Voici un texte écrit en 1997 après l'opération Bouclier du désert menée contre le peuple d'Irak par les armées US, leurs alliés et supplétifs:
Partie Terminée
Assis à la caisse derrière le comptoir, le patron du bar a, depuis un moment, les yeux rivés sur l'enfant qui joue au billard électrique. L'homme est un malabar au visage marqué par une vie jalonnée de violentes tribulations.
L'enfant est au seuil de l'adolescence. Dans son univers actuel, la fumée des cigarettes mêlée aux effluves des toilettes toutes proches, le brouhaha des conversations que domine la musique du juke-box, le va et vient des serveurs et des clients, tout cela ne parvient à lui que comme de vagues et lointaines sensations indistinctes.
Son attention est entièrement accaparée par la course folle de la balle métallique. Seuls les sons et les lumières émis par le billard électrique sont perçus et décodés par lui : cet ensemble de notes accompagne la marque de cinq mille points ; lumière rouge : la balle vient de faire tomber le troisième drapeau ; série de bruits forts et secs : la balle a heurté des champignons ; un clignotement rapide : danger, on risque de perdre la partie...
Ses mains secouent le billard électrique juste assez pour dévier la trajectoire de la balle sans provoquer le tilt. De temps à autre, ses doigts appuient sur les boutons latéraux des flippers pour renvoyer la balle vers le haut. Tout son corps accompagne, par saccades, la pression de ses paumes sur le cadre du billard et de ses doigts sur les commandes des flippers. On dirait un pantin désarticulé, manipulé par un novice.
Il ne reprend partiellement conscience du monde qui l'entoure que durant les brefs instants qui séparent la perte d'une balle dans le trou et l'engagement de la suivante.
Pour le moment, sur le panneau vertical, le score monte, mais trop lentement. Sans le bonus, pas de partie gratuite. Le bonus ! C'est l'obsession du moment ! Dieu, les anges, les saints, les serviteurs des saints et même les génies sont invoqués dans une prière mentale.
La danse saccadée continue, souvent lente, tout à coup et pendant de brefs instants, endiablée. La goutte de sueur sur le front le démange, l'essuyer maintenant c'est consentir à perdre la partie.
La balle, comme prise de frénésie, se dirige vite vers le bas. Elle semble perdue, mais le joueur, d'une secousse finement calculée, lui fait imperceptiblement changer de direction. D'une autre, il la détourne vers la droite et arrive à la capturer artistiquement à l'aide du flipper. Le bonus est là, au bout des doigts. La crainte de rater son coup l'a envahi de la tête au pied mais semble avoir épargné ses mains et ses yeux.
Il vise en retenant le souffle, lâche le flipper ce qui libère la balle. Elle descend doucement. Au moment où elle semble perdue, d'un coup, il la renvoie vivement en haut à gauche. Elle passe entre deux champignons, frôle la bande oblique gauche et tournoie sur elle-même avant de se ficher dans une fente. C'est le bonus !
Le billard émet distinctement un tac : la première partie gratuite est déjà gagnée. L'enfant ressent un sentiment fugace de fierté. Il l'a eue ! Des images d'enfants d'à peu près son âge lui traversent l'esprit. Il est le meilleur !
Il se rend compte que six à sept spectateurs suivent son jeu. Certains sont peut-être là par désœuvrement d'autres attendent que le billard soit libéré.
A ceux qui sont là et à ceux qui ne le sont pas, il faudra qu'il leur montre !... C'est son jour. Il faut qu'il gagne d'autres parties, qu'il monte plus haut... Très vite son esprit revient tout entier au jeu.
Le patron descend de son siège, doucement comme s'il craignait d'abîmer ses semelles. Il marche sans se presser et sans rouler les épaules, sûr de sa force et de la crainte qu'il inspire autour de lui. D'un geste insouciant, il éteint le billard, se plante devant le joueur et, sans élever la voix : "C'est terminé ! Hier déjà, tu as joué plus d'une heure avec une seule pièce". L'enfant proteste : "Mais j'ai gagné ces par..." Le patron du bar l'interrompt : "C'est çà ! Ta pièce ne paie même pas l'électricité que consomme le billard... Allez ! File chez toi ! T'as pas l'âge pour entrer dans un bar !"
L'enfant n'a d'autres ressources que de tourner les talons. Personne ne l'entend marmonner : "Salaud !"
Son visage n'est heureusement pas trop saccagé par l'acné. D'un clic de la souris, il lance le jeu sur le micro-ordinateur. Après un temps qui lui a semblé interminable, le message attendu s'affiche à l'écran :
De l'Etat-major Général des Armées
au Commandant J. Jones
Votre brigade d'élite est chargée de défendre le flanc nord-est de nos armées.
Votre mission est de prendre d'assaut, à bord de votre char, et de démolir la position occupée par les forces ennemies sur la colline. Votre succès desserrera l'étau autour d'un grand nombre de nos soldats et aura une influence décisive sur la suite de la guerre.
Vous disposez de 90 minutes pour mener à bien votre mission.
Bonne chance Commandant et que Dieu guide vos actions.
Signé Général P. Smith
Les doigts tiennent fermement la manette de jeu, les dents serrés, le cou rigide et les yeux scrutent l'écran à la recherche de cibles. Il fait avancer l'image du char. Il commence à bien connaître ce jeu, mais il n'a toujours pas réussi à gagner. Il faut qu'il y arrive aujourd'hui. Certains de ses copains affirment être déjà passés au niveau 2 du jeu. Il ne peut pas rester à la traîne. Il a un statut à défendre. Certains risquent de ricaner dans son dos et même de le railler ouvertement.
Il s'admoneste : pour gagner, il faut garder son sang froid, éviter que le char soit touché et lui faire suivre un itinéraire rapide, démolir quelques places fortes (500 points chacune mais très risquées) et blindés (250 points par unité mais exige des manœuvres difficiles) sur son chemin et surtout tuer le plus grand nombre de soldats ennemis (seulement 25 points par mort mais sans grand danger).
Il joue depuis plus d'une heure. Une légère douleur au dos de la main l'oblige à lâcher un instant la manette de jeu et à se masser le poignet. Le score affiché est de 44225 points. La victoire n'est pas loin.
Jusque là, tout s'est plutôt bien passé. Là-bas, sur la gauche, apparaît la colline, l'objectif final, la terre promise. Sur le chemin, il y a une niche à mitrailleuses. Il essuie la moiteur de sa paume sur son pantalon, le temps d'implorer mentalement quelques puissances immatérielles pour qu'elles ne le laissent pas tomber. Il fait avancer le char doucement pour ne pas se faire repérer. Il règle les angles latéral et vertical de tir pour pointer le canon sur la cible, met en marche le système de correction automatique de ces angles selon les mouvements du char, arme le canon et, au moment jugé le plus opportun, il tire. La cible vole en éclat. Des corps sont envoyés dans l'air dans des poses grotesques mais réalistes. En plus de la niche à mitrailleuses détruite, il lit que vingt-trois soldats ennemis ont été tués par un seul obus. Il lève le poing au ciel et lance un cri de triomphe avant de faire ruer le char vers le haut de la colline.
Après un bref feu d'artifice, l'écran affiche en haut l'image d'un officier qui reçoit une décoration, avec en arrière fond la bannière étoilée US. En bas de l'écran on lit :
La partie continue. Nouvelle mission et nouveau décor. Il sera difficile de passer au niveau 3 en seulement neuf minutes mais on ne perd rien à tenter le coup.
L'ennemi peut utiliser maintenant des avions dotés de missiles antichars. En contrepartie, le joueur dispose de deux nouvelles armes défensives : un dispositif de camouflage et un bouclier antimissiles. Ces armes ne doivent être utilisées qu'en cas de nécessité car leur activation freine considérablement l'avancée du char et le temps est compté.
A droite, il repère des fantassins ennemis cachés derrière un taillis. Pour faire monter le score, il doit les tuer tous. Il leur envoie une salve de mitrailleuse et une grenade. Une explosion jaillit sur l'écran accompagnée de l'image de corps soulevés par le souffle. Il crie "Ouais ! Je vous ai eus saletés !" Puis c'est l'image d'un blindé carbonisé et désarticulé qui apparaît sur l'écran avec en bas le message "Votre véhicule a sauté sur une mine antichar ! Partie terminée".
Le joueur jette à l'ordinateur : "Salaud !"
.../...
Assis à la caisse derrière le comptoir, le patron du bar a, depuis un moment, les yeux rivés sur l'enfant qui joue au billard électrique. L'homme est un malabar au visage marqué par une vie jalonnée de violentes tribulations.
L'enfant est au seuil de l'adolescence. Dans son univers actuel, la fumée des cigarettes mêlée aux effluves des toilettes toutes proches, le brouhaha des conversations que domine la musique du juke-box, le va et vient des serveurs et des clients, tout cela ne parvient à lui que comme de vagues et lointaines sensations indistinctes.
Son attention est entièrement accaparée par la course folle de la balle métallique. Seuls les sons et les lumières émis par le billard électrique sont perçus et décodés par lui : cet ensemble de notes accompagne la marque de cinq mille points ; lumière rouge : la balle vient de faire tomber le troisième drapeau ; série de bruits forts et secs : la balle a heurté des champignons ; un clignotement rapide : danger, on risque de perdre la partie...
Ses mains secouent le billard électrique juste assez pour dévier la trajectoire de la balle sans provoquer le tilt. De temps à autre, ses doigts appuient sur les boutons latéraux des flippers pour renvoyer la balle vers le haut. Tout son corps accompagne, par saccades, la pression de ses paumes sur le cadre du billard et de ses doigts sur les commandes des flippers. On dirait un pantin désarticulé, manipulé par un novice.
Il ne reprend partiellement conscience du monde qui l'entoure que durant les brefs instants qui séparent la perte d'une balle dans le trou et l'engagement de la suivante.
Pour le moment, sur le panneau vertical, le score monte, mais trop lentement. Sans le bonus, pas de partie gratuite. Le bonus ! C'est l'obsession du moment ! Dieu, les anges, les saints, les serviteurs des saints et même les génies sont invoqués dans une prière mentale.
La danse saccadée continue, souvent lente, tout à coup et pendant de brefs instants, endiablée. La goutte de sueur sur le front le démange, l'essuyer maintenant c'est consentir à perdre la partie.
La balle, comme prise de frénésie, se dirige vite vers le bas. Elle semble perdue, mais le joueur, d'une secousse finement calculée, lui fait imperceptiblement changer de direction. D'une autre, il la détourne vers la droite et arrive à la capturer artistiquement à l'aide du flipper. Le bonus est là, au bout des doigts. La crainte de rater son coup l'a envahi de la tête au pied mais semble avoir épargné ses mains et ses yeux.
Il vise en retenant le souffle, lâche le flipper ce qui libère la balle. Elle descend doucement. Au moment où elle semble perdue, d'un coup, il la renvoie vivement en haut à gauche. Elle passe entre deux champignons, frôle la bande oblique gauche et tournoie sur elle-même avant de se ficher dans une fente. C'est le bonus !
Le billard émet distinctement un tac : la première partie gratuite est déjà gagnée. L'enfant ressent un sentiment fugace de fierté. Il l'a eue ! Des images d'enfants d'à peu près son âge lui traversent l'esprit. Il est le meilleur !
Il se rend compte que six à sept spectateurs suivent son jeu. Certains sont peut-être là par désœuvrement d'autres attendent que le billard soit libéré.
A ceux qui sont là et à ceux qui ne le sont pas, il faudra qu'il leur montre !... C'est son jour. Il faut qu'il gagne d'autres parties, qu'il monte plus haut... Très vite son esprit revient tout entier au jeu.
Le patron descend de son siège, doucement comme s'il craignait d'abîmer ses semelles. Il marche sans se presser et sans rouler les épaules, sûr de sa force et de la crainte qu'il inspire autour de lui. D'un geste insouciant, il éteint le billard, se plante devant le joueur et, sans élever la voix : "C'est terminé ! Hier déjà, tu as joué plus d'une heure avec une seule pièce". L'enfant proteste : "Mais j'ai gagné ces par..." Le patron du bar l'interrompt : "C'est çà ! Ta pièce ne paie même pas l'électricité que consomme le billard... Allez ! File chez toi ! T'as pas l'âge pour entrer dans un bar !"
L'enfant n'a d'autres ressources que de tourner les talons. Personne ne l'entend marmonner : "Salaud !"
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Son visage n'est heureusement pas trop saccagé par l'acné. D'un clic de la souris, il lance le jeu sur le micro-ordinateur. Après un temps qui lui a semblé interminable, le message attendu s'affiche à l'écran :
TOP SECRET
De l'Etat-major Général des Armées
au Commandant J. Jones
Votre brigade d'élite est chargée de défendre le flanc nord-est de nos armées.
Votre mission est de prendre d'assaut, à bord de votre char, et de démolir la position occupée par les forces ennemies sur la colline. Votre succès desserrera l'étau autour d'un grand nombre de nos soldats et aura une influence décisive sur la suite de la guerre.
Vous disposez de 90 minutes pour mener à bien votre mission.
Bonne chance Commandant et que Dieu guide vos actions.
Signé Général P. Smith
Appuyez sur touche pour commencer la partie
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Ils veulent la guerre ! Eh bien, ils vont l'avoir.Les doigts tiennent fermement la manette de jeu, les dents serrés, le cou rigide et les yeux scrutent l'écran à la recherche de cibles. Il fait avancer l'image du char. Il commence à bien connaître ce jeu, mais il n'a toujours pas réussi à gagner. Il faut qu'il y arrive aujourd'hui. Certains de ses copains affirment être déjà passés au niveau 2 du jeu. Il ne peut pas rester à la traîne. Il a un statut à défendre. Certains risquent de ricaner dans son dos et même de le railler ouvertement.
Il s'admoneste : pour gagner, il faut garder son sang froid, éviter que le char soit touché et lui faire suivre un itinéraire rapide, démolir quelques places fortes (500 points chacune mais très risquées) et blindés (250 points par unité mais exige des manœuvres difficiles) sur son chemin et surtout tuer le plus grand nombre de soldats ennemis (seulement 25 points par mort mais sans grand danger).
Il joue depuis plus d'une heure. Une légère douleur au dos de la main l'oblige à lâcher un instant la manette de jeu et à se masser le poignet. Le score affiché est de 44225 points. La victoire n'est pas loin.
Jusque là, tout s'est plutôt bien passé. Là-bas, sur la gauche, apparaît la colline, l'objectif final, la terre promise. Sur le chemin, il y a une niche à mitrailleuses. Il essuie la moiteur de sa paume sur son pantalon, le temps d'implorer mentalement quelques puissances immatérielles pour qu'elles ne le laissent pas tomber. Il fait avancer le char doucement pour ne pas se faire repérer. Il règle les angles latéral et vertical de tir pour pointer le canon sur la cible, met en marche le système de correction automatique de ces angles selon les mouvements du char, arme le canon et, au moment jugé le plus opportun, il tire. La cible vole en éclat. Des corps sont envoyés dans l'air dans des poses grotesques mais réalistes. En plus de la niche à mitrailleuses détruite, il lit que vingt-trois soldats ennemis ont été tués par un seul obus. Il lève le poing au ciel et lance un cri de triomphe avant de faire ruer le char vers le haut de la colline.
Après un bref feu d'artifice, l'écran affiche en haut l'image d'un officier qui reçoit une décoration, avec en arrière fond la bannière étoilée US. En bas de l'écran on lit :
BRAVO COMMANDANT J. JONES
Vous avez accompli avec succès votre mission.
Votre pays est fier de vous.
Vous avez accompli avec succès votre mission.
Votre pays est fier de vous.
Appuyez sur touche pour lancer le niveau 2
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La partie continue. Nouvelle mission et nouveau décor. Il sera difficile de passer au niveau 3 en seulement neuf minutes mais on ne perd rien à tenter le coup.
L'ennemi peut utiliser maintenant des avions dotés de missiles antichars. En contrepartie, le joueur dispose de deux nouvelles armes défensives : un dispositif de camouflage et un bouclier antimissiles. Ces armes ne doivent être utilisées qu'en cas de nécessité car leur activation freine considérablement l'avancée du char et le temps est compté.
A droite, il repère des fantassins ennemis cachés derrière un taillis. Pour faire monter le score, il doit les tuer tous. Il leur envoie une salve de mitrailleuse et une grenade. Une explosion jaillit sur l'écran accompagnée de l'image de corps soulevés par le souffle. Il crie "Ouais ! Je vous ai eus saletés !" Puis c'est l'image d'un blindé carbonisé et désarticulé qui apparaît sur l'écran avec en bas le message "Votre véhicule a sauté sur une mine antichar ! Partie terminée".
Le joueur jette à l'ordinateur : "Salaud !"
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