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Le Congo au bord du gouffre

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  • Le Congo au bord du gouffre

    Le Congo, gigantesque clé de voûte au cœur verdoyant de l'Afrique, d'une superficie de plus de 2 millions de kilomètres carrés, est limitrophe de neuf autres pays. Et quand ce géant fléchit, il ne tombe jamais seul. Quand l'Etat congolais a commencé à se désagréger, en 1996, sa chute a déclenché une guerre régionale. Quand il a de nouveau implosé, en 1998, il a entraîné les armées d'une demi-douzaine d'autres Etats africains. Ces deux guerres et le désordre qu'elles ont engendré auraient fait 5 millions de morts.

    Le Congo semble aujourd'hui de nouveau au bord du gouffre. Ses voisins sont apparemment disposés à intervenir, d'où l'inquiétude suscitée par les affrontements relativement mineurs qui ont eu lieu la semaine dernière dans la brousse. Le pays fait donc l'objet d'une activité diplomatique intense, comme il n'en avait plus connu depuis des années. Le ministre des Affaires étrangères français, son homologue britannique, des diplomates de haut rang des Nations unies et les ténors du département d'Etat pour les questions africaines ont tous débarqué sur les rives du lac Kivu, dans la ville décrépie de Goma, d'une grande importance stratégique.

    Les collines aux alentours sont solidement tenues par les rebelles, qui ont mis en déroute l'armée congolaise à la fin octobre. Et, s'ils n'avaient pas proclamé un cessez-le-feu à la dernière minute, ils occuperaient aussi Goma. "Sur le plan politique, les dégâts sont considérables", explique Koen Vassenroot, professeur de l'université de Gand, spécialiste du Congo.

    Deux ans après les élections les plus chères de l'histoire de l'Afrique (financées par l'étranger), la victoire des rebelles a révélé au grand jour l'incompétence du gouvernement. Et ce en dépit de la présence imposante de la mission de maintien de la paix la plus ambitieuse de l'ONU, qui a déployé 17 000 hommes dans le pays. D'ailleurs, les résultats obtenus par cette mission sont peut-être plus inquiétants encore. Non seulement les casques bleus se sont montrés incapables de bloquer l'avance rebelle, mais ils ne sont pas parvenus non plus à protéger les populations civiles, ce qui est pourtant leur mandat.

    Dans la soirée du 29 octobre, alors que les rebelles encerclaient Goma, des soldats gouvernementaux en déroute ont pillé, violé et tué avant de quitter la ville. Dans les années 1990, quand le Congo avait sombré dans une anarchie comparable, les troupes avaient adopté le même comportement. Le 30 octobre, une famille de Goma veille dans une petite pièce dénudée, entourant le cadavre de Merci, un jeune homme de 17 ans. Sous la menace de leurs armes, des soldats l'ont obligé à charger dans leur camion tous leurs biens, racontent des voisins et des parents. Puis, en guise d'adieu, avant de fuir la ville, les soldats gouvernementaux ont abattu Merci d'une balle dans le dos. Les casques bleus n'étaient pas là, bien qu'une grande base des Nations unies soit installée à deux ou trois kilomètres de la maison de Merci. "On nous a abandonnés", se lamente Safi Dayoo, mère de six enfants, qui, le soir même, a décidé de partir. Des centaines de milliers de gens comme elle sont aujourd'hui des réfugiés et manquent désespérément de vivres.

    John Prendergast, l'un des fondateurs du Projet Enough, organisation de Washington qui fait campagne contre le génocide, déclare : "Ce qui est remarquable, c'est que, quatorze ans après le génocide au Rwanda, les forces de maintien de la paix des Nations unies sont toujours aussi inefficaces lorsqu'il s'agit de protéger des civils. Tout cela malgré la rhétorique sur la responsabilité, le besoin de les protéger et autres plus jamais ça. Des slogans vides de sens pour les populations d'Afrique centrale." Alan Doss, chef de la mission de l'ONU, estime qu'il était très difficile à la fois de défendre le périmètre de Goma et d'assurer la sécurité dans les rues avec une force relativement modeste de 900 casques bleus déployés sur place. "Nous sommes clairement à court de moyens. Nous ne pouvons pas faire plus."

    L'Union européenne envisage d'envoyer des forces supplémentaires. Mais, pour l'heure, on semble mettre l'accent sur la nécessité de parvenir à un accord politique durable avec les rebelles. L'ennui, c'est que l'Est a toujours été ingouvernable. Et les rebelles occupant les forêts impénétrables qui surmontent les collines environnantes sont apparemment plus forts que jamais. Ils sont commandés par Laurent Nkunda, chef charismatique et fauteur de troubles qui dirige une armée de guérilla bien entraînée et bien équipée. D'ethnie tutsie, Nkunda est dépeint par les responsables congolais comme le pion du Rwanda voisin, gouverné par les Tutsis.

    On ne sait pas dans quelle mesure Kigali soutient Nkunda, mais une implication rwandaise dans la région n'aurait certes rien de nouveau. Tout au long de son histoire, le Congo a été victime de l'exploitation, dès l'époque coloniale, quand le pays était contrôlé par la Belgique. Des groupes rebelles et des forces étrangères ont annexé de vastes régions du pays pour en extraire de l'or, des diamants et de l'étain, et pour en exploiter les forêts. Parfois, le gouvernement congolais a appelé certains de ses voisins à la rescousse, en quête de défenseurs dans les moments difficiles. Il y a quelques jours à peine, par exemple, Kinshasa a supplié son vieil ami l'Angola d'envoyer des troupes, comme Luanda l'avait fait en 1998, pour endiguer la rébellion de Nkunda et ce qui est perçu comme la menace du Rwanda. Près de Goma, la semaine dernière, des paysans ont dit avoir vu des soldats en uniformes rwandais se battre aux côtés des hommes de Nkunda, et rapportent que les Rwandais ont incendié des maisons et assassiné des enfants. "Je les ai vus franchir la frontière de mes propres yeux", assure Jackson Busisi, un agriculteur.


    par Jeffrey Gettleman The New York Times, Courrier International
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