- Au temps de la colonisation, l’État français a imposé aux Algériens, dont le nom ne lui convenait pas, un patronyme : puisé dans le bestiaire, parfois ridicule ou constitué d’un simple sigle, SNP, « Sans Nom Patronymique », autre façon pour l’occupant de déshumaniser les populations qu’il voulait soumettre.
Commentant un ouvrage sur le langage, Albert Camus écrit textuellement : « mal nommer un objet, s’est ajouter au malheur du monde ». Cette citation, si souvent reprise, parfois déformée, tend à dénoncer le mensonge qui accroît la misère humaine. Mais pire qu’un objet, mal nommer un être humain, trahir, déformer ou moquer son nom, c’est réellement le plonger dans le malheur du monde, tant le nom est consubstantiellement, dans toutes les sociétés, attaché à celui qui le porte et ne peut être modifié sans son consentement.
« Nomen nescio »
Avant d’imposer un nom, les États autoritaires veillent à nier le nom, nomen nescio ("je ne sais pas le nom"), N.N. : Vladimir Jankelevitch (Le Nouvel Observateur, mai 1978) rapprochait ces initiales de celles de Nacht und Nebel (qui signifiait qu’aucune information ne serait donnée sur les personnes arrêtées). Ainsi, ce sont des cohortes d’êtres humains allant à la mort avec, pour toute identification, un numéro tatoué sur le bras. On pense aussi à la consigne de Franco de ne pas tenir l’état-civil des républicains exécutés, enfouis dans des charniers. Il en fut de même lors du nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine, ainsi que pour les disparus au Guatemala, en Argentine, au Chili, tous enterrés dans des tombes anonymes avec pour seule indication : « N.N. ».
(...).
Selon l’anthropologue Tassadit Yacine, spécialiste du monde berbère, le système colonial français a imposé des noms aux Algériens qui n’en avaient pas : le boiteux, la puanteur, le muet, le moustachu, le borgne ou des noms d’animaux en français ou en arabe (châdl, le singe, donnant Chadli ; Rasekelb, le chien). S’il ne s’agissait pas d’un patronyme ridicule, c’était l’appartenance ethnique qui servait à nommer : Kebayli (le Kabyle), Aârab (l’Arabe) ou Tarki (le Turc). Le nom retenu était parfois celui du maître (2). Certains noms impossibles avaient pu être donnés par des Algériens eux-mêmes qui voulaient se moquer de l’officier d’État-civil ou qui donnaient un nom que ce dernier n’avait pas compris. Car les populations d’Algérie résistèrent à cette volonté coloniale d’imposer des noms.
Il fut même un temps où, en Grande Kabylie (massif du Djurdjura), les habitants étaient nommés selon un principe d’étiquetage-quadrillage : dans un village, tous avaient des noms commençant par A (Aberkan, Azzam,…), dans le suivant par B, et ainsi de suite (toutes les lettres de l’alphabet français y passaient), ce qui permettait de savoir d’où les individus étaient originaires. Des agents de l’État-civil venaient dans les villages distribuer les patronymes ! Selon le démographe et historien Hervé Le Bras, ce procédé a été utilisé jadis dans certaines régions françaises, en particulier en Bretagne.
« SNP »
Mais sans doute le pire a été de décréter qu’aucun Algérien ne devait être sans nom patronymique. Comme beaucoup n’avaient que des prénoms (s’enchaînant parfois avec ben, fils de : Ahmed ben Mohamed ben Malik, ce qui indiquait une filiation sur deux ou trois générations) alors apparut dans des documents officiels, pour nommer ces gens-là, le sigle S.N.P., le plus souvent SNP ou carrément Sans Nom Patronymique, Essennepet ou Sanpé, termes qui pouvaient être retranscrits sur les cartes d’identité-.
Mediapart.fr- développement complet suivra-.
Commentant un ouvrage sur le langage, Albert Camus écrit textuellement : « mal nommer un objet, s’est ajouter au malheur du monde ». Cette citation, si souvent reprise, parfois déformée, tend à dénoncer le mensonge qui accroît la misère humaine. Mais pire qu’un objet, mal nommer un être humain, trahir, déformer ou moquer son nom, c’est réellement le plonger dans le malheur du monde, tant le nom est consubstantiellement, dans toutes les sociétés, attaché à celui qui le porte et ne peut être modifié sans son consentement.
« Nomen nescio »
Avant d’imposer un nom, les États autoritaires veillent à nier le nom, nomen nescio ("je ne sais pas le nom"), N.N. : Vladimir Jankelevitch (Le Nouvel Observateur, mai 1978) rapprochait ces initiales de celles de Nacht und Nebel (qui signifiait qu’aucune information ne serait donnée sur les personnes arrêtées). Ainsi, ce sont des cohortes d’êtres humains allant à la mort avec, pour toute identification, un numéro tatoué sur le bras. On pense aussi à la consigne de Franco de ne pas tenir l’état-civil des républicains exécutés, enfouis dans des charniers. Il en fut de même lors du nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine, ainsi que pour les disparus au Guatemala, en Argentine, au Chili, tous enterrés dans des tombes anonymes avec pour seule indication : « N.N. ».
(...).
Selon l’anthropologue Tassadit Yacine, spécialiste du monde berbère, le système colonial français a imposé des noms aux Algériens qui n’en avaient pas : le boiteux, la puanteur, le muet, le moustachu, le borgne ou des noms d’animaux en français ou en arabe (châdl, le singe, donnant Chadli ; Rasekelb, le chien). S’il ne s’agissait pas d’un patronyme ridicule, c’était l’appartenance ethnique qui servait à nommer : Kebayli (le Kabyle), Aârab (l’Arabe) ou Tarki (le Turc). Le nom retenu était parfois celui du maître (2). Certains noms impossibles avaient pu être donnés par des Algériens eux-mêmes qui voulaient se moquer de l’officier d’État-civil ou qui donnaient un nom que ce dernier n’avait pas compris. Car les populations d’Algérie résistèrent à cette volonté coloniale d’imposer des noms.
Il fut même un temps où, en Grande Kabylie (massif du Djurdjura), les habitants étaient nommés selon un principe d’étiquetage-quadrillage : dans un village, tous avaient des noms commençant par A (Aberkan, Azzam,…), dans le suivant par B, et ainsi de suite (toutes les lettres de l’alphabet français y passaient), ce qui permettait de savoir d’où les individus étaient originaires. Des agents de l’État-civil venaient dans les villages distribuer les patronymes ! Selon le démographe et historien Hervé Le Bras, ce procédé a été utilisé jadis dans certaines régions françaises, en particulier en Bretagne.
« SNP »
Mais sans doute le pire a été de décréter qu’aucun Algérien ne devait être sans nom patronymique. Comme beaucoup n’avaient que des prénoms (s’enchaînant parfois avec ben, fils de : Ahmed ben Mohamed ben Malik, ce qui indiquait une filiation sur deux ou trois générations) alors apparut dans des documents officiels, pour nommer ces gens-là, le sigle S.N.P., le plus souvent SNP ou carrément Sans Nom Patronymique, Essennepet ou Sanpé, termes qui pouvaient être retranscrits sur les cartes d’identité-.
Mediapart.fr- développement complet suivra-.
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