie de la confluence de ces deux types d’appréhension du monde, le dogme et la raison.
    Mais à ce stade-là, nous sommes toujours dans le champ des élaborations conceptuelles et des supputations (zunûn), dont se défient les spirituels de l’islam. Aussi, nombreux sont les oulémas qui, rompus à ces différentes disciplines exotériques, se sont sentis enfermés, à un certain moment de leur évolution, dans un système clos, "subjectif" en définitive, car ne laissant pas pénétrer la lumière de la Haqîqa, la Réalité divine ou spirituelle. Ceci les conduisit à valoriser le dévoilement et l’inspiration (al-kashf wa l-ilhâm) comme moyens de parvenir à la vision certaine (al-yaqîn) de cette Réalité, c’est-à-dire à l’évidence métaphysique. Là seulement résidait pour eux la suprême objectivité scientifique, dans l’au-delà de la foi et de la raison. C’est ce qui a amené un Ghazâlî (m. en 1111) et un Suyûtî (m. en 1505), par exemple, à considérer le tasawwuf, le soufisme, comme l’acmé de la science en islam, et à se plier à la discipline initiatique des soufis. Le premier, après avoir maîtrisé et enseigné les diverses sciences islamiques, confessait à la fin de sa vie que seule la science du dévoilement (‘ilm al-mukâshafa) permet d’accéder à la « perception sûre et directe (al-‘iyân al-ladhî lâ yushakku fî-hi) des réalités spirituelles [3]. Le second, un célèbre savant de la fin de l’époque mamelouke, attribuait à l’inspiration et au dévoilement des soufis un statut quasiment infaillible et, chose notable, il fut le premier - mais pas le dernier - à introduire ces phénomènes spirituels dans le domaine de la fatwâ, chasse gardée jusqu’alors du droit (fiqh) et des autres sciences exotériques. Ibn Khaldûn (m. en 1406) lui-même agrée ces sciences spirituelles, en se fondant sur l’héritage prophétique dont sont investis les "amis de Dieu", les saints de l’islam [4] . Quant à Ibn Taymiyya (m. en 1328), jugé à tort comme obtus, il va jusqu’à reconnaître au dévoilement spirituel une autorité en matière juridique, lorsque les sources scripturaires font défaut bien sûr [5].
    Dernière modification par MavericK, 15 octobre 2008, 18h11.

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    Ces savants ne font en fait que confirmer ce qu’ont toujours énoncé les maîtres du soufisme, à savoir que le tasawwuf est une science expérimentale - et non conceptuelle - ayant ses règles, ses méthodes et sa terminologie. Il n’est pas indifférent qu’elle soit appelée « la science de la Réalité - spirituelle, s’entend » (‘ilm al-Haqîqa) et qu’elle aboutisse logiquement à la Connaissance, à la gnose (al-ma‘rifa). Sous ce rapport, il importe de souligner que toute science spirituelle authentique - car le spirituel est plus perméable que tout autre domaine aux déviations et parodies - est supra-rationnelle, et non pas irrationnelle. Elle ne nie pas le rationnel, elle l’intègre pour mieux le dépasser. Sans l’esprit humain, qui lui sert de réceptacle, elle ne pourrait s’ancrer dans la matière. C’est pour cela qu’en islam l’acquisition de la science exotérique constitue un préalable à la quête de la science ésotérique. Toutefois, le mental (al-‘aql) a ses limites : comme le rappellent les soufis, ce terme ‘aql signifie l’entrave, le lien. Quoi qu’il en soit, les maîtres des différentes traditions spirituelles témoignent, par leur exemple, que l’on peut user du rationnel et être réceptifs au supra-rationnel, et qu’activité intellectuelle et vie spirituelle se fécondent mutuellement.
    Concrètement, l’amplitude de la notion de ‘ilm (« science ») a été reconnue jusqu’à un certain degré en islam. Pour ce qui nous concerne, le zâhir, l’exotérique, a dû céder du terrain au bâtin, l’ésotérique, la science acquise (al-‘ilm al-kasbî) à la science "innée" (al-‘ilm al-wahbî), et la déduction cérébrale (al-istidlâl) au dévoilement spirituel (al-kashf). L’usage de ce dernier comme support dans la pratique de l’ijtihâd (effort d’interprétation de la Loi) a même été admis par certains milieux de oulémas : pour ces derniers, l’objectivité était également de nature supra-rationnelle. L’islam médiéval a donc pu respirer, notamment parce que le spirituel habitait - parfois ou souvent ? - le religieux [6]. Certes, des réflexes de fermeture, de crispation sont apparus très tôt ; ils n’ont fait que se développer par la suite, générant une sclérose de la science islamique et de ses modes de transmission. Une modernité mal comprise a fait alors passer la spiritualité pour des superstitions. Mais c’est là une autre histoire.
    L’enjeu est pourtant réel, car la spiritualité contribue, avec d’autres sciences telles que la philosophie, la psychologie, etc., à créer une culture religieuse ouverte et épanouie. Ainsi, certains soufis, conscients qu’il y a une seule vérité métaphysique qui investit mais dépasse en même temps les différentes formes religieuses, ont-ils prôné l’ « unité transcendante des religions » (wahdat al-adyân) et ont-ils pratiqué avant l’heure le dialogue interreligieux. La parabole suivante de Ghazâlî illustre bien notre propos. Des aveugles se trouvent un jour en présence d’un éléphant, animal dont ils n’ont aucune connaissance, même théorique. Chacun tente donc de le décrire, et se le représente suivant le membre qu’il a touché : pour l’un, qui a tâté une patte, l’éléphant ressemble à une colonne ; pour un autre, qui a tâté une des défenses, l’éléphant ressemble à un pieu, etc. Par cette parabole, Ghazâlî tend à montrer l’erreur qui consiste à enfermer l’universel dans des vues fragmentaires et, par suite, les déficiences de l’exclusivisme dogmatique. L’homme spirituel doit inscrire sa démarche dans une forme religieuse, mais, sous peine d’ostracisme, il ne doit pas considérer celle-ci comme la seule valable. A propos du "relativisme culturel" prôné par les anthropologues, nous avions évoqué le "relativisme scientifique" : le "relativisme dogmatique" s’impose maintenant à nous. La perspective de l’ « unité transcendante des religions », il faut le souligner, est scientifiquement fondée, puisque la mystique comparée - qui est une science humaine comme une autre - nous enseigne qu’il y a des invariants, des expériences communes aux spirituels de toutes les religions. Cette "objectivité scientifique", je la constate d’une part en tant que chercheur, sur le terrain des sciences humaines, et j’y adhère intérieurement, d’autre part, en tant qu’individu engagé dans une voie spirituelle. Mes deux niveaux de participation au soufisme, le premier "académique", le second d’ordre privé, personnel ne sont donc nullement contradictoires à mes yeux, mais complémentaires. Il m’arrive rarement de peiner à dissocier ces deux niveaux, et de me poser la question, en présence d’un texte soufi : suis-je ici chercheur, ou suis-je adepte ? Le plus souvent, le discernement s’opère facilement, de façon automatique. C’est ce que j’ai pu éprouver, notamment lorsque j’ai travaillé sur le miracle en islam : au sein même du soufisme, les prises de position sur ce phénomène sont très variées et nuancées, mais d’évidence, je ne pouvais adhérer à certains types de discours hagiographiques, qui ont manifestement pour fonction d’édifier le public.
    Les deux démarches, académique et intérieure, offrent donc chacune leur part d’objectivité ; c’est pourquoi je les mets à contribution dans ma méthodologie : j’essaie ainsi, sur un sujet précis, de confronter doctrine spirituelle, histoire et anthropologie. La réalité n’est jamais unidimensionnelle, et si j’en passe sous silence un seul aspect, je la défigure dans sa totalité. Il s’agit là, bien sûr, d’un idéal vers lequel tend le chercheur. Dans ma thèse [7], par exemple, j’ai tenté de combler le hiatus existant entre les deux approches divergentes par lesquelles est habituellement traitée la mystique musulmane : l’une purement doctrinale ou métaphysique, l’autre sociologique ou anthropologique. Mon propos a été de mettre en regard les données historiques d’une période précise et les traits permanents de la spiritualité en islam, d’inscrire le soufisme dans le cadre de la culture islamique qui le supporte. Aucune doctrine n’est dépourvue de dimension historique. Il faut donc s’attacher à suivre le cheminement d’un thème d’une discipline islamique à une autre (théologie, mystique...), d’une école de soufisme à une autre ; à cet égard, l’étude du vocabulaire technique (istilâh), déjà évoqué, et des diverses acceptions qu’il a prises au fil du temps s’avère précieuse. A mon sens, tout historien des religions ou des idées doit activer un mouvement de balancier entre temporel et intemporel, histoire et métahistoire. J’espère ainsi échapper à cette « schizophrénie profonde et permanente » qui caractérise, selon Edgar Morin, les sciences de l’homme.
    Déplaçons un petit peu notre angle de vision : nous avons célébré en 1998 le huit-centième anniversaire de la mort d’Averroès. Or, à ceux qui voudraient faire de lui un pur rationaliste luttant contre l’obscurantisme religieux, rappelons que, pour le savant andalou, il n’y a foncièrement aucune contradiction entre la religion et la philosophie : la philosophie médiévale latine, avec sa théorie de la "double vérité" dont nous héritons encore, s’est lourdement fourvoyée dans son interprétation d’Averroès [8].
    Il m’importe uniquement ici, je le répète, de mettre en évidence cette interaction existant entre notre objet d’étude et nous-mêmes. Je préfère admettre mon implication dans ce que j’étudie puisque de toute façon, comme on l’a vu, cet objet d’étude m’implique. « La perturbation que l’ethnologue impose par sa présence à ce qu’il observe et qui le perturbe lui-même, loin d’être considérée comme un obstacle épistémologique qu’il conviendrait de neutraliser, est une source infiniment féconde de connaissance », affirme F. Laplantine [9]. Par mon mode de participation intérieur à ma discipline, peut-être parviens-je à plus de proximité, d’intimité avec elle. Un collègue historien me disait récemment, sur un ton qui trahissait presque de la jalousie, avoir noté que les spécialistes du soufisme, musulmans ou non, sont davantage captivés, passionnés par leur terrain de recherche que les autres orientalistes. Je ne pense pas que cette remarque soit globalement pertinente, mais il est vrai qu’elle s’applique avec justesse aux grandes figures - aux "grandes âmes" - que furent Louis Massignon et Henry Corbin, par exemple. Ce dernier n’affirmait-il pas qu’ « il y a une polarité entre l’objet qui se montre et celui à qui il se montre » ? Dans le Cahier de l’Herne [10] qui lui fut consacré, il donnait cet exemple : « [...] on ne peut réussir un livre sur Platon qu’à la condition d’être platonicien au moins pendant qu’on écrit. C’est ce qu’ont beaucoup de peine à comprendre les historiens des religions comme tels » [11].

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    • #3
      3/3

      L’on voudra bien simplement retirer de mon plaidoyer que si je demande à l’islam d’être à la hauteur de son message, c’est-à-dire de faire vivre en lui plusieurs dimensions ou conceptions de la science, je peux en demander autant aux enseignants et chercheurs occidentaux : lorsque nous étudions le religieux, et l’islamique en particulier, sommes-nous sûrs de ne pas réduire l’ "objectivité scientifique" à notre seul entendement ? Et, d’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement ? Il me paraît donc tout à fait fondé sur le plan épistémologique de reconnaître qu’il y a plusieurs types ou niveaux d’objectivité scientifique ou, pour reprendre un enseignement soufi, que l’objectivité scientifique est comparable à l’eau : suivant la couleur et la forme du récipient qui la reçoit, elle prend différentes apparences.
      Mais il faut également conclure en proposant des perspectives concrètes : le débat évoqué en ces lignes s’inscrit dans un autre, plus ample mais quant au fond similaire, mené par les instances européennes. Sur ce point notamment, nous autres, intellectuels français, devrons élargir nos horizons. Dans une communication intitulée La dimension spirituelle de l’Europe - Ni « confessionnalisme », ni « laïcisme » : vers un autre modèle de relation entre le religieux et la société, Raimon Ribera, un des responsables européens à Bruxelles, déclare : « L’avenir de l’Europe pourrait être celui d’une Europe non confessionnelle, mais sensible à la dimension spirituelle. Une Europe intéressée à connaître les contributions de toutes les religions et de tous les religieux, de tous les chercheurs spirituels ». Plus loin, il affirme encore : « Les sociétés doivent dialoguer avec le monde religieux, doivent se laisser interpeller par lui, confronter ses valeurs et ses structures avec les critères dérivés de la recherche spirituelle » [12]. Tel est le propos de divers programmes européens, déjà sur pied ou à venir, le plus actif étant à ce jour Donner une âme à l’Europe.

      [1] F. Laplantine, L’anthropologie, Paris, 1995, p.168.
      [2] Ibid., p.168-169.
      [3] Cf. Ihyâ’ ‘ulûm al-dîn, Beyrouth, 1983, I, p.20.
      [4] Shifâ’ al-sâ’il li-tahdhîb al-masâ’il, Tunis, 1991, p.210.
      [5] « Ibn Taimîya : a Sûfî of the Qâdiriyya Order », American Journal of Arabic Studies, vol.1, Leiden, 1973, p.128.
      [6] Force est de distinguer le spirituel du religieux, car le second n’est pas toujours capable du premier. Au demeurant, la voie proprement spirituelle ou initiatique a, dans toutes les traditions, été réservée à une élite. Par contre, si une spiritualité diffuse ne pénètre pas le religieux vécu par la masse des croyants, celui-ci se déssèche ou se raidit, engendrant un "intégrisme" ou l’autre.
      [7] Le soufisme en Egypte et en Syrie sous les derniers Mamelouks et les premiers Ottomans - orientations spirituelles et enjeux culturels, Institut Français de Damas, 1995.
      [8] Voir sur ce point les propos éclairants d’Alain de Libera dans son introduction à l’édition bilingue du Fa&Mac215;l al-Maqâl / Discours décisif d’Averroès (traduction de Marc Geoffroy), Paris, 1996, notamment p.63 à 67.
      [9] Op. cit., p.172.
      [10] L’Iran et la philosophie, Paris, 1990, p.105.
      [11] Cahier de l’Herne n° 39, Paris, 1981, p.51.
      [12] C’est moi qui souligne.


      (Source)

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      • #4
        Les voies d’accès à la Réalité dans le soufisme
        Eric Younès Geoffroy

        Résumé :
        Selon l’épistémologie soufie, la réalité ne se limite ni aux apparences sensibles ni à nos constructions mentales. L’argumentation rationnelle est un outil qu’il faut à un moment délaisser pour accéder à une science d’ordre supérieur, inspirée, fruit du « dévoilement spirituel ». Ainsi, l’approche par les soufis de l’Unicité (tawhîd) se fonde sur une méta-physique puissante, englobante, mais toujours issue de l’expérience, de la « gustation ». A l’instar d’autres traditions ‘‘orientales’’, le soufisme voit le monde phénoménal comme illusoire lorsqu’il est envisagé en tant qu’entité autonome distincte de l’Être divin, mais comme réel s’il est investi par le seul « Réel »/al-Haqq, Dieu.
        Le soufisme développe donc des méthodes de connaissance du Réel, telles que l’apophatisme (« L’impuissance à percevoir est en soi une perception »), la voie du paradoxe, ou « union des contraires », l’extinction à l’illusion de notre ego (fanâ’)... Quels sont les enjeux de la ‘‘résonance’’, constatée ici, entre la métaphysique islamique et la physique quantique ? En quoi, encore, cette métaphysique propose-t-elle un cadre d’investigation au scientifique contemporain qui soit plus ample que le terrain expérimental se fondant sur le seul monde phénoménal ? Un chose est sûre : la ‘‘pensée unique’’, qu’elle soit scientifique ou religieuse, est borgne car elle ne saisit qu’une facette de la Réalité. Spirituels et scientifiques devraient donc œuvrer à faire émerger une science intégrale qui consacre l’alliance perdue entre raison et intuition.
        I. Questions d’épistémologie
        Depuis au moins Ghazâlî (m. 1111), le soufisme a acquis droit de cité dans la culture islamique . Sa doctrine et sa terminologie prennent forme dès le IXe siècle, époque de la « collecte » ou « codification » (tadwîn) de la doctrine islamique, qui dès lors se constitue en différentes sciences telles que les « fondements du droit », les « fondements de la religion », le « commentaire coranique », la « science du hadîth », etc.
        Ces sciences n’existaient pas plus nominalement que le soufisme du temps du Prophète C’est pourquoi un cheikh du Xe siècle affirmait : « Le soufisme était auparavant [à l’époque du Prophète] une réalité sans nom ; il est maintenant un nom sans réalité ».
        Si le soufisme a bien sa place dans le domaine des sciences islamiques (il est enseigné dans les instituts supérieurs d’études islamiques/madrasa depuis le XIIe siècle, et à al-Azhar depuis le XIIIe), il n’en a pas moins une teneur spécifique. D’essence subtile, il est appelé dès ses débuts la « science des coeurs » ou la « science des états spirituels », par opposition aux disciplines formelles, telles que le droit. « Science de l’intérieur » (‘ilm al-bâtin), par opposition à la science exotérique (‘ilm al-zâhir), il propose une explication au second degré, paradoxale, du monde, qui est le plus souvent incompréhensible pour les exotéristes. C’est pourquoi les soufis se contentent bien souvent de faire « allusion » (ishâra) aux réalités spirituelles auxquelles ils ont accès.
        Pour les soufis, la Sharî‘a, la Loi cosmique et humaine, régit le domaine des formes et des corps. Comme tout ce qui est manifesté, elle recèle un principe, une réalité intérieure qui lui donne sens et donne sens à l’existence dans son ensemble : c’est la Haqîqa, la Réalité sous-jacente au monde des apparences et aux leurres qu’il suscite. Chaque chose en ce monde renvoie à une réalité intérieure (haqîqa), disait le Prophète , et chaque réalité particulière participe de la Réalité ésotérique générale. L’accès à Dieu/le Réel (al-Haqq) suppose donc que les voiles de l’illusion tombent chez l’initié, afin que la « Réalité vraie » se laisse appréhender et « que disparaisse ce qui n’a jamais existé », selon les termes de Junayd, grand maître de Bagdad (m. 911). Mais, à ce stade, une évidence d’ordre méthodologique s’impose chez les contemplatifs de l’islam : la nature limitée de l’esprit humain empêche l’homme d’accéder à la Réalité profonde et ultime des choses (haqîqa), dont il se trouve ainsi voilé. Dans l’optique de ‘Ayn al-Qudât Hamadânî par exemple (m. 1131), « le ‘‘domaine de la raison’’ n’est qu’un pâle reflet du ‘‘domaine au-delà de la raison’’. La vraie réalité des choses ne se découvre que dans ce dernier domaine, tandis que le premier présente une image déformée de la même réalité, la distorsion étant due à l’action qu’exercent inévitablement les sens et la raison, avec leurs schémas de connaissance propre ». L’un des premiers soufis fut interrogé sur la réalisation spirituelle, c’est-à-dire sur « l’arrivée au terme de la Voie qui mène à Dieu » (wusûl) : « Lorsque le mental s’en est allé… », répondit-il (dhahâb al-‘uqûl) . L’esprit discursif, qui utilise la déduction et l’argumentation, a certes sa place dans l’élaboration de la connaissance – les nombreuses occurrences des racines ‘AQL et FQH dans le Coran le prouvent – mais il faut lui assigner des frontières. « La raison est bonne et désirable jusqu’à ce qu’elle te fasse parvenir à la porte du Roi, écrit Rûmî. Une fois arrivé à sa porte, répudie la raison car, à ce moment-là, elle te mène à ta perte ». La science spirituelle, en islam comme dans toute tradition religieuse authentique, n’est donc pas irrationnelle mais supra-rationnelle.
        Le Coran évoque clairement deux domaines, qui correspondent à deux modes de connaissance : le « monde du Témoignage » (‘âlam al-shahâda), accessible aux sens matériels, et « le monde du Mystère » (‘âlam al-ghayb), accessible aux seuls sens spirituels. « Mais non ! J’en jure par ce que vous voyez, et par ce que vous ne voyez pas ! » (Coran 69 : 38). L’exotériste, qu’il soit religieux (en islam, théologien ou juriste), philosophe ou scientifique, fonde sa recherche sur le monde phénoménal : il étudie le domaine de la création (khalq, chez Ibn ‘Arabî), de l’existence limitée (al-wujûd al-muqayyad, chez Ibn Sab‘în). Le spirituel, ou l’ésotériste, quant à lui, tente de percevoir le Réel (al-Haqq, Ibn ‘Arabî), l’Être absolu (al-wujûd al-mutlaq, Ibn Sab‘în). Il sonde le Mystère : c’est « le mystère du connaître », selon la formule de Thierry Magnin , et nous verrons quelles méthodes concrètes cela implique.
        Les exotéristes suivent les pas de Moïse, prophète de la Loi extérieure, formelle ; les ésotéristes suivent Khadir, ce personnage énigmatique, haute figure du Ghayb, qui apparaît et disparaît pour initier prophètes et saints. Dans le Coran (18 : 65-82), Khadir met à l’épreuve Moïse par trois fois, en accomplissant des actes qui contreviennent en apparence à la Loi : il coule un bateau, tue un jeune homme, reconstruit un mur contre toute logique. Moïse, qui s’en tient aux normes extérieures de la Loi, se montre impatient et révolté. Khadir, quant à lui, perçoit la réalité profonde des choses et juge selon la Réalité (Haqîqa) : il explique à Moïse le bien-fondé ésotérique de ses actes, puis le laisse là. Nous nous trouvons là en présence de deux logiques différentes, mais complémentaires : celle de Moïse convient à la grande majorité des hommes, qui s’en tiennent à une perception superficielle, ou encore dualiste, du monde ; celle de Khadir dépasse les conventions humaines du bien et du mal, ainsi que les contradictions apparentes, car elle s’ancre dans l’Unicité. Peut-on à ce sujet évoquer les « deux niveaux de réalité », celui de la physique classique et celui de la physique quantique, dégagés par S. Lupasco et B. Nicolescu ? Le mode de perception exotérique est tributaire de la multiplicité (al-kathra), qui agit comme un leurre si l’observateur ne sait résorber celle-ci dans l’Unicité (al-wahda).

        ...
        source et SUITE.

        Commentaire


        • #5
          Du dépassement de la raison dans le soufisme
          Eric Younès Geoffroy




          ’ Le fait de voir Dieu par l’oeil de la foi et de la certitude nous a libéré de tout recours à la pensée discursive ’, disait Abû l-Hasan al-Shâdhilî (m. 656/1258), maître soufi bien connu à Tunis .
          ’ La sphère de la sainteté s’étend au-delà du champ du mental, car elle est fondée sur le dévoilement spirituel (kashf) ’. Cette dernière phrase a été prononcée par le ’grand cadi’ égyptien Zakariyyâ al-Ansârî (m. 926/1520), qui fut lui aussi un soufi . Elle résume fort bien la position des spirituels de l’islam sur le ’rationnel’ ; en effet, le but du soufisme n’est-il autre que de parvenir à la sainteté (walâya) ? Le même savant affirme ailleurs que ’ la connaissance de Dieu passe par la ’gustation spirituelle’ (dhawq), qui efface les arguments de la raison et ceux venant de l’enseignement transmis (dalâ’il al-’aql wa shawâhid al-naql) .
          Les mystiques de l’islam ont souvent souligné l’indigence de la raison humaine ; ils se plaisent à rappeler que le terme arabe ’aql (’ esprit ’, ’ raison ’) signifie étymologiquement l’entrave, le lien. Un maître syrien du XVIe siècle se livrait ainsi à un jeu de mots - intraduisible en français - en écrivant que ’ les juristes musulmans (fuqahâ’) sont prisonniers de leur mental (bi-’uqûli-him ma’qûlûn) ’ . Pour les soufis, il ne s’agit aucunement de rejeter cet instrument qu’est la raison, mais de lui assigner une place relative, contingente, face à cet Absolu que le spirituel musulman a pour but. En cela, ils se distinguent des exotéristes de l’islam, auxquels ils reprochent de restreindre le terme ’ilm (’ science ’) aux deux catégories traditionnelles que sont le ma’qûl (produit de la réflexion discursive) et le manqûl (le corpus transmis de génération en génération). ’Alî Wafâ, maître égyptien de l’ordre shâdhilî, invectivait en ces termes les juristes (fuqahâ’) :
          ’ Eh toi, faqîh ! par le ma’qûl, tu es distrait de la Réalité essentielle, et tu ne peux t’échapper du sens apparent du manqûl ! ’ .
          Les soufis dénoncent tout particulièrement les déficiences des théologiens, de ceux qui s’adonnent au ’ilm al-kalâm. ’ Humain, trop humain ’, ainsi pourrait se résumer la vision qu’ont les soufis de cette discipline ; la théologie rationnelle se résume pour eux en ’ supputations ’ (zunûn, sing. : zann) - nous reviendrons sur ce terme -, qu’ils opposent à la certitude que procure la contemplation. ’ Parmi les écoles islamiques (firaq), il n’y a pas pire que les théologiens qui discourent sur l’Essence divine avec leur esprit limité ’, proclamait le soufi cairote ’Alî al-Khawwâs (m. 939/1532) . N’est-ce point vanité de réduire Dieu à l’entendement humain ? Quiconque approche de près ou de loin les réalités divines est frappé de perplexité (hayra) devant les abysses de ’ l’océan du tawhîd ’ . Le tawhîd est simple attestation de l’Unicité divine pour le commun des musulmans, et réalisation intérieure de cette Unicité pour l’élite spirituelle.
          Pour les soufis, le mystère de l’Unicité divine est ineffable ; il ne sied pas à l’homme de l’évoquer car la perception qu’il en a est obligatoirement en-deçà de la réalité. D’où la réponse abrupte, et célèbre, d’Abû Bakr al-Shiblî (m. 334/945) - un des maîtres de l’école soufie de Bagdad - à celui qui l’interrogeait sur le sens profond du tawhîd : ’ Malheur à toi ! Celui qui définit le tawhîd de façon explicite est un apostat, celui qui y fait allusion est un bithéiste, celui qui l’évoque est un idolâtre, celui qui discourt sur lui est un inconscient, celui qui garde le silence à son sujet est un ignorant, celui qui se croit proche est loin, celui qui en fait son extase est déficient ; tout ce que vous distinguez par votre imagination et ce que vous saisissez par votre intelligence, tout cela est rejeté, vous est retourné, car contingent et créé comme vous-mêmes ’ . Un autre maître de cette première période disait que le tawhîd à son stade ultime ’ aveugle le clairvoyant, confond celui qui raisonne et stupéfait celui qui est sûr de son jugement ’ .
          Depuis l’école de Bagdad du IIIe/IXe siècle, les mystiques ont donc développé le tawhîd soufi, qu’al-Junayd (m. 298/911) appelle ’ tawhîd de l’élite spirituelle ’ . Il s’agit véritablement d’une alternative à la spéculation théologique, car la portée en est illuminative : le dogme de l’Unicité divine, ou tawhîd exotérique, se transpose par le processus initiatique en réalisation effective de cette Unicité. C’est ainsi que le soufi égyptien ’Alî al-Nabtîtî (m. 917 / 1511) semble résoudre ’ en termes fort simples ’ (bi-’ibâra sahla) les questions épineuses de théologie qu’on lui soumet de l’ensemble du Moyen-Orient. ’Abd al-Ghanî al-Nâbulusî (m. 1143/1731), le grand maître damascène de l’école d’Ibn ’Arabî n’affirme-t-il pas l’impossibilité de connaître l’Être (al-wujûd), c’est-à-dire Dieu, par le recours exclusif à la spéculation ?
          ...

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          • #6
            Cosmologie Moderne et quête de Sens :un Dialogue sur la Voie de la Connaissance ?
            Abd-al-Haqq Guiderdoni


            Abstract : Selon une idée très répandue, la science tenterait de répondre au « comment » et la religion au « pourquoi ». Si une telle division des rôles était exacte, si, en effet, la science ne traitait que des « faits » et la religion ne parlait que du « sens », il ne devrait exister aucun conflit entre les deux approches. Elles pourraient être menées en parallèle, sans échanges tout autant que sans conflits. Malheureusement, la situation n’est pas aussi simple, et cette idée, bien que très populaire, n’en reste pas moins un cliché. Pour dire les choses simplement, s’il est vrai que la science traite des causes efficientes et la religion, des causes finales – en reprenant les termes techniques de la philosophie aristotélicienne –, la tendance de fond du développement des sciences est que l’explication en termes de causes efficientes repousse la nécessité d’une explication en termes de causes finales, et, pour finir, élimine ces dernières.
            Cette modification des attentes – dans la recherche de la connaissance – qui accompagna le développement des explications en termes de causes efficientes, et l’appréciation grandissante de l’efficacité de ces dernières par rapport aux causes finales, se sont progressivement instaurées en Occident à partir de la Renaissance. Au Moyen Âge, même s’il existait déjà d’interminables polémiques et des débats très animés sur les questions cosmologiques, les juifs, les Chrétiens et les musulmans partageaient la même perspective sur le monde. Les hommes et les femmes de foi du Moyen Âge percevaient autour d’eux bien davantage que des « choses » et des « phénomènes » : ils contemplaient avant tout des symboles et cherchaient à obtenir, à travers l’étude du cosmos, des intuitions intellectuelles et des dévoilements spirituels.
            La période de « synthèse médiévale » – entre cosmologie aristotélicienne et ptolémaïque d’une part, et enseignements des Ecritures Saintes d’autre part – est dorénavant loin derrière nous. En Occident, le développement de la science moderne a conduit à une modification radicale de notre façon de voir et d’agir dans le monde, mais aussi, à une crise spirituelle profonde. L’homme y a perdu sa place centrale dans le cosmos. Il a été rejeté sur une planète standard, orbitant autour d’une étoile standard, au sein d’une galaxie standard localisée quelque part dans l’immensité de l’espace. Une telle science est neutre du point de vue des valeurs. Elle est même dénuée de quelque signification que ce soit. Pour l’exprimer avec les mots de Claude Levi-Strauss : « l’Univers n’a de sens que par rapport à l’homme, qui lui-même n’en a aucun. »
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            • #7
              Science et religion aujourd’hui : perspectives islamiques

              Abd-al-Haqq Guiderdoni


              Qu’il me soit permis, pour commencer, de raconter une histoire que mes collègues astronomes relatent parfois dans des congrès scientifiques. C’est l’histoire d’un professeur d’astronomie qui fait une conférence pour le public sur les dernières découvertes de la cosmologie contemporaine. Il y expose la théorie du Big Bang, l’expansion de l’univers, la formation des galaxies, etc. A la fin de la conférence, une dame très âgée vient voir le conférencier et lui dit : « Cher Professeur, tout ce que vous avez raconté me semble très compliqué. En effet, on sait bien que le monde repose sur le dos d’une grande tortue. » Le professeur retient un sourire, et pose à la dame une question : « Très bien, chère Madame, mais sur quoi cette tortue repose-t-elle, à son tour ? » La dame répond : « Mais c’est évident, sur une autre tortue. » Et voyant que le professeur allait répéter sa question, la dame prend les devants : « Et d’ailleurs, vous savez, il y a des tortues jusqu’en bas. »
              Quand mes collègues astronomes racontent cette histoire — dont je ne peux vous dire si elle s’est produite réellement ou si elle a été inventée — je crois ressentir chez eux un mélange d’ironie et de dépit : ironie par rapport à l’ignorance de la vieille dame ; dépit par rapport à leur propre ignorance de « ce sur quoi repose le monde ». La vieille dame a tort du point de vue scientifique, mais elle a raison du point de vue métaphysique, en ce sens qu’elle sait que toute chose repose sur une fondation, un soubassement, un socle. Et le professeur d’astronomie, qui a peut-être raison du point de vue scientifique, a tort du point de vue métaphysique, s’il refuse l’existence de ce socle qui brise la régression ad infinitum des tortues, ou de toute autre entité cosmique.
              On pourrait dire que la science s’intéresse avec succès aux « tortues », plus exactement à la chaîne des causes et des effets qui régissent le monde. Mais elle reste muette sur le socle, qui échappe à son regard, ce socle qui nous permet de répondre à la question de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » A cette question, les croyants répondent que ce socle ne peut être que Dieu, aç-Çamad, l’Indépendant des mondes, Celui dont tout dépend, al-Haqq, le Réel sur lequel tout s’appuie, al-Muhît, Celui qui nous entoure de toutes parts. Subhâna-Llâh, ‘ammâ yaçifûn. C’est Sa rahmah qui maintient le monde dans l’être (wujûd), au-dessus du néant (‘adam). Si Dieu retirait Sa rahmah, le monde cesserait aussitôt d’exister.
              J’ai l’impression que cette petite histoire nous permet de sentir pourquoi la question des relations entre science et religion est intéressante. Cette question est aussi ancienne que la philosophie elle-même, qui s’est, dès ses débuts, attachée à définir les positions respectives de la raison et de la foi, du vrai et du juste, de la liberté et du destin.
              ...
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              • #8
                Merci MavericK pour ce sujet ô combien passionnant

                Je n'ai lu que le premier article pour l'instant. Ce n'est pas le genre d'articles que l'on lit en diagonale

                C'est de loin celui que j'ai trouvé le plus accessible, le mieux argumenté et le plus clair de tout ce que j'ai pu lire ces derniers temps.

                Pour avoir déjà parcouru le site, je savoure par avance les autres articles que tu as proposé.

                PS : j'ai bien entendu quelques questions mais je préfère d'abord voir si la réponse n'est pas déjà dans les autres textes.
                Dernière modification par Zakia, 15 octobre 2008, 22h37.
                « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte

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                • #9
                  Les liens ne marchent pas

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                  • #10
                    On pourrait dire que la science s’intéresse avec succès aux « tortues », plus exactement à la chaîne des causes et des effets qui régissent le monde. Mais elle reste muette sur le socle, qui échappe à son regard, ce socle qui nous permet de répondre à la question de Leibniz : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » A cette question, les croyants répondent que ce socle ne peut être que Dieu, aç-Çamad, l’Indépendant des mondes, Celui dont tout dépend, al-Haqq, le Réel sur lequel tout s’appuie, al-Muhît, Celui qui nous entoure de toutes parts. Subhâna-Llâh, ‘ammâ yaçifûn. C’est Sa rahmah qui maintient le monde dans l’être (wujûd), au-dessus du néant (‘adam). Si Dieu retirait Sa rahmah, le monde cesserait aussitôt d’exister
                    C'est quand on baisse les bras qu'on arrive a des fraudes scientifiques comme le créasionnisme . La science ne reste pas muette, figée a ne rien faire, la science cherche toujours a savoir d’où l'on vient et comment s'est fait le monde

                    L'illusion métaphysique consiste à dire que la science répond à la question du pourquoi, mais pas du comment, c’est un faux problème. Si l’on se demande « pourquoi l’eau bout-elle à 100° ? », la réponse sera donnée par la physique. Si l’on veut, on peut reformuler la question en terme de comment : « comment se fait-il que l’eau bout à 100° ? » Mais on s’aperçoit alors que, pour ce genre de questions, la différence entre pourquoi et comment est illusoire. Et, si l’on y réfléchit, on s’aperçoit vite que les seules questions de « pourquoi » auxquelles nous pouvons trouver une réponse fiable sont celles qui sont équivalentes à des questions de « comment » .

                    La science est l’ensemble des opérations produisant de la connaissance objective. Une affirmation sur le monde peut être qualifiée d’objective si elle a été vérifiée par un observateur indépendant. Cette vérification dépend de trois facteurs :

                    1/ Le scepticisme
                    2/ La rationalité et la logique
                    3/ l’expérience sur le réel

                    La question et/ou le doute est le moteur qui va initier la mise en place d’une expérience. On n’ira pas vérifier ce dont on est intimement persuadé. Sans scepticisme initial, des expériences produites pour vérifier un dogme religieux ou une option spirituelle seraient déjà des perversions de la science. La science en tant qu’institution est un vaste scepticisme organisé.

                    Le fait scientifique, ça se fabrique. Il n’y a pas de faits possibles sans théorie autour, et sans une certaine mécanique de la preuve. Dire que le croyant "sait " dans un texte qui parle de science n'a pas de sens, parce que le croyant ne sait pas il croit sans apporter de preuve objective. Croire et savoir ce n'est pas pareil, n'importe qui peut croire que notre monde provient de X ou de Y sans trancher de façon objective entre les deux possibilités

                    Exemple le croyant croit que l'âme existe mais l’âme est-elle immortelle ? Vient-elle à la naissance ou à la conception ? Comment interagit-elle avec le corps ? Cette interaction viole-t-elle les lois de la physique ? Respecte-t-elle la conservation de l’énergie ? Dès que l’on pose des questions concrètes, on se rend compte qu’il est impossible d’y répondre objectivement en apportant des preuves scientifiquement valables, il s'agit uniquement d'annonces non vérifiables. Ou plutôt, qu’il est toujours possible de donner différentes réponses, mais qu’il n’y a aucun moyen de trancher entre elles

                    Donc cette façon d'utiliser la science pour dire que les croyants par rapport au non croyants ont raison ne tient pas la route, ce n'est encore et toujours qu'un texte de prosélytisme

                    Ceci dit, le scientifique en effet doit resté humble et ne pas se croire supérieure aux autres, notamment, il doit respecter les croyances métaphysique des croyants et généralement c'est le cas, l'anecdote que rapporte le texte n'est pas une constante
                    Dernière modification par oko, 18 octobre 2008, 09h26.

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                    • #11
                      C'est malheureusement ce que je craignais. Ce post risque de partir en vrille (comme tant d'autres).

                      Oko, apparemment tu te poses en scientifique...je t'engage donc à être cohérent dans ta démarche jusqu'au bout et commencer par lire l'article EN ENTIER.

                      Ensuite, éviter de gloser pendant des lignes entières et prétendre répondre au sujet en sortant un court extrait de son contexte en en déformant complètement le sens que lui donne l'auteur . La véritable fraude scientifque est là...

                      Ceci dit, je ne suis pas étonnée. Le jeu consiste apparemment à prendre le contre-pied de tout ce qui se dit dans ce forum.

                      Personne ne t'oblige à croire si tu ne le veux pas. Mais ne vient pas accuser l'auteur de prosélytisme. Franchement, c'est l'hosto qui se moque de la charité ! Parce qu'en la matière , tu bats d'une bonne encolure, le plus acharné des prosélytes !

                      PS: merci de ne pas m'expliquer ce que signifie le terme. Je lui donne son sens originel et non celui francisé, qui ne tient compte que de l'aspect religieux.
                      « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte

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                      • #12
                        lol ! Nous sommes bien sur un forum de discussion non ? Où s'agit-il d'un monologue ?

                        Et qui parle de croire ou de ne pas croire ?


                        Quel est l'intérêt de celui qui propose une discussion et qui n'accepte que l'approbation à ce qu'il propose ?

                        Quand l'auteur dit : "les croyants répondent que ce socle ne peut être que Dieu" qu'elle preuve objective il apporte ?

                        Il dit aussi que la science est muette sur le "pourquoi", c'est complètement faux, le pourquoi est connu pour pas mal de choses et les choses ou le pourquoi n'a pas encore été trouvé, les scientifiques sont au travail pour le savoir

                        Un sceptique pourrait très facilement renvoyer la balle a l'auteur en disant que c'est Dieu qui est muet, en effet a part les prophètes qui a entendu Dieu ? Et en plus il faut croire que Dieu a parlé aux prophètes ce n'est pas du tout vérifiable, c'est encore du domaine de l'irrationnel que de dire que Dieu a parlé aux prophétes

                        donc il n y a aucune vrille , il s'agit juste de discuter sur ce que propose l'auteur
                        Dernière modification par oko, 18 octobre 2008, 20h11.

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                        • #13
                          Je veux bien en discuter mais lis d'abord l'article en entier.
                          « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte

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                          • #14
                            J'ai lu l'article et bien d'autres de ce genre

                            N'est-ce pas toi qui a dit je te cite :

                            Je n'ai lu que le premier article pour l'instant. Ce n'est pas le genre d'articles que l'on lit en diagonale
                            J'epère que tu as fini de lire, lol !


                            Ce que je critique dans cette article c'est le fait que l'auteur reproche aux scientifiques ce que lui se permet de faire. Il nous assénent des vérités par des " ne peut être" mais n'apporte aucune preuve objective qu'il réclame aux scientifiques pour des choses que les scientifiques ne peuvent pas encore apporter

                            Quand je lis ce genre d'article, jai l'impression que l'auteur dit" arrétez de penser nous avons la réponse toute faite a vos questions vous n'avez qu'a gober"

                            Or comme le dit un certain sceptique "Le meilleur remède psychologique contre les dérives métaphysiques liées aux limites des sciences est de changer de perspective et de se dire que ce n’est pas le monde qui est magique, mais nous qui sommes bêtes."

                            Commentaire


                            • #15
                              N'est-ce pas toi qui a dit je te cite :


                              Citation:
                              Je n'ai lu que le premier article pour l'instant. Ce n'est pas le genre d'articles que l'on lit en diagonale
                              J'epère que tu as fini de lire, lol !
                              Je ne vois pas trop le rapport...surtout si tu te donnes la peine de regarder la date du commentaire...

                              Ne t'abîmes donc pas de désepoir pour moi, je sais très bien lire merci .

                              Justement je te propose de te relire toi-même

                              Et qui parle de croire ou de ne pas croire ? (c'est bien toi qui l'écrit n'est-ce pas?)

                              Voici ce que tu disais dans ton intervention précédente...

                              Donc cette façon d'utiliser la science pour dire que les croyants par rapport au non croyants ont raison ne tient pas la route, ce n'est encore et toujours qu'un texte de prosélytisme
                              De 2 choses l'une : ou bien tu as des trous de mémoire ou bien tu ne sais pas ce que tu écris...

                              Je te cite encore

                              mais nous qui sommes bêtes."
                              Ne me sentant aucun lien particulier avec toi, je te laisse assumer seul si tu veux bien (remarque si tu ne veux pas, c'est pareil)

                              Ceci, juste pour montrer ce que donne une phrase hors de son contexte.
                              « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte

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