Vous signez, en 1976, un appel commun avec Abbas, Kheïreddine. Le nationalisme, tel que vous l’avez vécu, vous paraît-il incompatible avec les valeurs de liberté et de démocratie ?
Vous avez oublié le troisième signataire de l’appel, un nom célèbre, qui, lui aussi a été «proscrit», il s’agit de Hocine Lahouel, ancien Secrétaire général du PPA-MTLD, deuxième personnage du Parti après Messali. (Lire l’encadré de l’«Appel au peuple algérien»).Au moment où Boumediene régnait sans partage sur l’Algérie, il fallait faire entendre une voix d’opposition. L’occasion nous fut donnée, en mars 1976, à propos d’une prétendue «Charte nationale» qu’il avait fait confectionner et qu’il voulait imposer au peuple algérien pour légitimer son pouvoir. L’Algérie se trouvait alors en guerre avec le Maroc, et les deux blocs Est et Ouest étaient en pleine guerre froide.Les signataires de l’Appel craignaient que le conflit ne déborde aux deux ailes du Maghreb et ne soit le prétexte pour les deux Super Grands d’intervenir en Afrique du Nord à l’image de l’Angola où ils s’affrontaient dans un bain de sang dont la population faisait les frais. Nous réclamions la voie des négociations au lieu de celle de la guerre pour régler ce conflit fratricide entre deux peuples voisins.Pour la «Charte nationale», nous réclamions l’élection d’une Assemblée constituante souveraine, seule apte à voter un pareil document.Cette position nous valut :- notre mise en résidence surveillée dans notre domicile,la nationalisation de la pharmacie de Abbas et celle de Ben Khedda, la nationalisation de l’usine de Polymères, propriété de la famille Kheïreddine, la suppression du salaire de Hocine Lahouel, directeur d’une société nationale. La très officielle agence APS nous traitera d’«éléments réactionnaires» agissant pour le compte de l’étranger, dénonciation reprise par les journaux de l’époque. L’événement fut médiatisé à l’extérieur. Boudiaf nous apporta son soutien, suivi de Aït Ahmed, Lebjaoui, Kaïd Ahmed.A l’intérieur, il n’y eu pas de réaction. Seule une équipe de militants, animée par Dahlab, prit l’initiative de faire paraître un Document. Le Document fut suivi d’un Bulletin intitulé Liberté et Démocratie, qui était édité et distribué clandestinement. C’était un bulletin tiré à la ronéo, d’une douzaine de pages environ et dont le dernier numéro date de septembre 1978.Les articles condamnaient le régime, les atteintes aux droits de l’Homme et réclamaient les libertés publiques pour le peuple. Il faut rendre hommage à cette équipe de militants travaillant avec la crainte de tomber entre les mains de la redoutable SM ; celle-ci ne réussit heureusement pas à les identifier malgré les efforts considérables qu’elle avait déployés. Le nationalisme tel que je l’ai vécu est dépassé. Il a rempli sa mission historique : la libération de la patrie. Cependant son esprit reste. Les valeurs qu’il a véhiculées sont plus que jamais d’actualité, car le nationalisme n’a exclu ni la liberté ni la démocratie. Hélas, ces valeurs ont été chez nous galvaudées ou dénaturées. Paraphrasant le cri de cour d’un célèbre politique, je serai tenté de dire : «Liberté! Démocratie! Justice! Tolérance! Que de crimes on continue à commettre en votre nom !» La tragédie que nous vivons prendra fin dans la mesure où nous revenons à l’esprit de la Proclamation du 1er Novembre 1954 qui avait fait notre force au cours de la Guerre de libération et qui appelait à un «Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques».Le nationalisme tel que je l’ai vécu et pratiqué est maintenant dépassé, l’objectif d’indépendance qu’il poursuivait ayant été pleinement atteint. Cependant son esprit n’est pas révolu ; il reste, car il incarne la permanence des valeurs patriotiques et nationales dans lesquelles se reconnaît le peuple.Avec la mondialisation et les nouvelles adaptations qu’elle induit à l’échelle planétaire, l’esprit du nationalisme doit être certes jalousement préservé. Mais il lui incombe d’intégrer avec d’avantage de crédibilité et de conviction les idéaux de liberté, de démocratie, de justice et de tolérance qui conditionnent impérieusement aujourd’hui le devenir harmonieux des Etats et des peuples. Chez nous, des ouvertures vers ces valeurs ont bien été tentées. Hélas, elles ont chaque fois avorté. Paraphrasant le cri de cour d’un célèbre politique, je serais tenté de lancer à mon tour : «Liberté ! Démocratie ! Justice ! Tolérance ! Que de crimes , que de dépassements on continue à commettre en votre nom !»Pourtant, je persiste à penser qu’il faut toujours faire confiance à l’histoire, et ne jamais se laisser aller à insulter l’avenir. Qu’on le veuille ou non, les valeurs démocratiques, greffées sur notre vieux fonds nationaliste, sont, à présent, bel et bien implantées dans notre subconscient collectif. Surtout elle donnent à notre peuple de solides raisons de se réconcilier avec lui-même, et de ne pas régresser. Mes espérances là-dessus sont intactes. En attendant qu’elles trouvent leur voie, je continue, pour ma part, à m’en tenir, quoiqu’il arrive, au seul crEdo qui vaille encore, à mes yeux, la peine d’être observé : celui que la Proclamation du Premier Novembre a merveilleusement exprimé en affirmant : «Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques.»
Benyoucef Ben Khedda a été président du gouvernement provisoire de la République algérienne qui poursuivit et conclut les négociations d’Evian.
Vous avez oublié le troisième signataire de l’appel, un nom célèbre, qui, lui aussi a été «proscrit», il s’agit de Hocine Lahouel, ancien Secrétaire général du PPA-MTLD, deuxième personnage du Parti après Messali. (Lire l’encadré de l’«Appel au peuple algérien»).Au moment où Boumediene régnait sans partage sur l’Algérie, il fallait faire entendre une voix d’opposition. L’occasion nous fut donnée, en mars 1976, à propos d’une prétendue «Charte nationale» qu’il avait fait confectionner et qu’il voulait imposer au peuple algérien pour légitimer son pouvoir. L’Algérie se trouvait alors en guerre avec le Maroc, et les deux blocs Est et Ouest étaient en pleine guerre froide.Les signataires de l’Appel craignaient que le conflit ne déborde aux deux ailes du Maghreb et ne soit le prétexte pour les deux Super Grands d’intervenir en Afrique du Nord à l’image de l’Angola où ils s’affrontaient dans un bain de sang dont la population faisait les frais. Nous réclamions la voie des négociations au lieu de celle de la guerre pour régler ce conflit fratricide entre deux peuples voisins.Pour la «Charte nationale», nous réclamions l’élection d’une Assemblée constituante souveraine, seule apte à voter un pareil document.Cette position nous valut :- notre mise en résidence surveillée dans notre domicile,la nationalisation de la pharmacie de Abbas et celle de Ben Khedda, la nationalisation de l’usine de Polymères, propriété de la famille Kheïreddine, la suppression du salaire de Hocine Lahouel, directeur d’une société nationale. La très officielle agence APS nous traitera d’«éléments réactionnaires» agissant pour le compte de l’étranger, dénonciation reprise par les journaux de l’époque. L’événement fut médiatisé à l’extérieur. Boudiaf nous apporta son soutien, suivi de Aït Ahmed, Lebjaoui, Kaïd Ahmed.A l’intérieur, il n’y eu pas de réaction. Seule une équipe de militants, animée par Dahlab, prit l’initiative de faire paraître un Document. Le Document fut suivi d’un Bulletin intitulé Liberté et Démocratie, qui était édité et distribué clandestinement. C’était un bulletin tiré à la ronéo, d’une douzaine de pages environ et dont le dernier numéro date de septembre 1978.Les articles condamnaient le régime, les atteintes aux droits de l’Homme et réclamaient les libertés publiques pour le peuple. Il faut rendre hommage à cette équipe de militants travaillant avec la crainte de tomber entre les mains de la redoutable SM ; celle-ci ne réussit heureusement pas à les identifier malgré les efforts considérables qu’elle avait déployés. Le nationalisme tel que je l’ai vécu est dépassé. Il a rempli sa mission historique : la libération de la patrie. Cependant son esprit reste. Les valeurs qu’il a véhiculées sont plus que jamais d’actualité, car le nationalisme n’a exclu ni la liberté ni la démocratie. Hélas, ces valeurs ont été chez nous galvaudées ou dénaturées. Paraphrasant le cri de cour d’un célèbre politique, je serai tenté de dire : «Liberté! Démocratie! Justice! Tolérance! Que de crimes on continue à commettre en votre nom !» La tragédie que nous vivons prendra fin dans la mesure où nous revenons à l’esprit de la Proclamation du 1er Novembre 1954 qui avait fait notre force au cours de la Guerre de libération et qui appelait à un «Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques».Le nationalisme tel que je l’ai vécu et pratiqué est maintenant dépassé, l’objectif d’indépendance qu’il poursuivait ayant été pleinement atteint. Cependant son esprit n’est pas révolu ; il reste, car il incarne la permanence des valeurs patriotiques et nationales dans lesquelles se reconnaît le peuple.Avec la mondialisation et les nouvelles adaptations qu’elle induit à l’échelle planétaire, l’esprit du nationalisme doit être certes jalousement préservé. Mais il lui incombe d’intégrer avec d’avantage de crédibilité et de conviction les idéaux de liberté, de démocratie, de justice et de tolérance qui conditionnent impérieusement aujourd’hui le devenir harmonieux des Etats et des peuples. Chez nous, des ouvertures vers ces valeurs ont bien été tentées. Hélas, elles ont chaque fois avorté. Paraphrasant le cri de cour d’un célèbre politique, je serais tenté de lancer à mon tour : «Liberté ! Démocratie ! Justice ! Tolérance ! Que de crimes , que de dépassements on continue à commettre en votre nom !»Pourtant, je persiste à penser qu’il faut toujours faire confiance à l’histoire, et ne jamais se laisser aller à insulter l’avenir. Qu’on le veuille ou non, les valeurs démocratiques, greffées sur notre vieux fonds nationaliste, sont, à présent, bel et bien implantées dans notre subconscient collectif. Surtout elle donnent à notre peuple de solides raisons de se réconcilier avec lui-même, et de ne pas régresser. Mes espérances là-dessus sont intactes. En attendant qu’elles trouvent leur voie, je continue, pour ma part, à m’en tenir, quoiqu’il arrive, au seul crEdo qui vaille encore, à mes yeux, la peine d’être observé : celui que la Proclamation du Premier Novembre a merveilleusement exprimé en affirmant : «Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques.»
Benyoucef Ben Khedda a été président du gouvernement provisoire de la République algérienne qui poursuivit et conclut les négociations d’Evian.
Commentaire