La franchise tardive de De Gaulle sur les insuffisances de la France en l'Algérie, durant 120 ans - Les non-dits de De Gaulle à la haute hiérarchie de l'armée française, le 30 août 1959, au quartier général de Challe, en Kabylie - Les mobiles majeurs du changement de politique de De Gaulle en Algérie -Les pressions de ses alliés et les menaces du débat imminent aux Nations Unies sur la question algérienne - L'opposition croissante de la presse et de la gauche françaises - La résistance phénoménale des populations paysannes et de l'ALN face à la guerre totale de Challe - La contre offensive diplomatique du GPRA et la menace rouge de Moscou et de Pékin - Les ventes d'armes des Etats Unis au Maroc et à la Tunisie.
La franchise tardive de De Gaulle sur « les insuffisances françaises en Algérie durant 120 ans »
La proclamation solennelle de De Gaulle, le 16 septembre 1959, du droit à l'autodétermination des Algériens eut un effet de douche froide sur l'armée d'Algérie, sur les Pieds Noirs et sur toute la classe politique française de droite, demeurée passionnément attachée à « l'Algérie Française ». Il est certain que ces réactions eussent été beaucoup plus rapides et plus brutales si De Gaulle n'avait pas pris la précaution de se rendre en Algérie, deux semaines auparavant, et d'expliquer de vive voix, à la haute hiérarchie militaire, les mobiles de son initiative, ses implications et la nécessité de reporter la mise en œuvre effective de l'autodétermination, après la pacification totale du pays.
Selon De Gaulle, trois raisons majeures plaidaient alors (août 1959) en faveur de ce recours à une consultation des populations algériennes sur leur avenir:
- la première était que la « situation faite aux autochtones était insupportable dans ce pays où la France, depuis cent vingt ans, n'avait pas fait tout l'effort nécessaire ».
- la seconde concernait « la conjoncture internationale caractérisée par un hostilité ouverte à la France qui « ne le lui permet pas de faire fi de l'opinion internationale, tout particulièrement à une époque où la plus grande partie du monde est en train de s'affranchir. »
- la troisième constatation développée par De Gaulle, lors de cette visite au QG de Challes en Kabylie en août 1959, était que « la France ne pouvait garder les Algériens avec elle que s'ils le veulent eux mêmes et que si l'Algérie était transformée de fond en comble, avec la population, pour elle et par elle, en vue d'en faire un état moderne. Sans elle, ajouta De Gaulle la pacification, aussi complète fût-elle, serait vaine et sans lendemain.
Bien évidemment, l'origine, la nature et l'évolution du conflit qui opposait les Algériens àla Francene pouvait se circonscrire à la carence des gouvernements français qui se sont succédés au pouvoir durant cent vingt ans, quant à la prise en charge correcte du développement de l'Algérie et du progrès de ses populations. Même réduits uniquement à cet aspect, c'est la première fois dans l'histoire coloniale de l'Algérie, qu'un Président dela Républiquereconnaissait clairement que la colonisation avait échoué.
S'agissant de cette reconnaissance par De Gaulle des erreurs du passé, les Algériens eussent été bien plus réceptifs à une initiative de ce genre, s'il l'avait faite, par exemple, après mai 1945. Il était alors le chef incontesté et adulé de la Franceet de l'empire qu'il venait tout juste de libérer grâce en partie aux sacrifices des indigènes d'Algérie. Il avait alors tous les pouvoirs pour récompenser ces valeureux combattants, autrement que par les massacres de leurs familles, l'incendie de leurs gourbis et les fours à chaux vive[1] pour leurs « meneurs ».
Or, c'est sous l'autorité de De Gaulle que l'armée française et les colons, la veille encore unanimes derrière Pétain, ont perpétré ces crimes, le jour même où le monde entier célébrait la victoire contre l'Allemagne nazie. Triste ironie de l'histoire coloniale de l'Algérie, c'est en pleurant de rage que les tirailleurs originaires de la région, de retour de Cassino, des Ardennes, du Rhin et dela Forêtnoire, ont vécu cette victoire, devant les ruines encore fumantes de leurs douars bombardés sans relâche, toute la semaine, par la marine de guerre et l'aviation françaises.
Les non-dits de De Gaulle à la haute hiérarchie militaire française, le 30 août 1959, au QG de Challe en Kabylie
Quoiqu'il en fût, rien ne servait en août 1959 de rebâtir le passé de l'Algérie avec des « si » et des hypothèses à posteriori, ni avec des regrets et des condamnations concernant les erreurs commises et les occasions perdues. L'histoire coloniale de l'empire coloniale français et singulièrement celle de l'Algérie, n'ont été, en vérité, qu'une lamentable et longue suite des unes et des autres.
Revenons donc à De Gaulle et à sa proclamation du droit du peuple algérien à l'autodétermination, le 19 septembre 1959, et constatons que, même en des circonstances aussi exceptionnelles et aussi cruciales pourla France, et pour l'Algérie, il s'est gardé de révéler la vérité sur toutes ses intentions concernant l'avenir des Algériens. Pourtant, il était clair à ce moment là précisément que sa passion viscérale pour l'Algérie française, son nationalisme quasiment mystique et son passé de chef militaire et de chef d'Etat littéralement habité par la grandeur dela France, ne le conduiraient à renoncer à « l'Algérie française », que contraint et forcé. Il était également clair qu'il voulait la conserver française, coûte que coûte, et qu'il ne pouvait pas renoncer à ses richesses ni à son rôle de pivot central de l'édifice qu'il n'avait cessé de construire, depuis son retour au pouvoir, avec une constance et une détermination qui forcent l'admiration.
En fait, depuis mai-juin 1958, il avait fait le siège de ses alliés américains et européens avec, chaque fois, des propositions nouvelles plus audacieuses que les précédentes. Toutes, nous l'avons vu, avaient un dénominateur commun : la reconnaissance d'une place privilégiée pourla Francedans la direction du monde libre et un engagement inconditionnel et irrévocable des Alliés pour le maintien de l'Algérie dans le giron français.
Que s'est-il donc passé de si grave et de si redoutable pour l'avenir de la France, pour que De Gaulle renonce, le 19 septembre 1959, à l'Algérie française, et par voie de conséquence également, au Maghreb et à l'Afrique subsaharienne, fondements de la politique française, depuis plus d'un siècle ? Laissons de côté quelques hypothèses souvent évoquées par ses laudateurs, affirmant effrontément que son amour de la liberté l'a emporté, à ce moment là, sur son nationalisme. Un fait est certain : De Gaulle n'était ni un sentimental ni un libérateur des peuples. Il était nationaliste :la France, sa grandeur et son avenir seuls comptaient à ses yeux.
Calculateur, froid, diplomate chevronné, Chef de guerre et stratège endurci par les épreuves que le destin avait imposé à son « cher et grand pays » depuis un demi-siècle, De Gaulle était aussi un réaliste. Et c'est son réalisme qui le conduisit, au milieu de l'été de 1959, à constater la faillite de toute sa politique étrangère concernant la guerre d'Algérie, au moins, dans cinq domaines :
- Les Américains et l'OTAN,
- l'Afrique
- l'Eurafrique,
- L'Europe Occidentale,
- Et l'Organisation des Nations Unies.
Ce réalisme le conduisit également à constater froidement que tous ses efforts tendant à isoler le FLN et le GPRA au plan international avaient échoué et que si l'ALN, au plan militaire, avait subi des pertes sévères, il n'en demeurait pas moins que la rébellion armée en Algérie était loin d'être éradiquée.
La franchise tardive de De Gaulle sur « les insuffisances françaises en Algérie durant 120 ans »
La proclamation solennelle de De Gaulle, le 16 septembre 1959, du droit à l'autodétermination des Algériens eut un effet de douche froide sur l'armée d'Algérie, sur les Pieds Noirs et sur toute la classe politique française de droite, demeurée passionnément attachée à « l'Algérie Française ». Il est certain que ces réactions eussent été beaucoup plus rapides et plus brutales si De Gaulle n'avait pas pris la précaution de se rendre en Algérie, deux semaines auparavant, et d'expliquer de vive voix, à la haute hiérarchie militaire, les mobiles de son initiative, ses implications et la nécessité de reporter la mise en œuvre effective de l'autodétermination, après la pacification totale du pays.
Selon De Gaulle, trois raisons majeures plaidaient alors (août 1959) en faveur de ce recours à une consultation des populations algériennes sur leur avenir:
- la première était que la « situation faite aux autochtones était insupportable dans ce pays où la France, depuis cent vingt ans, n'avait pas fait tout l'effort nécessaire ».
- la seconde concernait « la conjoncture internationale caractérisée par un hostilité ouverte à la France qui « ne le lui permet pas de faire fi de l'opinion internationale, tout particulièrement à une époque où la plus grande partie du monde est en train de s'affranchir. »
- la troisième constatation développée par De Gaulle, lors de cette visite au QG de Challes en Kabylie en août 1959, était que « la France ne pouvait garder les Algériens avec elle que s'ils le veulent eux mêmes et que si l'Algérie était transformée de fond en comble, avec la population, pour elle et par elle, en vue d'en faire un état moderne. Sans elle, ajouta De Gaulle la pacification, aussi complète fût-elle, serait vaine et sans lendemain.
Bien évidemment, l'origine, la nature et l'évolution du conflit qui opposait les Algériens àla Francene pouvait se circonscrire à la carence des gouvernements français qui se sont succédés au pouvoir durant cent vingt ans, quant à la prise en charge correcte du développement de l'Algérie et du progrès de ses populations. Même réduits uniquement à cet aspect, c'est la première fois dans l'histoire coloniale de l'Algérie, qu'un Président dela Républiquereconnaissait clairement que la colonisation avait échoué.
S'agissant de cette reconnaissance par De Gaulle des erreurs du passé, les Algériens eussent été bien plus réceptifs à une initiative de ce genre, s'il l'avait faite, par exemple, après mai 1945. Il était alors le chef incontesté et adulé de la Franceet de l'empire qu'il venait tout juste de libérer grâce en partie aux sacrifices des indigènes d'Algérie. Il avait alors tous les pouvoirs pour récompenser ces valeureux combattants, autrement que par les massacres de leurs familles, l'incendie de leurs gourbis et les fours à chaux vive[1] pour leurs « meneurs ».
Or, c'est sous l'autorité de De Gaulle que l'armée française et les colons, la veille encore unanimes derrière Pétain, ont perpétré ces crimes, le jour même où le monde entier célébrait la victoire contre l'Allemagne nazie. Triste ironie de l'histoire coloniale de l'Algérie, c'est en pleurant de rage que les tirailleurs originaires de la région, de retour de Cassino, des Ardennes, du Rhin et dela Forêtnoire, ont vécu cette victoire, devant les ruines encore fumantes de leurs douars bombardés sans relâche, toute la semaine, par la marine de guerre et l'aviation françaises.
Les non-dits de De Gaulle à la haute hiérarchie militaire française, le 30 août 1959, au QG de Challe en Kabylie
Quoiqu'il en fût, rien ne servait en août 1959 de rebâtir le passé de l'Algérie avec des « si » et des hypothèses à posteriori, ni avec des regrets et des condamnations concernant les erreurs commises et les occasions perdues. L'histoire coloniale de l'empire coloniale français et singulièrement celle de l'Algérie, n'ont été, en vérité, qu'une lamentable et longue suite des unes et des autres.
Revenons donc à De Gaulle et à sa proclamation du droit du peuple algérien à l'autodétermination, le 19 septembre 1959, et constatons que, même en des circonstances aussi exceptionnelles et aussi cruciales pourla France, et pour l'Algérie, il s'est gardé de révéler la vérité sur toutes ses intentions concernant l'avenir des Algériens. Pourtant, il était clair à ce moment là précisément que sa passion viscérale pour l'Algérie française, son nationalisme quasiment mystique et son passé de chef militaire et de chef d'Etat littéralement habité par la grandeur dela France, ne le conduiraient à renoncer à « l'Algérie française », que contraint et forcé. Il était également clair qu'il voulait la conserver française, coûte que coûte, et qu'il ne pouvait pas renoncer à ses richesses ni à son rôle de pivot central de l'édifice qu'il n'avait cessé de construire, depuis son retour au pouvoir, avec une constance et une détermination qui forcent l'admiration.
En fait, depuis mai-juin 1958, il avait fait le siège de ses alliés américains et européens avec, chaque fois, des propositions nouvelles plus audacieuses que les précédentes. Toutes, nous l'avons vu, avaient un dénominateur commun : la reconnaissance d'une place privilégiée pourla Francedans la direction du monde libre et un engagement inconditionnel et irrévocable des Alliés pour le maintien de l'Algérie dans le giron français.
Que s'est-il donc passé de si grave et de si redoutable pour l'avenir de la France, pour que De Gaulle renonce, le 19 septembre 1959, à l'Algérie française, et par voie de conséquence également, au Maghreb et à l'Afrique subsaharienne, fondements de la politique française, depuis plus d'un siècle ? Laissons de côté quelques hypothèses souvent évoquées par ses laudateurs, affirmant effrontément que son amour de la liberté l'a emporté, à ce moment là, sur son nationalisme. Un fait est certain : De Gaulle n'était ni un sentimental ni un libérateur des peuples. Il était nationaliste :la France, sa grandeur et son avenir seuls comptaient à ses yeux.
Calculateur, froid, diplomate chevronné, Chef de guerre et stratège endurci par les épreuves que le destin avait imposé à son « cher et grand pays » depuis un demi-siècle, De Gaulle était aussi un réaliste. Et c'est son réalisme qui le conduisit, au milieu de l'été de 1959, à constater la faillite de toute sa politique étrangère concernant la guerre d'Algérie, au moins, dans cinq domaines :
- Les Américains et l'OTAN,
- l'Afrique
- l'Eurafrique,
- L'Europe Occidentale,
- Et l'Organisation des Nations Unies.
Ce réalisme le conduisit également à constater froidement que tous ses efforts tendant à isoler le FLN et le GPRA au plan international avaient échoué et que si l'ALN, au plan militaire, avait subi des pertes sévères, il n'en demeurait pas moins que la rébellion armée en Algérie était loin d'être éradiquée.
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