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« L’Etat profond » contre les révolutions arabes

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  • « L’Etat profond » contre les révolutions arabes

    Jean-Pierre Filiu essaye de démonter les mécanismes de la contre-révolution à l’œuvre dès les premiers instants de 2011 et qui tourne à plein régime depuis 2013.

    Livre. Quel est le point commun entre l’Egyptien Abdel Fattah Al-Sissi, le Syrien Bachar Al-Assad, le Libyen Khalifa Haftar ou encore – la liste n’est pas close – les généraux algériens ? Ce sont les nouveaux mamelouks, les janissaires de la contre-révolution en marche, les fossoyeurs des révolutions arabes de 2011. Telle est la thèse centrale de l’ouvrage de Jean-Pierre Filiu, qui, avec une rapidité et une profusion constantes, continue de chroniquer l’histoire immédiate du monde arabe. Il avait été le premier à décrypter le mouvement révolutionnaire de 2011 dans La Révolution arabe (Fayard, 2011) dans toutes ses dimensions, rejetant au passage l’appellation de « printemps arabe », aux consonances trop saisonnières et conjoncturelles.

    L’historien, qui tient un blog régulier sur Lemonde.fr, est le premier aujourd’hui à essayer de démonter les mécanismes de la contre-révolution à l’œuvre dès les premiers instants de 2011 mais qui tourne à plein régime depuis 2013, l’année charnière qui a vu la répression se déchaîner au grand jour. Pour ce faire, Jean-Pierre Filiu a recours à une autre référence historique, nettement plus récente celle-là que les mamelouks, celle de « l’Etat profond », qui s’est imposée jusque dans le langage courant du monde arabe.

    Services de renseignement, classe politique et justice

    La notion d’« Etat profond » est apparue en Turquie, dans les années 1990, pour décrire l’alliance inédite tissée entre les services de renseignement, une partie de la classe politique et de la justice, et le crime organisé, afin de combattre, à l’époque, la guérilla menée par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

    Apparu dans les années 1980, le conflit armé kurde a dégénéré en une « sale guerre » : l’appareil d’Etat, pour l’emporter contre l’extrême gauche kurde, a recruté des milices villageoises, financées par l’argent du crime organisé, assuré de l’impunité par une justice dévoyée. La force du concept est telle que « tout le monde finit par croire à sa réalité sans être pour autant capable de l’identifier précisément ».

    Le pays arabe où « l’Etat profond » a été le plus activement à l’œuvre dès les débuts de la révolution est l’Egypte. Ce n’est pas une surprise dans la mesure où, à l’instar de l’Etat turc, descendant de l’Empire ottoman, la République égyptienne instaurée par les « officiers libres » de 1952 est l’héritière d’une longue tradition étatique, sans remonter jusqu’aux pharaons. « L’Egypte représente le cas le plus abouti de contre-révolution accomplie par la recomposition et la mobilisation d’un “Etat profond” impitoyable », écrit Jean-Pierre Filiu.

    Ce n’est pas un hasard non plus si les mamelouks sont apparus au XIIIe siècle dans ce pays. Ces anciens esclaves militaires s’emparèrent du pouvoir à la faveur de leurs victoires militaires contre les croisés – notamment Saint Louis, qu’ils capturèrent à Mansoura et libérèrent contre une colossale rançon – puis contre les Mongols. Prenant garde à ne pas assumer l’apparence du pouvoir en laissant le poste de calife à un représentant fantoche, cette caste militaire a régné sur l’Egypte, même après l’arrivée des Ottomans, qui leur déléguèrent l’administration de cette lointaine province.

    Eviter la tentation dynastique

    Les mamelouks, toujours conscients de leur condition d’anciens esclaves, ont survécu grâce à un esprit de corps sans faille, doublé d’une féroce compétition en leur sein afin d’éviter toute tentation dynastique. Le modèle fonctionna jusqu’à l’expédition d’Egypte de Bonaparte, qui mit à bas le mythe de leur invincibilité et dégagea la voie pour le plus intelligent d’entre eux, Méhémet-Ali, fondateur de la dynastie des khédives d’Egypte.

    Les militaires égyptiens, qui dirigent leur pays sans discontinuer depuis 1952 – à l’exception de l’intermède de 2012-2013 durant la brève et désastreuse présidence du Frère musulman Mohammed Morsi – se conduisent comme des mamelouks, unis pour écraser leur peuple et assouvir leur soif inextinguible de privilèges, mais toujours prompts à s’entre-déchirer pour le pouvoir. A cet égard, le rappel de la secrète lutte entre Gamal Abdel Nasser et son « bras droit », Abdel Hakim Amer, qui mena à la défaite égyptienne au Yémen – et par conséquent à celle face à Israël en 1967 – est l’un des passages les moins connus et les plus passionnants du livre de Jean-Pierre Filiu.

    La « fabrication » d’une menace intérieure

    Les mamelouks modernes excellent aussi dans la « fabrication » d’une menace intérieure – l’islamisme –, aisée à vendre auprès du monde extérieur et parfait pour justifier leur férule sécuritaire. Sans résultat probant en matière de lutte contre le djihadisme car, plus la répression est forte, plus l’extrémisme est virulent…

    La classification proposée par l’auteur des Etats du Moyen-Orient est particulièrement stimulante. Pour Jean-Pierre Filiu, seuls deux régimes étaient de nature totalitaire : l’Irak de Saddam Hussein et la Libye de Mouammar Kadhafi, tous deux renversés par des interventions militaires étrangères, qui ont laissé place à un chaos politique.

    Il classe l’Algérie (des généraux), l’Egypte (des officiers), la Syrie (des Assad) et le Yémen (d’Ali Abdallah Saleh) dans la catégorie des « Républiques mameloukes », qui se caractérisent par « la réécriture de la geste nationaliste, un discours populiste d’une grande agressivité, un appareil répressif omniprésent et le pillage systématique des ressources nationales ». La Tunisie de Ben Ali, elle, relevait de l’Etat policier.

    Enfin, seuls deux Etats ne doivent leur légitimité qu’à eux-mêmes, n’ayant pas souffert du fait colonial : la Turquie (de Mustapha Kemal) et l’Arabie saoudite (d’Abdel Aziz Al-Saoud). Tous deux ont d’ailleurs combattu férocement la « nahda » (renaissance), cet effort de modernisation arabe dont sont issus tant les libéraux que les Frères musulmans qui ont exploré des voies divergentes pour se défaire de la férule coloniale.

    « Généraux, gangsters et jihadistes. Histoire de la contre-révolution arabe », de Jean-Pierre Filiu. La Découverte, 320 pages, 22 euros.

    Le Monde
    Par Christophe Ayad Publié le 08 février 2018

    Dernière modification par shadok, 23 avril 2019, 18h52.
    Le bon sens est la chose la mieux partagée du monde... La connerie aussi - Proverbe shadokien

  • #2
    Un article encore d’actualité au regard de ce qui se passe en Algérie avec le Général Gaid Salah, le nouveau mamelouk de l'Algérie. Comme tous les janissaires de la contre-révolution, il se fabrique un ennemi intérieur pour duper les algériens.

    Conférence de Jean-Pierre Filiu : Généraux, gangsters et jihadistes : histoire de la contre-révolution arabe

    Dernière modification par shadok, 23 avril 2019, 18h55.
    Le bon sens est la chose la mieux partagée du monde... La connerie aussi - Proverbe shadokien

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    • #3
      très intéressant
      La Réalité est la Perception, la Perception est Subjective

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      • #4
        Merci du partage.
        Je suis curieux de lire ce livre.
        ارحم من في الارض يرحمك من في السماء
        On se fatigue de voir la bêtise triompher sans combat.(Albert Camus)

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        • #5
          intéressent.

          Faisons tout de même attention à la facilité et aux projections simplistes sur la cas algérien.

          Sans doute qu'on trouvera certains points communs mais qui ne doivent pas servir d'argument en faveur d'une projection complète de cette théorie et/ou processus.

          Des points, des faits, actions, structures et même historique communs mis en évidence ne peuvent servir à valider cette thèse ou processus pour le cas algériens.

          ça peut sans doute servir comme base pour des tentatives d'analyse et de lectures.
          Rebbi yerrahmek ya djamel.
          "Tu es, donc je suis"
          Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

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