Tlemcen - Histoire du long siège de la cité au XVIe siècle
La ville de Sidi Boumediène est assiégée et enserrée par une seconde muraille, attaquée quotidiennement par des engins lourds, des catapultes. La durée et l'intensité de ce siège est un cas unique dans l'histoire de l'humanité. Et les Mérinides finissent par se rendre à cette évidence ; Tlemcen ne capitulera pas en dépit des indicibles souffrances endurées.
Par Rachid Lourdjane
Nous sommes à une époque où toute la force économique et commerciale du monde méditerranéen repose sur l'axe caravanier Transsaharien qui ravitaille en or les opulentes cités du Maghreb et de l'Espagne. Dans cette dynamique d'échanges, Tlemcen se pose comme une place forte. Cet axe routier vital ne perdra de sa vigueur stratégique que deux siècles plus tard, à partir du XVIe siècle avec l'ouverture des voies maritimes sur le nouveau monde quand l'or des Amériques supplantera celui de l'Afrique. Dans ces débuts du XIVe siècle, les cités maghrébines de Fez à Tunis aussi riches qu'elles soient, présentent toutes la même vulnérabilité. Elles fondent leur stabilité du moment sur des coalitions incertaines des tribus soumises de gré ou de force, toujours aux aguets de nouvelles alliances avec une force adverse et en fonction des intérêts du moment. L'ambitieux Youssef Ibn Yacoub, héritier de la dynastie Mérinide, projetait l'écrasement de Tlemcen, seule issue pour reculer les bornes de son empire et s'emparer du monopole sur la route de l'or. Les prétextes à l'affrontement final se cumulaient depuis la chute de Sidjilmassa, reconquise par les Mérinides en septembre 1274. Lors du saccage de la ville, plusieurs membres de la famille de Yaghmoracen ont été tués. Le point culminant du conflit sera marqué par le siège de Tlemcen entre avril 1299 et juillet 1307. Les manouvres du sultan mérinide ont été simples mais efficaces. En 1295, il isole Tlemcen de toutes ses villes satellites. Il livre au pillage Oujda et fait plier à sa cause des tribus, en particulier les Toudjin, les Ouled Slama et les Beni Iltem. L'année suivante, il fait une tentative contre Tlemcen et s'aperçoit, au bout de trois mois, que la prise de la ville n'est pas une entreprise facile. Alors, il décide de relever Oujda de ses ruines pour en faire une place forte, laissant la direction des travaux à l'un de ses frères. A la suite d'une trahison de gouverneur, comme de coutume à cette époque, la ville de Nédroma tombe entre les mains des Mérinides. L'événement survient pendant qu'Othmane Yaghmoracen tentait de reprendre ses anciennes concessions investies par les Mérinides. Les contingents laissés dans Tlemcen n'étaient pas de taille à assurer la défense d'une ville isolée du gros de son armée. Les remparts qui survivent encore de nos jours malgré le saccage des investisseurs immobiliers constituent un excellent bouclier. Et c'est le moment que choisit Youssef Ibn Yacoub pour foncer sur la citadelle. Yaghmoracen apprend la nouvelle à temps. A marche forcée, il arrive sous les murs de la ville à quelques heures devant les premiers détachements mérinides. Sur les remparts, les défenseurs évaluent du regard l'intensité des combats à venir. Nous sommes au deuxième jour du mois de Chaâbane 698 (6 mai 1299). A partir de cette date, Tlemcen passera neuf Ramadhan sous le blocus, sans le moindre secours et sans nouvelle du monde extérieur. Tandis que la ville est coupée du monde, l'armée mérinide occupe tout l'espace du Maghreb central. L'étendard de Youssef Ibn Yacoub flotte désormais sur les principales villes d'Algérie : Oran, Mazouna, Tiaret, Miliana, Cherchell, Ténès, Médéa et toutes les places fortes du Titteri.
ne muraille autour de la ville
Jamais aucune cité au monde n'aura connu une aussi longue solitude. Le sultan mérinide fit construire autour de la ville une ceinture de maçonnerie avec les ouvertures pour laisser passer ses attaquants. Un peu plus loin, il fit bâtir la nouvelle ville d'El Mansourah où il établit ses quartiers. L'historien Ibn Khaldoun qui consacre à cette partie un long chapitre de sa volumineuse Histoire des Berbères nous dit que tout au long de ces huit années de siège, il ne laissera pas passer une seule journée sans ordonner une attaque contre Tlemcen. L'historien a eu accès à des témoins directs. Du ciel tombaient les projectiles lancés par les engins de bombardement incessants. Jamais une population n'a connu une souffrance aussi longue et jamais aucune cité n'aura porté une résistance aussi opiniâtre et le courage physique à un tel niveau de détermination. A la cinquième année du siège, (1304), Othmane Yaghmoracen meurt. L'événement donne à la tragédie de la ville une dimension de gravité exceptionnelle, car l'homme incarnait toute la détermination face à un ennemi résolu à en découdre. Ibn Khaldoun raconte le témoignage de Brahim Abdelli, l'homme qu'il considère comme son professeur. " Othmane, fils de Yaghmoracen, mourut au bain. Il venait d'en éprouver l'influence affaiblissante et, voulant se désaltérer, il se fit apporter une tasse de lait aigre. Il s'endormit et rendit son dernier soupir ". Les gens de la maison ont pensé à un suicide pour éviter le spectacle du blasphème que réservent les Mérinides à sa ville, à la population et à sa famille. La reine qui est la fille du sultan de Tunis fit venir ses deux enfants et ferma toutes les portes du Mechouar. Les Cheikhs réunis en urgence désignent Ibn Ziane, le fils aîné, successeur au trône. Pour marquer l'avènement du nouveau sultan, les Beni Abd El Wad firent une sortie meurtrière contre un ennemi perplexe devant tant de courage et de sens du sacrifice. Cernée depuis cinq ans, Tlemcen prend l'initiative des attaques et les Mérinides commencent à douter de leurs capacités à réduire cette forteresse où les youyous fusent de toutes les maisons ! Mais dans la ville, les souffrances dues notamment aux carences alimentaires se faisaient gravement sentir. Ibn Khaldoun relate des épisodes macabres d'anthropophagie. Il donne les détails précis des prix des denrées alimentaires qui comprennent désormais les animaux de compagnie et les moineaux et les bêtes morts de maladie. On arrache les toitures des maisons pour le bois de chauffe. C'est vraisemblablement au cours de cette funeste période que disparaîtra à jamais un des quatre exemplaires du Coran rédigé par Othman Ibn Affane, troisième Khalife. Ce livre était conservé à Tlemcen depuis juin 1248. Il est passé des mains du khalife Omeyyade de Cordoue à Fez pour finir à Tlemcen. Tandis que la mort plane sur la cité de Sidi Boumediène et la désolation envahit les cours, le sultan mérinide Youssof Ibn Yacoub parvient au sommet de sa gloire. La nouvelle ville de Mansourah devient le nouveau siège des Mérinides. Des ambassadeurs et des négociants de tout le monde musulman y viennent, attirés par la prospérité qui y règne cherchant aussi l'amitié de ce fougueux sultan aux ambitions sans mesure. Il reçoit des délégations de Bougie et de Tunis. Même les souverains d'Egypte et de Syrie reconnaissent sa puissance montante lui envoient de riches présents. En huit ans, la nouvelle ville a pris un essor considérable.
La ville de Sidi Boumediène est assiégée et enserrée par une seconde muraille, attaquée quotidiennement par des engins lourds, des catapultes. La durée et l'intensité de ce siège est un cas unique dans l'histoire de l'humanité. Et les Mérinides finissent par se rendre à cette évidence ; Tlemcen ne capitulera pas en dépit des indicibles souffrances endurées.
Par Rachid Lourdjane
Nous sommes à une époque où toute la force économique et commerciale du monde méditerranéen repose sur l'axe caravanier Transsaharien qui ravitaille en or les opulentes cités du Maghreb et de l'Espagne. Dans cette dynamique d'échanges, Tlemcen se pose comme une place forte. Cet axe routier vital ne perdra de sa vigueur stratégique que deux siècles plus tard, à partir du XVIe siècle avec l'ouverture des voies maritimes sur le nouveau monde quand l'or des Amériques supplantera celui de l'Afrique. Dans ces débuts du XIVe siècle, les cités maghrébines de Fez à Tunis aussi riches qu'elles soient, présentent toutes la même vulnérabilité. Elles fondent leur stabilité du moment sur des coalitions incertaines des tribus soumises de gré ou de force, toujours aux aguets de nouvelles alliances avec une force adverse et en fonction des intérêts du moment. L'ambitieux Youssef Ibn Yacoub, héritier de la dynastie Mérinide, projetait l'écrasement de Tlemcen, seule issue pour reculer les bornes de son empire et s'emparer du monopole sur la route de l'or. Les prétextes à l'affrontement final se cumulaient depuis la chute de Sidjilmassa, reconquise par les Mérinides en septembre 1274. Lors du saccage de la ville, plusieurs membres de la famille de Yaghmoracen ont été tués. Le point culminant du conflit sera marqué par le siège de Tlemcen entre avril 1299 et juillet 1307. Les manouvres du sultan mérinide ont été simples mais efficaces. En 1295, il isole Tlemcen de toutes ses villes satellites. Il livre au pillage Oujda et fait plier à sa cause des tribus, en particulier les Toudjin, les Ouled Slama et les Beni Iltem. L'année suivante, il fait une tentative contre Tlemcen et s'aperçoit, au bout de trois mois, que la prise de la ville n'est pas une entreprise facile. Alors, il décide de relever Oujda de ses ruines pour en faire une place forte, laissant la direction des travaux à l'un de ses frères. A la suite d'une trahison de gouverneur, comme de coutume à cette époque, la ville de Nédroma tombe entre les mains des Mérinides. L'événement survient pendant qu'Othmane Yaghmoracen tentait de reprendre ses anciennes concessions investies par les Mérinides. Les contingents laissés dans Tlemcen n'étaient pas de taille à assurer la défense d'une ville isolée du gros de son armée. Les remparts qui survivent encore de nos jours malgré le saccage des investisseurs immobiliers constituent un excellent bouclier. Et c'est le moment que choisit Youssef Ibn Yacoub pour foncer sur la citadelle. Yaghmoracen apprend la nouvelle à temps. A marche forcée, il arrive sous les murs de la ville à quelques heures devant les premiers détachements mérinides. Sur les remparts, les défenseurs évaluent du regard l'intensité des combats à venir. Nous sommes au deuxième jour du mois de Chaâbane 698 (6 mai 1299). A partir de cette date, Tlemcen passera neuf Ramadhan sous le blocus, sans le moindre secours et sans nouvelle du monde extérieur. Tandis que la ville est coupée du monde, l'armée mérinide occupe tout l'espace du Maghreb central. L'étendard de Youssef Ibn Yacoub flotte désormais sur les principales villes d'Algérie : Oran, Mazouna, Tiaret, Miliana, Cherchell, Ténès, Médéa et toutes les places fortes du Titteri.
ne muraille autour de la ville
Jamais aucune cité au monde n'aura connu une aussi longue solitude. Le sultan mérinide fit construire autour de la ville une ceinture de maçonnerie avec les ouvertures pour laisser passer ses attaquants. Un peu plus loin, il fit bâtir la nouvelle ville d'El Mansourah où il établit ses quartiers. L'historien Ibn Khaldoun qui consacre à cette partie un long chapitre de sa volumineuse Histoire des Berbères nous dit que tout au long de ces huit années de siège, il ne laissera pas passer une seule journée sans ordonner une attaque contre Tlemcen. L'historien a eu accès à des témoins directs. Du ciel tombaient les projectiles lancés par les engins de bombardement incessants. Jamais une population n'a connu une souffrance aussi longue et jamais aucune cité n'aura porté une résistance aussi opiniâtre et le courage physique à un tel niveau de détermination. A la cinquième année du siège, (1304), Othmane Yaghmoracen meurt. L'événement donne à la tragédie de la ville une dimension de gravité exceptionnelle, car l'homme incarnait toute la détermination face à un ennemi résolu à en découdre. Ibn Khaldoun raconte le témoignage de Brahim Abdelli, l'homme qu'il considère comme son professeur. " Othmane, fils de Yaghmoracen, mourut au bain. Il venait d'en éprouver l'influence affaiblissante et, voulant se désaltérer, il se fit apporter une tasse de lait aigre. Il s'endormit et rendit son dernier soupir ". Les gens de la maison ont pensé à un suicide pour éviter le spectacle du blasphème que réservent les Mérinides à sa ville, à la population et à sa famille. La reine qui est la fille du sultan de Tunis fit venir ses deux enfants et ferma toutes les portes du Mechouar. Les Cheikhs réunis en urgence désignent Ibn Ziane, le fils aîné, successeur au trône. Pour marquer l'avènement du nouveau sultan, les Beni Abd El Wad firent une sortie meurtrière contre un ennemi perplexe devant tant de courage et de sens du sacrifice. Cernée depuis cinq ans, Tlemcen prend l'initiative des attaques et les Mérinides commencent à douter de leurs capacités à réduire cette forteresse où les youyous fusent de toutes les maisons ! Mais dans la ville, les souffrances dues notamment aux carences alimentaires se faisaient gravement sentir. Ibn Khaldoun relate des épisodes macabres d'anthropophagie. Il donne les détails précis des prix des denrées alimentaires qui comprennent désormais les animaux de compagnie et les moineaux et les bêtes morts de maladie. On arrache les toitures des maisons pour le bois de chauffe. C'est vraisemblablement au cours de cette funeste période que disparaîtra à jamais un des quatre exemplaires du Coran rédigé par Othman Ibn Affane, troisième Khalife. Ce livre était conservé à Tlemcen depuis juin 1248. Il est passé des mains du khalife Omeyyade de Cordoue à Fez pour finir à Tlemcen. Tandis que la mort plane sur la cité de Sidi Boumediène et la désolation envahit les cours, le sultan mérinide Youssof Ibn Yacoub parvient au sommet de sa gloire. La nouvelle ville de Mansourah devient le nouveau siège des Mérinides. Des ambassadeurs et des négociants de tout le monde musulman y viennent, attirés par la prospérité qui y règne cherchant aussi l'amitié de ce fougueux sultan aux ambitions sans mesure. Il reçoit des délégations de Bougie et de Tunis. Même les souverains d'Egypte et de Syrie reconnaissent sa puissance montante lui envoient de riches présents. En huit ans, la nouvelle ville a pris un essor considérable.
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