Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Chasser Ben, ou Ali ?

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Chasser Ben, ou Ali ?

    Chasser «Ben ou Ali ?»

    Il faut parler l'algérien pour peser la lourde connivence entre les mots «harraga» et «n'hrag». Le premier veut dire immigration clandestine, le second, immolation par le feu. Les deux veulent dire «feu», brûler, brûlure. En Algérie, des Algériens se brûlent selon un rite désormais consacré : bidon d'essence, chair humaine et édifice de l'Etat. C'est-à-dire devant un commissariat, une APC ou n'importe quel édifice de l'Etat qui ne représente plus l'Etat. Le martyre est en pleine redéfinition. L'acte, qui va même au-delà de l'interdit religieux, plonge dans le malaise. Certains ont vite fait de dénoncer le mime inutile dans le sillage du martyr de Bouazizi le Tunisien. D'autres ont évité de donner le sens de la révolution à l'immolation. Certains n'aiment pas l'impuissance que confessent le geste et la culpabilisation qu'il induit. Pour beaucoup, en Algérie, on n'a même pas une dictature «personnifiée» contre laquelle se battre mais seulement une inconcevable corruption et une non-gouvernance autoritaire. Demander le départ de qui quand «Ben Et Ali» sont deux personnes différentes ? L'essentiel est cependant là : l'immolation ne provoque pas la révolution. La cause ? Il y a quelque chose de mort chez nous : le filial, le communautaire, la communauté de la chair et de la colère, le peu de différence entre le vivant et le mort. Le régime et sa sinistre oligarchie de vieillards ont réussi à faire désespérer les gens jusqu'à les rendre incapables de concevoir une solution vivante au lieu de la réponse morte. En Algérie, chacun est seul et c'est la lecture du chroniqueur : le message de l'immolation devant ce qui représente le régime est compris par tous, mais tous sentent le même malaise : comme si le collectif disait «nous sommes tous déjà morts, pourquoi un mort de plus ?». L'immolé est un harrag, qui lui-même est un immolé qui est aussi un kamikaze. Le geste est un acte extrême : il a le sens de la révolte finale mais dans un pays absurdisé : c'est comme proclamer un poème dans une alimentation générale ou demander l'enthousiasme à un médicament. On est tous morts lorsque la mort de chacun ne concerne que lui. C'est une loi.

    Selon un ami chroniqueur, la révolution algérienne va dans le sens de l'émiettement atomique : un peuple uni pour chasser le colon, puis seulement des régions pour protester contre une dictature «libérateur», puis seulement quelques villes, puis seulement quelques quartiers dans quelques villes pour dénoncer la dictature, puis seulement quelques groupes de jeunes dans quelques quartiers. L'émiettement se poursuit avec la division du peuple en chaloupe de 25 clandestins, puis le choix de se faire exploser tout seul, puis le choix de s'immoler rien que soi-même sans user de cette formidable liberté «que donne la décision du suicide à celui qui le tente» pour paraphraser Albert Calus et son homme révolté. Un jour, on ne lèvera qu'une main, puis un doigt puis seulement une paupière et seulement un cil, etc. Jusqu'à ? Jusqu'à ce que le processus s'inverse au nom des lois de l'histoire : remonter du cil à la main puis de la main à la Soummam. C'est inévitable.

    Le pire, c'est que, encore une fois, le régime n'a rien compris : encore et encore une fois dans le sillage de la mentalité du «père du peuple» et de l'Etat fécondeur, le régime instruit ses walis pour recevoir le peuple, donne ordre aux policiers d'être gentils et promet un logement et une oreille à chaque immolation. L'autisme est complet et le régime ne comprend pas que la cause c'est lui, sa façon de réduire le rêve à de la statistique et la demande de vie à une demande d'emploi. La solution alimentaire postsocialiste est encore de retour, toujours et toujours. On analysera pendant un siècle ce qui se passe en Tunisie comme une particularité, l'évidence est là et elle est valable pour tous les autres pays: il y a des dictatures, une mal vie, de l'impuissance, de la colère et l'envie de vivre et le besoin de rêver et la solution de mourir d'un coup pour éviter la mort sans relâche.


    par Kamel Daoud, Le Quotidien d'Oran.
    -
    Ce n’est pas un homme, c’est un champignon.
    -

  • #2
    "Le pire, c'est que, encore une fois, le régime n'a rien compris : encore et encore une fois dans le sillage de la mentalité du «père du peuple» et de l'Etat fécondeur, le régime instruit ses walis pour recevoir le peuple, donne ordre aux policiers d'être gentils et promet un logement et une oreille à chaque immolation. L'autisme est complet et le régime ne comprend pas que la cause c'est lui, sa façon de réduire le rêve à de la statistique et la demande de vie à une demande d'emploi. La solution alimentaire postsocialiste est encore de retour, toujours et toujours. On analysera pendant un siècle ce qui se passe en Tunisie comme une particularité, l'évidence est là et elle est valable pour tous les autres pays: il y a des dictatures, une mal vie, de l'impuissance, de la colère et l'envie de vivre et le besoin de rêver et la solution de mourir d'un coup pour éviter la mort sans relâche.

    C''est certainement ce que se sont dit les 'immolés" .
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "

    Commentaire


    • #3
      L’immolation par le feu, un suicide politique !

      L’immolation par le feu, un suicide politique !

      Par : Mustapha Hammouche
      Kabyle . net

      Le geste de Mohamed El Bouazizi est en train de faire école en Algérie et les cas d’immolations par le feu se multiplient. Rien que pour la journée d’hier trois jeunes algériens ont eu recours à cet acte ultime.

      Le fait, renouvelé dans des lieux très éloignés les uns des autres, ne peut être le résultat d’une imitation machinale de ce tragique mode de protestation auquel le jeune tunisien de Sidi Bouzid a été contraint. Si son sacrifice a été déclencheur d’un mouvement national de révolte, c’est que ses concitoyens y ont vu l’expression de la capacité de s’indigner d’un quidam qui n’avait aucune ressource pour faire valoir son droit au minimum social. Mohamed a étudié, sûrement cherché du travail, avant de se rabattre sur le gagne-pain de marchand ambulant de fruits et légumes. Quand il fut dépossédé de son capital, il a tenté un recours auprès d’une administration qui lui a fermé la porte au nez.

      Mohamed El Bouazizi n’a pas la chance d’avoir ni un proche dans l’administration pour intervenir auprès de la police, ni les moyens de corrompre l’agent qui vient de lui confisquer son bien pour exercice illicite d’un commerce. Et le proconsul, auquel il voulait expliquer l’utilité de sa charrette et de la marchandise dont on vient de le déposséder, refuse ou n’a pas le temps, de l’écouter.

      Sans la ressource du copinage, du népotisme et sans moyens de corrompre, il ne reste aux oubliés du système, pour s’éviter la privation qui les accable ou préserver leur dignité agressée, que les poches d’État de droit qui subsistent dans quelques recoins des institutions. À l’évidence, pas à la sous-préfecture de Sidi Bouzid. Mais nulle part ailleurs en Tunisie, si l’on en juge par l’onde de choc national qui a suivi le suicide du jeune marchand ambulant.

      Ni dans beaucoup d’endroits en Algérie quand on voit la contagion sacrificielle qu’il a suscitée dans notre pays aussi. Façon de dire : “nous sommes aussi des El Bouazizi.”

      Le suicide est un vieux mode de protestation pour ceux qui n’attendent plus de secours de la société et de son État. Mais l’immolation par le feu, par son caractère spectaculaire et par l’idée message de douleur qu’elle contient, se veut un message de souffrance extrême de son auteur. L’immolation par le feu est un suicide politique.

      Si l’émeute est un mode d’expression collective de mécontentement, le sacrifice douloureux et solitaire est destiné à nous tourmenter, à tourmenter les responsables de la peine du sacrifié et à tourmenter les témoins de cette peine.

      Ce n’est pas un hasard, si les plus hauts responsables s’inquiètent de cette avalanche de suicides et de tentatives de suite. Plus que l’émeute, plus que la harga qui s’inscrit tout de même dans l’espoir d’un au-delà géographique, elle traduit un profond état de désespérance. Et comme ces suicides surviennent tous sur des thèmes qui engagent la responsabilité de l’État, le logement et l’emploi, on comprend que le pouvoir se sente tragiquement interpellé. Ironie de notre situation : le pétrole qui a fait notre malheur, en termes d’injustice sociale, sert aujourd’hui, sous forme de bidons d’essences, de sinistre mode de dénonciation de cette injustice.

      Commentaire


      • #4
        C'est très bien dit merci loubia!

        Commentaire

        Chargement...
        X