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L’après-Gaza : libération ou capitulation ?

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  • L’après-Gaza : libération ou capitulation ?

    Entretien avec Mustapha Cherif réalisé par Kamel Mansari.

    Mustapha Cherif, philosophe algérien et professeur en relations internationales, a été ambassadeur et délégué permanent auprès de la Ligue des Etats arabes. Il est l’auteur d’Islam et Occident, aux éditions Barzach Alger 2008.


    Le Jeune Indépendant : Pourquoi le monde occidental officiel et des pans de l’opinion internationale ne condamnent-ils pas clairement l’agression et n’arrêtent-ils pas les massacres à Gaza ?

    Mustapha Cherif : Je remarque que malgré une désinformation et une partialité flagrante ou insidieuse de médias et d’institutions officielles en Occident, des gens de partout protestent contre l’agression. Il est important de ne pas faire d’amalgame. Tout l’Occident n’est pas islamophobe, injuste et raciste. Nous avons des amis en Occident qui se rendent compte de la réalité, débattent et certains tentent d’intervenir. Il s’agit de ne pas juger en fonction du fait que l’on soit croyant ou non, arabe ou non, juif ou non, car il s’agit d’oppression. D’autant que des juifs et des chrétiens, des humanistes, y compris par exemple, le parti au pouvoir en Espagne et même le Vatican, sont contre la politique d’Israël. Il est vrai que les massacres continuent et l’Occident laisse faire. Ce qui se passe à Gaza risque d’être le tombeau de « l’ordre » dominant dans le monde si rien n’est fait dans les prochains jours. Nous sommes à un tournant de l’histoire des relations Nord-Sud. La cause de ce laisser-faire relève d’une part de la désinformation et d’autre part de la confusion entretenue au sujet de l’extrémisme mis en avant comme un épouvantail. Avec l’expansion des moyens de communication, on s’imaginait qu’il ne serait plus possible de commettre un crime dans le monde sans que l’opinion internationale proteste massivement. Malgré des manifestations encourageantes, ce n’est pas ce qui est visible. Cependant, la machine sioniste de désinformation et celle de ses alliés ne sont pas arrivées à empêcher les interrogations ; l’opinion est divisée. Les crimes de guerre et contre l’humanité de l’entité sioniste ne sont pas montrés mais les gens ne sont pas dupes. Et au Sud comment voit-on vraiment la situation ?
    Les opinions arabes et non arabes, au Sud, évidemment dans le monde musulman, en Afrique, en Asie et en Amérique latine sont révoltées, choquées de voir tant de victimes innocentes sans que personne réussisse à arrêter le carnage. Les citoyens critiquent la politique du deux poids, deux mesures des puissances dominantes et de l’ONU. Les citoyens dénoncent aussi la politique de leurs régimes, pour leur défaitisme, leur complicité directe pour certains, et la faiblesse des pratiques démocratiques. Au Sud, de par la mémoire, l’analyse des événements historiques, les images diffusées par quelques chaînes TV arabes, les témoignages, les faits, permettent de constater qu’un peuple colonisé, opprimé, spolié de ses terres est pris au piège, assiégé, privé de tout par un blocus, se fait bombarder, massacrer par un Etat terroriste qui utilise des armes prohibées et viole tous les principes humains. Depuis 60 ans et plus encore depuis 20 ans après la fin de la guerre froide, l’entité sioniste commet ses crimes dans l’impunité, occupe illégalement des territoires et opprime en violant sans cesse ses engagements. Comble de cette situation injuste, l’entité sioniste est soutenue par l’actuelle administration de la première puissance mondiale et la majorité des gouvernements occidentaux. Ainsi, en Occident, des médias et des politiques présentent la question sous un prisme déformé. Ils décrivent les données de la manière suivante : l’entité sioniste serait un petit Etat moderne et démocratique qui se défend contre les extrémistes.


    La désinformation est donc totale…


    Pratiquement. Même si la propagande sioniste n’a pu éviter que les médias abordent la question des souffrances du peuple palestinien. Il reste que l’utilisation de procédés de pseudo-équilibres dans le traitement des données est une méthode grossière. La désinformation est le nerf de la guerre. La guerre est totale sur la base d’une désinformation totale. Des groupes dominants en Occident ne prononcent pas une seule fois les mots colonisation, sionisme, oppression, blocus, crimes de guerre... camp de concentration, génocide, questions au cœur du problème. Plus encore, ils censurent le droit de les prononcer. L’Europe n’est pas quitte avec son passé. Un exemple édifiant de déformation de la réalité : dans l’édito d’un quotidien français daté du 13 janvier, on peut lire : «Quelle que soit l’horreur de bombardements sur une population civile captive, les Gazaouis ne peuvent fuir, ils ne constituent pas un «génocide» ni ne relèvent d’une «tentation génocidaire», comme on a pu l’entendre ici ou là. Dire cela, ce n’est pas vouloir en quoi que ce soit diminuer la férocité des bombardements israéliens ni le drame vécu par les Palestiniens. C’est préserver la singularité d’événements historiques bien précis qui, eux, ont été des génocides ; c’est refuser d’user de comparaisons qui empruntent au révisionnisme historique». C’est un point de vue que nous réfutons, car il monopolise le concept de génocide et accuse de révisionnisme ceux qui constatent des formes de génocide bien réelles dans les massacres opérés à Gaza. Des médias et des institutions occultent comment l’entité sioniste s’impose depuis 60 ans et mène sa guerre destructrice. Comme le remarque un chercheur belge objectif (1), les commentateurs occidentaux évoquent les «sanglants attentats», ils ne parlent jamais de la «sanglante occupation».
    En Occident, le citoyen croit savoir ce qu’est la menace «terroriste et islamiste», car les responsables politiques et les médias le lui assènent régulièrement. Mais peu expliquent aux publics occidentaux, traumatisés par les problèmes sécuritaires, le terrorisme des puissants occupants et agresseurs, cause principale de l’extrémisme.


    Comment est-on arrivé à cette situation tragique ?


    Sur le plan interne du monde arabe et musulman, la crédibilité est faible. Des régimes et des groupes «islamiques» manipulés, archaïques et ignorants des réalités du monde, ont commis des erreurs et des fautes qui alimentent la peur et la propagande. Les délires de certains ulémas et politiciens, la régression des sociétés islamiques, l’instrumentalisation de la religion font un grand tort aux musulmans. Les réactions irrationnelles et désespérées comme les attentats suicide ont défiguré et ruiné l’image des Palestiniens et des musulmans. Sans autocritique et correction de toutes ces dérives, contrecarrer la désinformation restera comme une mission impossible. Ainsi, malgré des atouts et des richesses au Sud, le rapport de force face au Nord est déséquilibré, faute de rationalité, de processus démocratique interne, de maîtrise de la technique et des sciences et faute d’une stratégie conséquente pour sauvegarder la souveraineté. Sur le plan externe, la cause est fondamentale : la propagande sioniste et islamophobe amplifie et exploite les contradictions, stigmatise en permanence et tente de faire croire au choc des civilisations, diabolise et, contrevérité criminelle, matraque que tout musulman serait un extrémiste... pour obtenir l’aval de la communauté internationale en vue de coloniser sans cesse, de réprimer sans limites, en vue de dominer par le sang et le feu. Cette propagande fonctionne et fait diversion.

  • #2
    suite

    Pourquoi l’Occident officiel est paralysé et partial ?

    La divergence des points de vue entre le Sud et le Nord au sujet de la Palestine est un vrai problème, d’où sa centralité. Ainsi, tout le monde, ou presque, attend la nouvelle administration américaine. Des pouvoirs occidentaux, complexés par le génocide des juifs d’Europe, ont encore mauvaise conscience, sans oublier les relents néocoloniaux et les séquelles du sentiment raciste de supériorité. Le tout aggravé par l’exploitation de cette situation par l’entité sioniste, crée un contexte de non-assistance du peuple palestinien sous les bombes. L’idéologisation et l’instrumentalisation de l’inommable, la Shoah, constitue le socle du fait que l’entité sioniste se place au-dessus de toute loi. C’est cela une des formes du fascisme : se considérer au-dessus de toutes les lois. Il est clair que des «descendants» des victimes du nazisme se sont transformés en criminels de guerre. A travers l’écrasement du peuple palestinien, c’est la liberté de tous les peuples qui est piétinée. L’entité sioniste participe, au premier plan, à la tentative de domination du monde par un système totalitaire. La situation est incertaine. Il s’agit de l’équilibre des forces dans la région et des relations entre les peuples. Profitant de la crise mondiale, du vide politique et de la lassitude, le sionisme massacre tout espoir de paix et d’un ordre mondial juste. Cela est destructeur pour tous, pas seulement pour les Arabes. Sur le plan sécuritaire, Israël est surarmé par les USA pour être le gendarme du monde musulman. Sur le plan politique, l’entité sioniste veut imposer les régimes arabes de son choix. Sur le plan économique, elle cherche à être un passage obligé du pétrole irakien et demain d’autres sources d’énergie. Qui peut accepter cette logique hégémonique ? La guerre en Palestine fait partie d’une guerre globale Nord-Sud. On ne peut décoder cette guerre, si l’on ne comprend pas que la crise en Occident est profonde et que l’invention d’un nouvel ennemi sert d’épouvantail pour faire peur et oublier pourquoi la richesse est au Nord et la pauvreté au Sud.


    Que dire donc face à cette guerre totale fondée sur la désinformation ?


    Il s’agit de continuer, de réseau en réseau, à dénoncer le problème de fond : celui de la colonisation. Les voix des damnés de la terre finiront par êtres entendues. Car à force de mutisme, de demi-mesures, de fuites en avant et de tergiversations, on reporte la solution des problèmes et ruinons la possibilité d’un avenir commun. S’informer et informer est un droit et un devoir au cœur du combat. Nous devons devenir tous des journalistes, assoiffés de connaître et de faire connaître. En expliquant que toutes les mesures de type trêve tactique et action humanitaire seront de la poudre aux yeux. La région, et partant le monde entier, sont assis sur une poudrière à cause de la politique de l’entité sioniste, de la complicité de certaines puissances occidentales, de l’inaction des autres puissances comme la Russie et la Chine, et de la fuite en avant des régimes arabes. Le Nord, qui sous-estime à la fois la gravité de la situation, la force et la détermination des peuples, doit comprendre que nous sommes un voisin, un partenaire que l’on ne peut réduire à une périphérie et à un statut de menace. Avant qu’il ne soit trop tard, il est temps d’examiner le plan de paix arabe, sur la base du retrait des terres occupées par la force en 1967, en échange de la normalisation, car tous les peuples de la région ont le droit à la paix et à la sécurité. Les sociétés de la rive sud, à court terme, doivent utiliser tous les moyens de pression et sur le long terme, changer le rapport de force par de profondes réformes. Dans ce sens, s’allier à ceux qui refusent l’injustice est impérieux. Ne pas lâcher prise, prendre la parole partout, tenter d’informer et de diffuser les messages et les images clés. Sur le fond, affirmer clairement que la question est politique. La question en Palestine est politique et non religieuse. C’est un problème de colonisation et de droit des peuples à vivre libres. Le prétexte des tirs de roquettes de Gaza est irrecevable.
    La fin de ces gestes désespérés aurait pu être atteinte par la levée du blocus inhumain sur Gaza, dont le Hamas, mouvement de résistance incontournable, faisait une condition légitime de la poursuite de la trêve. C’est l’entité sioniste qui n’a pas respecté la trêve. Israël vise non seulement le démantèlement du Hamas, mais la liquidation de toute possibilité d’un Etat palestinien et la fin de la résistance à sa politique coloniale.


    Concrètement, que faire ?


    Attachés à la paix et à la justice, pour mettre fin à l’agression, il faut soutenir la résistance, annuler les relations que certains pays musulmans ont avec Israël, réactiver le boycott et utiliser les moyens pacifiques de pression comme l’arme du pétrole. Il faut maintenir la pression. Il s’agit de persuader les gouvernements et les peuples occidentaux, y compris l’opinion israélienne, que trouver une solution juste et définitive au conflit est de leur intérêt. Sinon demain, la violence aveugle va se répandre partout. Un sommet arabe urgent pour se ressaisir et prendre les mesures vitales ne peut être refusé, ce serait irresponsable. La ténacité de la résistance à Gaza, malgré la puissance de feu des sionistes, signifie l’affaiblissement moral et politique des agresseurs. Cela doit être renforcé par un appui politique à la résistance afin d’obtenir l’arrêt de l’agression comme prélude à la libération, la fin de la colonisation, pour toute la partie de la Palestine avant 1967. C’est le moment ou jamais. A l’opposé, la guerre subie actuellement ne doit pas devenir un prélude à la capitulation, nourrie par des initiatives à courte vue. Le sacrifice des Palestiniens à Gaza ne peut être vain. Les prochains jours seront décisifs. La cohésion du monde arabe bien fragile risque de voler en éclats, mais peu importe, l’enjeu est majeur. La nature de certains régimes arabes isolés qui se plient au diktat israélo-américain, du fait qu’ils se savent illégitimes et se disent impuissants face à l’entité sioniste qui possède 250 têtes nucléaires, ne laisse rien présager de positif pour eux. Les peuples arabes et musulmans conscients sont à l’avant-garde et sont prêts à résister pour la juste cause, posture qui n’a pas cours en Israël. La cause juste palestienne triomphera un jour ou l’autre et, partant, la liberté des peuples.

    Le Jeune Indépendant

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