Analyse de la situation économique au Maroc en 2011 par Najib Akesbi
Entretien : «Nous restons sur un de croissance très inquiétant»
Le Maroc réalise un taux de croissance en deçà de celui des pays émergents, en deçà de la moyenne mondiale et en deçà de ce qui peut être considéré comme une ambition légitime du pays.
D’autres indicateurs mettent clairement en relief la situation difficile de notre économie, notamment le déficit commercial, le taux de chômage et le déficit budgétaire. Pour qu’un programme économique réussisse, il doit d’abord être concerté. La première mutation à réussir est d’arriver à autonomiser progressivement l’économie marocaine des aléas du secteur agricole.
Où peut-on situer aujourd’hui le Maroc ?
-Najib Akesbi : Je viens de recevoir la note de conjoncture de la DEPF, du ministère des Finances. Cette note fait le point sur l’année 2010. Qu’est ce qu’on y trouve ? Justement, une réponse à votre question. On y constate que le Maroc affiche sur les trois dernières années un taux de croissance plutôt décroissant… En 2008, on a enregistré un taux de 5,6%, puis 4,9% en 2009 et en 2010 ce taux était encore tombé à 4%. Pour situer le Maroc, on peut apprécier le taux de croissance enregistré en 2010 au regard des grandes tendances mondiales. Toujours selon cette note, la moyenne mondiale est de 5%, tandis que la moyenne des pays émergents et en développement est de 7,3%. Ces chiffres sont une réponse claire à ceux qui prétendent que le Maroc a «tiré son épingle du jeu». Le Maroc réalise un taux de croissance qui n’est pas seulement en deçà de celui des pays émergents, mais qui est même en deçà de la moyenne mondiale.
Le deuxième élément à retenir est qu’un chiffre en soi ne signifie rien. Il faut le mettre dans son contexte. Je viens de situer le Maroc par rapport au reste du monde. On peut aussi apprécier sa performance par rapport à ce qui peut être considéré comme une ambition légitime du pays. Vous savez que l’année dernière on avait réalisé, dans le cadre de la Fondation Abderrahim Bouabid, un rapport sur la stratégie de développement économique du Maroc. On avait considéré que si l’on veut que le Maroc, en l’espace d’une génération, arrive au niveau de revenu par tête de pays émergents comme la Malaisie ou la Turquie, il lui faut au moins réaliser pendant 15 à 20 ans, 7 à 8 points de croissance en moyenne annuelle. Si cet objectif est raisonnable, force est de constater que, avec 4 points de croissance en 2010, on est à peine à la moitié de ce qu’on devrait faire pour l’atteindre. On est très loin du compte et à ce rythme là il nous faudrait plus de 40 ans pour atteindre le niveau de vie actuel d’un pays comme la Turquie !
-F. N. H. : Le taux de croissance, à lui seul, traduit-il la réalité de la situation économique au Maroc ?
-N. A. : J’ai pris le premier indicateur généralement utilisé, mais il y en a d’autres. Si je prends le commerce extérieur, puisqu’on parle d’un pays intégré à la mondialisation, qui a signé des accords de libre-échange avec plus d’une cinquantaine de pays, le résultat est tout simplement catastrophique. Chaque année, nous battons des records de déficit commercial. Nous sommes à près de 150 milliards de DH de déficit, avec un taux de couverture des importations par les exportations de moins de 50%.
Si l’on regarde du côté des finances publiques, le gouvernement est chaque jour en train d’écrire la chronique d’une crise annoncée. Ainsi, depuis plusieurs années, le gouvernement s’acharne sur les recettes pour les diminuer et non les augmenter ! Il fait tout ce qu’il faut pour les réduire, notamment en multipliant les baisses d’impôts et les privilèges fiscaux au profit des riches (baisse des taux de l’IS et de l’IR…). De l’autre côté, on continue à dépenser sans compter… surtout avec une structure des dépenses de plus en plus rigide, incompressible. La crise est en fait déjà là quand on apprend que le gouvernement en est déjà à chercher à vendre ce
qui reste du patrimoine public pour seulement boucler ses fins de mois !
Tous ces indicateurs montrent, qu’il s’agisse de la croissance ou des équilibres internes et externes, que nous restons sur un profil de croissance très inquiétant.
-F. N. H. : Et ce malgré des campagnes agricoles plutôt bonnes ces dernières années…
-N. A. : En effet ! Ce gouvernement ne peut même pas user du prétexte habituel de la sécheresse, à l’instar des gouvernements qui l’ont précédé. Pour modestes qu’ils soient, ces taux de croissance sont obtenus avec des campagnes agricoles qui ont été plutôt bonnes au cours des trois ou quatre dernières années. Qu’en serait-il si, ne serait-ce qu’en raison des changements climatiques, les prochaines années accouchent de campagnes agricoles moins favorables ?
-F. N. H. : Pour revenir au rapport de la Fondation Abderrahim Bouabid, deux boulets au développement économique ont été identifiés, à savoir l’économie politique et l’ignorance économique. Peut-on imputer la situation actuelle à ces deux facteurs, ou bien y a-t-il d’autres éléments qui entrent en jeu ?
-N. A. : Il y a beaucoup d’entraves qu’on pouvait citer, mais les auteurs avaient choisi délibérément de mettre en évidence ces deux problèmes qui sont, au fond, des problèmes de gouvernance. Il s’agissait de montrer en somme que le système politique, donc de gouvernance globale, est devenu un vrai obstacle au développement économique du Maroc.
Et aujourd’hui, le temps a prouvé la pertinence de ce choix vu le débat actuel en cours, notamment sur la réforme de la Constitution. Pour ma part, j’ai toujours dit que la première réforme économique n’est pas économique mais politique. Quand on est dans un système où un gouvernement ne peut pas être le concepteur et maître d’œuvre du programme (économique, social…) dont il est censé être l’auteur, on ne remplit pas les conditions minimales pour se donner des chances de réussir ce qui est engagé.
Même si l’on ne voit la question que du point de vue de l’efficacité, si vous voulez qu’un programme économique réussisse, il faut d’abord qu’il soit concerté, et c’est la moindre chose pour que ceux qui auront à l’exécuter se sentent concernés et motivés pour le mener à bien. Or, quand on concocte un programme avec un bureau d’études international, dans l’opacité la plus totale, pour n’en annoncer l’existence que le jour où le «contrat-programme» le concernant est signé devant le Roi et les caméras, on peut difficilement espérer mobiliser les énergies nécessaires pour lui permettre d’atteindre ses objectifs. D’une manière ou d’une autre, on le voue à l’échec. Et malheureusement, c’est ce qui est en train de se produire…
Depuis que nous avons abandonné le plan de développement unique et global dans ce pays, et qu’on lui a substitué les «plans sectoriels», on est dans une situation où il est très difficile de savoir si ces plans sont cohérents entre eux ou même s’il y a une adéquation entre les objectifs et les moyens de chaque plan. C’est un fait que personne ne voulait reconnaître jusqu’au jour où le Roi lui-même l’a reconnu dans son discours de juillet dernier.
Entretien : «Nous restons sur un de croissance très inquiétant»
Le Maroc réalise un taux de croissance en deçà de celui des pays émergents, en deçà de la moyenne mondiale et en deçà de ce qui peut être considéré comme une ambition légitime du pays.
D’autres indicateurs mettent clairement en relief la situation difficile de notre économie, notamment le déficit commercial, le taux de chômage et le déficit budgétaire. Pour qu’un programme économique réussisse, il doit d’abord être concerté. La première mutation à réussir est d’arriver à autonomiser progressivement l’économie marocaine des aléas du secteur agricole.
Où peut-on situer aujourd’hui le Maroc ?
-Najib Akesbi : Je viens de recevoir la note de conjoncture de la DEPF, du ministère des Finances. Cette note fait le point sur l’année 2010. Qu’est ce qu’on y trouve ? Justement, une réponse à votre question. On y constate que le Maroc affiche sur les trois dernières années un taux de croissance plutôt décroissant… En 2008, on a enregistré un taux de 5,6%, puis 4,9% en 2009 et en 2010 ce taux était encore tombé à 4%. Pour situer le Maroc, on peut apprécier le taux de croissance enregistré en 2010 au regard des grandes tendances mondiales. Toujours selon cette note, la moyenne mondiale est de 5%, tandis que la moyenne des pays émergents et en développement est de 7,3%. Ces chiffres sont une réponse claire à ceux qui prétendent que le Maroc a «tiré son épingle du jeu». Le Maroc réalise un taux de croissance qui n’est pas seulement en deçà de celui des pays émergents, mais qui est même en deçà de la moyenne mondiale.
Le deuxième élément à retenir est qu’un chiffre en soi ne signifie rien. Il faut le mettre dans son contexte. Je viens de situer le Maroc par rapport au reste du monde. On peut aussi apprécier sa performance par rapport à ce qui peut être considéré comme une ambition légitime du pays. Vous savez que l’année dernière on avait réalisé, dans le cadre de la Fondation Abderrahim Bouabid, un rapport sur la stratégie de développement économique du Maroc. On avait considéré que si l’on veut que le Maroc, en l’espace d’une génération, arrive au niveau de revenu par tête de pays émergents comme la Malaisie ou la Turquie, il lui faut au moins réaliser pendant 15 à 20 ans, 7 à 8 points de croissance en moyenne annuelle. Si cet objectif est raisonnable, force est de constater que, avec 4 points de croissance en 2010, on est à peine à la moitié de ce qu’on devrait faire pour l’atteindre. On est très loin du compte et à ce rythme là il nous faudrait plus de 40 ans pour atteindre le niveau de vie actuel d’un pays comme la Turquie !
-F. N. H. : Le taux de croissance, à lui seul, traduit-il la réalité de la situation économique au Maroc ?
-N. A. : J’ai pris le premier indicateur généralement utilisé, mais il y en a d’autres. Si je prends le commerce extérieur, puisqu’on parle d’un pays intégré à la mondialisation, qui a signé des accords de libre-échange avec plus d’une cinquantaine de pays, le résultat est tout simplement catastrophique. Chaque année, nous battons des records de déficit commercial. Nous sommes à près de 150 milliards de DH de déficit, avec un taux de couverture des importations par les exportations de moins de 50%.
Si l’on regarde du côté des finances publiques, le gouvernement est chaque jour en train d’écrire la chronique d’une crise annoncée. Ainsi, depuis plusieurs années, le gouvernement s’acharne sur les recettes pour les diminuer et non les augmenter ! Il fait tout ce qu’il faut pour les réduire, notamment en multipliant les baisses d’impôts et les privilèges fiscaux au profit des riches (baisse des taux de l’IS et de l’IR…). De l’autre côté, on continue à dépenser sans compter… surtout avec une structure des dépenses de plus en plus rigide, incompressible. La crise est en fait déjà là quand on apprend que le gouvernement en est déjà à chercher à vendre ce
qui reste du patrimoine public pour seulement boucler ses fins de mois !
Tous ces indicateurs montrent, qu’il s’agisse de la croissance ou des équilibres internes et externes, que nous restons sur un profil de croissance très inquiétant.
-F. N. H. : Et ce malgré des campagnes agricoles plutôt bonnes ces dernières années…
-N. A. : En effet ! Ce gouvernement ne peut même pas user du prétexte habituel de la sécheresse, à l’instar des gouvernements qui l’ont précédé. Pour modestes qu’ils soient, ces taux de croissance sont obtenus avec des campagnes agricoles qui ont été plutôt bonnes au cours des trois ou quatre dernières années. Qu’en serait-il si, ne serait-ce qu’en raison des changements climatiques, les prochaines années accouchent de campagnes agricoles moins favorables ?
-F. N. H. : Pour revenir au rapport de la Fondation Abderrahim Bouabid, deux boulets au développement économique ont été identifiés, à savoir l’économie politique et l’ignorance économique. Peut-on imputer la situation actuelle à ces deux facteurs, ou bien y a-t-il d’autres éléments qui entrent en jeu ?
-N. A. : Il y a beaucoup d’entraves qu’on pouvait citer, mais les auteurs avaient choisi délibérément de mettre en évidence ces deux problèmes qui sont, au fond, des problèmes de gouvernance. Il s’agissait de montrer en somme que le système politique, donc de gouvernance globale, est devenu un vrai obstacle au développement économique du Maroc.
Et aujourd’hui, le temps a prouvé la pertinence de ce choix vu le débat actuel en cours, notamment sur la réforme de la Constitution. Pour ma part, j’ai toujours dit que la première réforme économique n’est pas économique mais politique. Quand on est dans un système où un gouvernement ne peut pas être le concepteur et maître d’œuvre du programme (économique, social…) dont il est censé être l’auteur, on ne remplit pas les conditions minimales pour se donner des chances de réussir ce qui est engagé.
Même si l’on ne voit la question que du point de vue de l’efficacité, si vous voulez qu’un programme économique réussisse, il faut d’abord qu’il soit concerté, et c’est la moindre chose pour que ceux qui auront à l’exécuter se sentent concernés et motivés pour le mener à bien. Or, quand on concocte un programme avec un bureau d’études international, dans l’opacité la plus totale, pour n’en annoncer l’existence que le jour où le «contrat-programme» le concernant est signé devant le Roi et les caméras, on peut difficilement espérer mobiliser les énergies nécessaires pour lui permettre d’atteindre ses objectifs. D’une manière ou d’une autre, on le voue à l’échec. Et malheureusement, c’est ce qui est en train de se produire…
Depuis que nous avons abandonné le plan de développement unique et global dans ce pays, et qu’on lui a substitué les «plans sectoriels», on est dans une situation où il est très difficile de savoir si ces plans sont cohérents entre eux ou même s’il y a une adéquation entre les objectifs et les moyens de chaque plan. C’est un fait que personne ne voulait reconnaître jusqu’au jour où le Roi lui-même l’a reconnu dans son discours de juillet dernier.
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