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En Libye, des dépositions accablantes

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  • En Libye, des dépositions accablantes

    23 MARS 2018 PAR KARL LASKE ET FABRICE ARFI
    Lors de sa garde à vue, l’ancien président a été confronté aux « résultats préliminaires » de l’enquête ouverte par le bureau du procureur général de Libye. Celui-ci a annoncé « la volonté » de l’État libyen post-Kadhafi de se constituer partie civile, en France. Les dignitaires libyens interrogés chargent l'ancien président français.
    Mis en cause par la justice française depuis mercredi soir, Nicolas Sarkozy l’est désormais aussi par les juges libyens. Le 6 novembre dernier, le bureau du procureur général libyen a transmis au juge d’instruction Serge Tournaire un rapport contenant un résultat préliminaire de « l’enquête sur les faits présumés de financement de la campagne électorale de M. Nicolas Sarkozy pour la présidence française dans les années 2006-2007 » initiée par la division des investigations du bureau du procureur, en exécution d’une demande d’entraide judiciaire transmise par le magistrat parisien « aux autorités libyennes compétentes » en janvier 2014.
    « À ce stade, nous tenons à vous faire part de la volonté de l’État de Libye de se constituer partie civile devant les autorités compétentes de votre État, celui-ci estimant être victime dans le cadre de l’instruction ouverte par vos soins concernant les faits présumés de financement de la campagne électorale du candidat à la présidence française Nicolas Sarkozy », notent les magistrats libyens, Ibrahim Messaoud Ali, substitut général, et Al-Seddik Ahmed Essour, avocat général et chef de la division des investigations.
    Les interrogatoires effectués à l’établissement pénitencier d’Al-Hadba remontent à plus d’un an. Abdallah Senoussi, le beau-frère de Mouammar Kadhafi et ancien chef du renseignement militaire, Abdallah Mansour, ancien chef des services de renseignement intérieur et neveu du Guide, et Baghdadi Al-Mahmoudi, ancien premier ministre, ont été entendus par les substituts du procureur général, respectivement les 2 janvier 2017 et 14 décembre 2016.
    « Je suis accusé sans aucune preuve matérielle par les déclarations de M. Kadhafi, de son fils, de son neveu, de son cousin, de son porte-parole, de son ancien premier ministre et par les déclarations de M. Takieddine dont il est avéré à de multiples reprises qu'il a touché de l'argent de l'État libyen », a résumé Nicolas Sarkozy devant les juges peu avant sa mise en examen, avant de qualifier, jeudi sur TF1, ses accusateurs de « voyous » et « d’assassins ». Il est vrai qu’Abdallah Senoussi a été condamné à une peine de prison à perpétuité dans l’affaire de l’attentat contre le DC10 d’UTA en 1989. Mais c’est précisément ce qui l’avait conduit à soutenir un rapprochement avec la France et l’équipe de Nicolas Sarkozy dès 2005, dans l’espoir d’obtenir une révision de son procès, ou à tout le moins une levée de son mandat d’arrêt.
    Depuis leur déposition, Senoussi, Mansour et Baghdadi ont été exfiltrés, fin mai 2017, du centre pénitentiaire d’Al-Hadba lors d’une attaque de la brigade « Révolutionnaires de Tripoli » avec d’autres détenus importants, Saadi Kadhafi, le frère de Saïf al-Islam Kadhafi, et Abouzeid Dorda, ex-chef de la sécurité extérieure. Ils sont depuis retenus dans un lieu tenu secret. Ces détenus ont été condamnés à mort – à l’exception d’Abdallah Mansour – le 28 juillet 2015. Virtuellement amnistiés par la Chambre des représentants de Tobrouk, non reconnue à Tripoli, leurs recours pourraient être pris en compte par la Cour suprême, dans le contexte d’ouverture de la future élection présidentielle – pour laquelle Saïf al-Islam Kadhafi, libéré par la milice qui le retenait, s’est d’ores et déjà déclaré candidat.
    L’évolution de la situation politique intérieure a, semble-t-il, facilité la réponse des autorités libyennes. « L’enquête a permis de constater que l'ancien régime a, par le biais de plusieurs responsables sécuritaires et politiques, apporté son soutien à la campagne électorale du candidat à la présidence française Nicolas Sarkozy en 2006-2007 en fournissant des fonds à celui-ci par l'entremise de son directeur de campagne électorale Claude Guéant et d'un homme d'affaires d'origine libanaise nommé Takieddine », résume le bureau du procureur.
    Selon la synthèse des magistrats libyens, Abdallah Senoussi, Baghdadi Al-Mahmoudi ainsi que l’ancien président du Conseil de transition Mustafa Abdeljalil auraient contesté l’authenticité du document diffusé par Mediapart concernant le déblocage du financement de la présidentielle – dont on sait qu’il a été validé par des experts de la justice française –, mais aucun détail n’est donné sur leur réfutation. « Les deux premiers déclarent cependant qu'un soutien a bel et bien été apporté à la campagne électorale du candidat à la présidence française Nicolas Sarkozy en 2006-2007 et que cet appui matériel et moral s'est poursuivi au-delà », notent les magistrats.

    La déposition la plus explosive a été recueillie le 2 janvier 2017 auprès d’Abdallah Senoussi. L’ancien dignitaire, âgé de 67 ans, avait déjà été entendu en septembre 2012 assez brièvement par un juge de la Cour pénale internationale (CPI). « Pour ce qui est du soutien apporté à des personnalités occidentales pour leur permettre d'accéder au pouvoir, la somme de 5 millions d'euros a été versée pour la campagne du Président français Nicolas Sarkozy en 2006-2007 », avait-il déclaré en précisant avoir « personnellement supervisé le transfert de cette somme » par le biais d’un « intermédiaire français », « en la personne du directeur de cabinet du ministre de l'intérieur » et d’un dénommé Takieddine.
    Il révèle cette fois que le ministre français alors délégué à l’intérieur, Brice Hortefeux, venu accompagné de Ziad Takieddine, lui a remis en décembre 2005 « une feuille sur laquelle étaient saisis un nom de banque et un numéro de compte » pour le versement des fonds, une somme de 7 millions d’euros. « Cette somme a effectivement été virée en plusieurs fois par la Libyan Foreign Bank sur instruction de la Banque centrale de Libye et à la demande de la direction du renseignement », expose Senoussi. Un circuit financier qui avait déjà été révélé à Mediapart par l’ancien directeur de cabinet de Saïf al-Islam Kadhafi, Mohamed Ismaïl.

    Abdallah Senoussi livre son récit complet de l’affaire, à partir de la prise de contact avec l’équipe du ministre de l’intérieur, candidat déclaré à la présidentielle :
    « Le Guide m'a demandé si l'on pouvait établir le contact avec Sarkozy, collaborer avec lui et lui fournir un appui matériel pour faire réussir sa campagne électorale. Je lui ai promis de faire de mon mieux. J'ai appelé mon fils Mohamed, aujourd'hui décédé, qui poursuivait ses études en Grande-Bretagne. Mon fils avait de très bonnes relations avec plusieurs personnalités et hommes d'affaires européens et, grâce à son titre de séjour, pouvait se déplacer facilement à travers l'Europe. Deux jours plus tard, Mohamed m'a rappelé pour m'informer qu'on pouvait appeler Nicolas Sarkozy. Un ami à lui répondant du nom de Takieddine, un Druze d'origine libanaise, qui était en très bons termes avec Nicolas Sarkozy, avait mis celui-ci dans la confidence concernant la coopération et le renforcement des liens entre nous, et celui-ci s’était montré partant. »

    « [Brice Hortefeux] m'a tendu une feuille avec un nom de banque et un numéro de compte »
    « J’en ai informé Mouammar Kadhafi. Takieddine m’a ensuite appelé de la part de mon fils Mohamed pour me dire que Sarkozy était favorable à un rapprochement et que lui, Takieddine, souhaitait se rendre en Libye afin de me rencontrer pour que nous puissions coordonner tout cela. Peu de temps après, Takieddine (…) est arrivé par l’Aéroport international de Tripoli et je l’ai rencontré le lendemain dans mon bureau, rue AI-Zawiya. (…) Il m’a indiqué (…) s’être entretenu avec Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur de Chirac et candidat proclamé à la présidence. Il lui avait rapporté que la partie libyenne souhaitait collaborer avec lui lorsqu’il accédera au pouvoir en France, au regard du poids de la France au sein du Conseil de sécurité et de la volonté de la Libye de rompre son isolement international imposé par les résolutions du Conseil de sécurité. Nous avions besoin de la France pour empêcher toute autre tentative de nous isoler davantage, elle qui est membre permanent du Conseil de sécurité et qui est présente sur le continent africain.

    « Takieddine m’a affirmé que sa relation avec Nicolas Sarkozy était forte et qu’il avait, par le passé, joué les intermédiaires dans plusieurs affaires entre Sarkozy et plusieurs autres États, dirigeants et hommes politiques, comme le roi Fahd, le prince Sultan Ben Abdelaziz ou les dirigeants pakistanais, notamment dans le contrat d’armement par la France du Pakistan, entre autres. Takieddine a ajouté que Nicolas Sarkozy lui avait dit qu’il avait besoin d'un soutien financier de la Libye dans sa campagne électorale et lui avait demandé de nous transmettre ses souhaits, Sarkozy chiffrant le montant dont il aurait besoin pour sa campagne électorale à 20 millions d'euros. Je lui ai alors proposé que Nicolas Sarkozy rencontre le camarade Mouammar Kadhafi et je l’ai assuré de notre disposition à entamer une coopération bilatérale pour faire réussir sa campagne électorale. »

    Selon Senoussi, Takieddine a par la suite mis au point les détails de la venue du ministre, en s’assurant que l’invitation emprunte « les voies diplomatiques officielles ». Avec le feu vert de Kadhafi, Senoussi demande au ministre libyen de l’intérieur « d’adresser une invitation à son homologue Nicolas Sarkozy pour une visite en Libye ». L’intermédiaire revient en Libye pour y récupérer « l’invitation en mains propres ». Quatre jours plus tard, le directeur de cabinet de Sarkozy – et son futur directeur de campagne – Claude Guéant se déplace à Tripoli, avec Takieddine, et s’installe deux jours à l’hôtel Corinthia, pour de « longues discussions ».

    « Nous l’avons sollicité pour une coopération sécuritaire et technique, ce à quoi il a répondu par l’affirmative. En contrepartie, il m’a indiqué qu’il attendrait notre soutien au président Sarkozy pour faire réussir sa campagne électorale, et que Sarkozy était favorable pour coopérer avec nous au plus haut point. »

    Les trois hommes s’emploient à préparer la première visite de Nicolas Sarkozy à Tripoli, le 6 octobre 2005.

    « À son arrivée en Libye, Sarkozy a été reçu par le ministre de l’intérieur Nasr Al-Mabrouk. Il avait été convenu que dès son atterrissage, il se rendrait sous la tente du colonel Mouammar Kadhafi pour s’entretenir avec lui, un accueil réservé aux dirigeants de haut rang. C’était un message clair au soutien apporté à Sarkozy. Sarkozy était accompagné de l’interprète officielle de Chirac, d’où les réserves émises concernant un échange direct à propos du soutien matériel que nous apporterons pour faire réussir la campagne de Sarkozy. Après sa rencontre avec le Guide, il a rendu visite à l’Association islamique Al-Dawa après un déjeuner à l’hôtel Corinthia, où il logeait au quinzième étage.

    « Une petite heure avant la prière du coucher du soleil, Nicolas Sarkozy m’a appelé pour m’annoncer qu'il m’attendait à son hôtel. Je lui ai demandé s’il serait en compagnie d'entrepreneurs et de journalistes et il a répondu par l’affirmative. Je lui ai alors confié que je voulais qu’il devienne président en France et que ma présence sur la photo pourrait par conséquent nuire à son élection, vu l'image négative dont je jouissais à l’époque dans l'opinion française. Il s’est montré désolé, pensant qu’il allait vraiment me rencontrer, et a dit le regretter. J’ai répondu que mon contact avec lui se fera à travers Claude et Takieddine, et que nous étions toujours engagé dans ce que Takieddine lui avait transmis. J’ai essayé de convaincre Mouammar Kadhafi de financer la campagne de Nicolas Sarkozy à hauteur du montant précité demandé par celui-ci, soit 20 millions d'euros, mais il s’est montré contrarié et s’y est opposé. En fin de compte, après moult efforts de ma part, il a donné son accord pour 7 millions, pas plus. »
    Dans les semaines qui suivent, le second homme clé de l’affaire côté français fait son apparition : Brice Hortefeux, le lieutenant de Nicolas Sarkozy, alors ministre délégué aux collectivités territoriales.

    « J'ai alors dit à Takieddine de faire venir publiquement une personnalité officielle dans l'organigramme de campagne de Sarkozy ou faisant partie de son groupe de soutiens pour nous accorder sur les procédés du financement de la campagne électorale. Le ministre délégué à l’intérieur à cette époque, qui deviendra par la suite ministre de l'Immigration de Sarkozy et, plus tard, ministre de l’intérieur, est en effet venu en Libye en marge d'un sommet des ministres de l’intérieur de l'Union européenne et de l'Union africaine, tenu à l’hôtel That Al-Emad à Tripoli, dédié aux questions de l'immigration clandestine, dont le colonel Mouammar Kadhafi en personne a ouvert les travaux.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    « Ce soir-là, j'ai reçu à mon domicile le ministre français alors délégué à l’intérieur accompagné de Ziad Takieddine. À l'issue de notre discussion, il m'a tendu une feuille sur laquelle étaient saisis un nom de banque et un numéro de compte, m'indiquant que c’était le compte sur lequel devront être virées les sommes d'argent versées par nous en soutien à la campagne électorale de Sarkozy. Je ne me souviens plus de quel pays il s'agissait, peut être l'Allemagne ou la Grèce. Cette somme a effectivement été virée en plusieurs fois par la Libyan Foreign Bank sur instruction de la Banque centrale de Libye et à la demande de la direction du renseignement. Les fonds provenaient des comptes de la direction du renseignement ouverts à la Banque centrale de Libye, sur instruction de M. Ahmed Ramdane secrétaire de la présidence (…) pour le paiement de la somme de 7 millions d'euros sur le compte de la direction du renseignement militaire et ce, au titre du financement du soutien à la campagne de Sarkozy, tout cela sur ordre de Mouammar Kadhafi. »

    « Ils allaient envoyer l’avocat du président français pour me défendre dans l’affaire d’UTA »
    « J’ignore si des justificatifs officiels existent ou non, mais nul doute que de tels virements ont eu lieu. Ziad Takieddine m’a informé que les sommes ont été reçues sur le compte en question et qu'il a procédé personnellement à la remise de l’argent en espèces à Nicolas Sarkozy, dans son bureau, en plusieurs fois. »


    Abdallah Senoussi n’a pas été plus précis, mais l’un de ces versements a effectivement été retrouvé lors de l’enquête. Opéré par la Libyan Foreign Bank vers un compte baptisé Rossfield, ouvert par Ziad Takieddine à la Deutsche Bank, il avait été signalé par un autre témoin retrouvé par Mediapart, Mohamed Ismaïl, le directeur de cabinet de Saïf al-Islam Kadhafi. Entendu le 20 mars, Brice Hortefeux, qui a confirmé s'être rendu au domicile du dignitaire, a déclaré n'avoir remis « aucune référence de compte à M. Senoussi ».
    Lors de son audition, Abdallah Senoussi dit qu’il n’a « pas connaissance du versement d’autres sommes, directement ou indirectement, à Sarkozy ou à son entourage », si ce n’est qu’il a appris que « Bachir Saleh, qui dirigeait le Libyan Africa Investment Portfolio, avait fourni un appui matériel pour faire réussir, de son côté, la campagne de Sarkozy »… Plusieurs dignitaires semblent avoir géré parallèlement des contributions à la campagne. Ce que l’ancien premier ministre, Choukri Ghanem, signalait dans son carnet en 2007, évoquant celles de Bachir Saleh, de Saïf al-Islam Kadhafi et d’Abdallah Senoussi.

    En outre, Ziad Takieddine lui aurait demandé « de ne pas informer Saïf al-Islam Kadhafi, ni Bachir Saleh du soutien que nous lui apportions dans le cadre de sa campagne électorale ». D’autant que, selon Senoussi, Bachir Saleh « entretenait des relations étroites avec un groupe de contacts parmi lesquels une personne de nationalité algérienne liée à Chirac et à ses conseillers ». L’ancien dignitaire évoque ici l’intermédiaire rival de Takieddine, Alexandre Djouhri – actuellement détenu à Londres, dans l’attente de l’examen du mandat d’arrêt délivré par la France –, qui avait déjà entrepris son rapprochement avec le futur président.

    L’un des enjeux du rapprochement franco-libyen aux yeux d’Abdallah Senoussi était aussi d’obtenir la révision de sa situation judiciaire, ayant été condamné par contumace en 1999 dans l’affaire de l’attentat contre le DC10 d’UTA. Les notes de Ziad Takieddine font abondamment référence à cette recherche d’arrangement, impliquant l’avocat et ami de Nicolas Sarkozy, Me Thierry Herzog. Le beau-frère de Kadhafi le confirme sur procès-verbal :

    « Un ou deux ans après l’accession au pouvoir de Sarkozy, Claude est venu dans le bureau d'Al-Baghdadi Al-Mahmoudi à l’époque, me présentant un document du gouvernement français selon lequel ils allaient envoyer l'avocat du président français afin de lui donner mandat pour me défendre dans l'affaire d'UTA et faire tomber l'accusation qui pèse sur moi, au motif qu'ils ne trouvent aucune preuve de mon implication et qu'une telle inculpation vise en vérité Kadhafi. L'avocat est en effet venu en Libye accompagné d'autres confrères, à bord d'un avion privé, et ils se sont entretenus avec le président de la cour suprême Abderrahmane Abou-Touta et d'autres personnes parmi lesquelles l'avocate Azza Al-Makhour. J'ai donné pouvoir à cet avocat et j’ignore ce qu'il en est advenu. »

    Ce pouvoir délivré à Me Thierry Herzog a été retrouvé par la justice dans les archives de Takieddine. Questionné sur ce point lors de sa garde à vue, Nicolas Sarkozy a précisé que le Libyen avait contacté son avocat, qui avait rejeté sa demande « étant l’avocat du président de la République ». En réalité, plusieurs documents figurant dans les archives de Takieddine prouvent que l’avocat a bien pris des contacts et engagé des réflexions juridiques au sujet de la situation d’Abdallah Senoussi, entre 2006 et 2009.

    Auditionné lui aussi le 2 janvier 2017, Abdallah Mansour, 64 ans, l’ancien chef du renseignement intérieur, va livrer une révélation d’ampleur concernant la « disparition » des preuves du financement octroyé à l’équipe Sarkozy, en précisant que Bachir Saleh avait été détenteur d’un dossier, avant qu’il ne soit perdu. Cette « disparition » de documents entre les mains de l’ancien directeur de cabinet de Kadhafi pourrait expliquer sa prise en charge par les services spéciaux français au moment de la chute du régime, l’exfiltration de sa famille de Libye vers Paris, puis sa deuxième exfiltration, de Paris vers le Niger, en mai 2012, par l’équipe de Nicolas Sarkozy, à la veille de l’élection présidentielle. Bachir Saleh a été récemment victime d’une tentative d’assassinat en Afrique du Sud, dont ses proches assurent qu’elle est en lien avec « l’affaire ».

    « Lors des événements de 2011, j'ai entendu Saïf al-Islam Kadhafi dire qu'il s’apprêtait à parler aux médias du financement libyen de la campagne électorale et à dévoiler tous les éléments de preuve présents dans les archives de l’État. Mais après les déclarations de de Saïf al-Islam Kadhafi, les dossiers ont disparu.

    « Madame Mabrouka al-Charif, qui était vice-directrice du protocole de Mouammar Kadhafi, m'a dit que celui-ci était contrarié et furieux de la disparition des documents qui apportent la preuve du financement libyen de la campagne électorale de Sarkozy et que le dossier s’était perdu entre Ahmed Ramdane et Bachir Saleh, chacun des deux prétendant que c'est chez l'autre que les documents se trouvaient. Je tiens à confirmer que des fonds ont bien été versés en soutien à la campagne électorale de Sarkozy, tant sous forme d’espèces que par virements bancaires. Cela s'est fait au vu et au su de Achour Tribel, ancien secrétaire général du Trésor au ministère de l’intérieur mais aussi de Ramdane, [et du] directeur de cabinet de Saïf al-Islam, Mohamed Ismaïl. »

    « Bachir Saleh avait remis à Guéant des billets en dollars et en euros dans une valise trop petite »

    Entendu le 14 décembre 2016, l’ancien premier ministre Baghdadi Al-Mahmoudi, 70 ans, avait été remis aux autorités libyennes en juin 2012 après avoir évoqué, selon ses avocats tunisiens, un financement politique de la campagne de Nicolas Sarkozy lors de sa comparution devant la cour d’appel de Tunis. Questionné par le bureau du procureur de Libye, Baghdadi assure désormais n’avoir jamais tenu ces propos à l’époque. Il dit aux juges libyens que c’est Bachir Saleh qui a « versé des sommes d'argent provenant des fonds de la présidence », puis des affaires étrangères afin « d’aider Sarkozy dans sa campagne électorale ». Son récit fait jouer à Claude Guéant un rôle de premier plan.

    « Sarkozy est entré en scène comme ministre de l’intérieur et a commencé à travailler avec nous sur les questions politiques et sécuritaires. Avec le lancement de la campagne électorale, vers la fin du mandat de Chirac, le parti en lice auquel appartenait le candidat Sarkozy a désigné une personnalité politique membre du parti, Guéant, pour diriger la campagne électorale. Guéant s'est mis à contacter certains de ses amis, comme Bachir Saleh en Libye, pour leur demander de soutenir Sarkozy et de l’aider dans sa campagne électorale, tant par un financement matériel que par un soutien moral au niveau de notre communication, en lui fournissant le soutien des communautés arabes établies en France.

    « Bachir Saleh a exposé la situation à Mouammar Kadhafi, qui a donné son aval. Bachir Saleh a alors commencé à verser des sommes d'argent provenant des fonds de la présidence, en sa qualité de directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi. Il remettait l'argent à Guéant mais le montant de ces sommes était minime, parfois un million, parfois deux ou trois millions de dollars.

    « Puis Mouammar a commencé à avoir des doutes sur le montant des sommes versées par Bachir Saleh en soutien à la campagne électorale de Sarkozy, et sur le fait que celui-ci ne délivrait pas l’intégralité des sommes, d'autant qu'un différend opposait Bachir Saleh à Abderrahmane Chalgham, ministre des Affaires étrangères libyennes, contrarié de n’avoir pas été mis au fait d'un financement qui aurait dû, selon lui, passer par les Affaires étrangères.

    « II l’avait fait savoir à l'occasion d’un appel téléphonique et d'une réunion avec Mouammar Kadhafi. En présence d’Abderrahmane Chalgham, il m’a été demandé d’enquêter sur la véracité des affirmations de Bachir Saleh. J’ai demandé à Bachir Saleh de me rejoindre et me suis entretenu avec lui en présence d’Abderrahmane Chalgham. Bachir Saleh nous a dit qu’à l'occasion d’un déplacement en France, il avait, dans un hôtel parisien, rencontré Guéant, qu’il connaissait et avec qui il était en relation. Celui-ci lui avait soumis l’idée d’un financement de la campagne électorale de Sarkozy.

    « Bachir Saleh a entamé les remises d'argent à Guéant lors de leur rencontre à Paris. Une fois, dans un hôtel parisien, il avait remis à Guéant des billets en dollars et en euros qu'il avait déposés dans une valise, mais cette valise étant trop petite, il a dû s'asseoir dessus pour parvenir à la fermer. Il a en tout cas confirmé livrer ces sommes. Il m’a dit que Guéant s'occupait de redistribuer l'argent pour la campagne électorale de Sarkozy.

    « Nous avons alors décidé de poursuivre notre soutien à cette campagne par l’entremise de Bachir Saleh et l’argent a été dès lors retiré sur le budget du ministère des affaires étrangères au titre du soutien politique. Abderrahmane Chalgham était parfaitement au courant de ces pratiques. C'est lui qui a ordonné le déblocage des sommes au profit de Bachir Saleh lorsqu’elles ont commencé à être retirées sur le budget du ministère des affaires étrangères. Les documents qui justifient tout cela existent évidemment. Lorsque Sarkozy a remporté l’élection, il a, dans ses premières prises de parole, déclaré que son premier voyage à l’étranger sera réservé à la Libye en signe de reconnaissance et de gratitude pour ce pays.

    « Mais il se trouve qu’il s’est rendu en Tunisie avant de venir en Libye. Avant sa visite en Libye, M. Guéant est devenu directeur du Palais de l’Élysée, directeur de cabinet de Sarkozy. Nous l’avons rencontré et il nous a informés que Sarkozy allait se rendre en Libye, qu’ils étaient totalement ouverts à la coopération dans tous les domaines et surtout dans le domaine militaire. »

    Selon l’ancien premier ministre, l’ex-épouse du président français, Cécilia Sarkozy, qui a été associée au processus de libération des infirmières bulgares en juillet 2007, était informée du financement libyen de la campagne présidentielle de son mari. « Je signale qu’elle était au courant de tous les financements de la campagne électorale de Sarkozy effectués par la partie libyenne avec la complicité de Bachir Saleh et de Guéant. »

    Questionné sur la traçabilité de ces versements, Baghdadi Al-Mahmoudi affirme que « ces sommes font partie de la réserve du secrétariat [de la présidence – ndlr] et sont exemptes de tout contrôle ». « Les sommes provisionnées au titre du soutien politique dans le budget propre au ministère des affaires étrangères font, quant à elles, l’objet d'une inscription au registre, expose-t-il, et sont soumises au contrôle financier du ministère des Affaires étrangères mais aussi à celui des Finances, de telle sorte qu’elles figurent dans le budget final du ministère des Finances. Il est possible de remonter à ces documents. Cela vous permettra de faire le constat des montants alloués, des personnes impliquées et des destinataires de l’argent. »

    L’enquête entre les mains du bureau du procureur de Libye permettra peut-être de reconstituer le dossier « égaré » par Bachir Saleh.
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