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Morte sous les insultes racistes d’une infirmière

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  • Morte sous les insultes racistes d’une infirmière

    Le décès tragique de Joyce Echaquan, qui a perdu la vie lundi à l’hôpital de Joliette sous les insultes et les propos racistes de membres du personnel de la santé, soulève bien des questions sur d’autres cas similaires qui seraient possiblement survenus dans le passé.

    « Depuis lundi, on reçoit beaucoup d’informations et de questionnements de la part de membres qui partagent leurs doutes et leurs inquiétudes relativement à ce qui est arrivé à des membres de leur famille », indique Constant Awashish, grand chef de la nation attikamek.

    Mardi, le bureau du coroner a annoncé qu’une enquête a été lancée pour faire la lumière sur la mort de la mère attikamek de sept enfants. Une procédure habituelle « comme pour tous les cas où la cause est obscure », précise le bureau du coroner.

    Le décès de Joyce Echaquan, qui a créé un véritable émoi dans la population, est survenu peu de temps après que la femme de 37 ans de Manawan a diffusé une vidéo en direct sur Facebook. Joyce Echaquan se trouvait à ce moment sur une civière à l’hôpital de Joliette. On l’entend et on la voit crier, appeler à l’aide et affirmer en attikamek avoir été surmédicamentée. On entend ensuite des membres du personnel soignant entrer dans sa chambre et l’insulter.

    « Ostie d’épaisse de tabarnak […] Ça là, c’est mieux mort, ça », dit une personne. « As-tu fini de niaiser. T’as-tu fini, câlisse ? T’es épaisse en câlisse », ajoute une autre. « C’est meilleur pour fourrer plus qu’autre chose », entend-on à travers les cris.

    En point de presse mardi après-midi, le premier ministre, François Legault, a offert ses condoléances à la famille de la défunte. « L’infirmière, ce qu’elle a dit, c’est totalement inacceptable et c’est raciste, et elle a été congédiée. » Le premier ministre a toutefois refusé de reconnaître qu’il s’agit là d’une manifestation de racisme systémique. De son côté, le CISSS de Lanaudière a indiqué avoir ouvert une enquête interne « dès que nous avons été informés de la situation et de la vidéo en circulation ».

    À Joliette, des centaines de personnes — en grande majorité des Attikameks — ont rendu mardi soir un chaleureux hommage à Joyce Echaquan. Après une courte marche dans une rue de la ville, les manifestants ont convergé devant l’hôpital, où des discours et des chants ont résonné comme dans un amphithéâtre géant.

    Encore récemment, le premier ministre, François Legault « refusait de reconnaître l’existence du racisme systémique au Québec, a déclaré Paul-Émile Ottawa, le chef des Attikameks de Manawan. Il a une preuve concrète sous ses yeux ! »

    Plus tôt en après-midi, les membres de la communauté endeuillée commençaient déjà à se rassembler devant le Centre d’amitié autochtone de Lanaudière, tout près de l’hôpital de Joliette. Autour d’une table à pique-nique se trouvait la famille de Joyce Echaquan, qui avait fait la route depuis Manawan.

    Le mari de la défunte, Carol Dubé, était sous le choc et ne voulait pas trop commenter la situation. « Plus tard, après le rapport du coroner », a-t-il simplement répondu. Des enfants tenaient auprès de lui une pancarte où on pouvait lire : « Justice pour maman ».

    « On a toujours eu de la misère avec l’hôpital de Joliette », rapporte Réginald Echaquan, le cousin de Mme Echaquan. « Beaucoup de familles ont eu des histoires. Il y a déjà eu des plaintes, mais cela n’a jamais abouti nulle part. Ça n’a jamais été considéré. […] J’espère que ça va aboutir à quelque chose de bien, pour tout le monde, pas juste les Autochtones. »

    Un racisme bien ancré

    Pour Tanya Sirois, directrice générale du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec, il est clair qu’il ne s’agit pas là d’un événement isolé. « C’est un racisme qui est bien ancré. Les gens qui travaillent dans ces institutions traînent un bagage face aux situations impliquant des Autochtones et ça devient une culture organisationnelle. »

    Pour que les membres du personnel soignant se soient sentis à l’aise de tenir des commentaires dégradants et condescendants à l’endroit de la victime, ce type de paroles doit nécessairement être toléré par le personnel, voire même par les dirigeants, estime-t-elle.

    Il y a un an, le rapport Viens de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec mettait justement le doigt sur plusieurs manifestations de racisme systémique vécu par les Premières Nations auprès du système de santé. À Joliette, pour une des rares fois, l’événement a été filmé.

    C’est un racisme qui est bien ancré. Les gens qui travaillent dans ces institutions traînent un bagage face aux situations impliquant des Autochtones et ça devient une culture organisationnelle.

    — Tanya Sirois

    « Dans ce cas-ci, c’est documenté. Mais ce n’est pas le cas pour plusieurs autres événements à l’image de celui d’hier, qui se passent ailleurs dans d’autres centres hospitaliers », souligne Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador.

    Il rappelle d’ailleurs qu’un récent sondage révélait que 92 % des Québécois non autochtones reconnaissent que les Premières Nations font l’objet de racisme ou de discrimination au Québec. « Cet événement nous rappelle à l’ordre pour nous dire qu’on doit se mettre à la tâche. »

    La classe politique sous le choc

    À Québec, la ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, a partagé sa consternation. « On ne peut pas accepter ça au Québec, jamais. » Le libéral Gregory Kelley a exigé du gouvernement la mise en place d’une enquête criminelle. Or, ce type d’exercice relève plutôt des policiers, et la Sûreté du Québec a confirmé au Devoir qu’aucune enquête n’a été ouverte pour l’instant. Le chef péquiste, Pascal Bérubé, a réclamé des « mesures fortes ». « Je me pose la question sur les employés qui ont de tels préjugés : devraient-ils continuer d’opérer dans le réseau de la santé québécois ? » L’élue solidaire Manon Massé a vu dans cet événement « horrible » une illustration de racisme systémique. « Le premier ministre va-t-il admettre que la mort de Joyce n’est pas un cas isolé ? », a-t-elle demandé.

    À Ottawa, les ministres fédéraux responsables des affaires autochtones se sont tous deux montrés ébranlés. Selon le ministre des Services aux autochtones, Marc Miller, la mort de Joyce Echaquan « dans des conditions inacceptables, horribles » constitue au minimum un acte raciste, mais pourrait également représenter un acte criminel, a-t-il jugé. « Ce n’est pas un incident qui est isolé. Ça, on le sait. »

    Sa collègue ministre des Affaires autochtones, Carolyn Bennett, peinait quant à elle à retenir ses larmes. Ce racisme se retrouve « dans toutes nos institutions », a-t-elle déploré. « Mais il faut que ça cesse. Et il faut qu’il y ait des conséquences. »

    Avec Marie-Michèle Sioui et Marie Vastel

    LE DEVOIR

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