L’Arabie Saoudite s’engage-t-elle vers des réformes radicales ? Les profonds remaniements annoncés par le souverain du pays, le roi Abdallah, le 13 février 2009, en donnent en tous cas l’impression. Non seulement en raison de leur ampleur, et de leur nature ; mais aussi parce que c’est tout simplement le premier pas adopté en ce sens depuis l’accès du roi Abdallah au trône, en août 2005.
Avec les réformes d’ampleur qu’il a annoncées le 13 février dernier, le roi saoudien semble avoir opté pour des évolutions qui ne sont pas des moindres. Touchant à trois domaines clés - le religieux, le judiciaire et le militaire -, elles viennent en effet tout simplement recalibrer le cœur de la machine institutionnelle nationale. Quatre ministres clés sont ainsi remplacés : ceux de l’éducation, de la santé, de l’information et de la justice. Et il en va de même concernant les chefs de la banque centrale, du Haut Conseil judiciaire, du Conseil de la Shoura (Majliss al-Shoura), de la Commission de la Vertu et de la Prévention du Vice, et de la Commission nationale pour les droits de l’homme.
Le tout sans oublier que la Commission des Grands Oulémas, corps de savants religieux faisant autorité dans le pays, aura dorénavant 21 membres issus de courants divers du sunnisme, et non plus de la seule école hanbalite, connue pour son rigorisme. De même, le Conseil de la Shoura, sorte de corps législatif dénué cependant d’une pleine consécration de ses prérogatives judiciaires, voit 79 de ses membres remplacés.
Ce Majliss al-Shoura est d’ailleurs un cas intéressant : s’il aura maintenant dans ses rangs un membre de la famille royale, il n’inclura pas moins des représentants de l’ensemble des provinces administratives saoudiennes, ainsi que des membres issus des principales tribus du royaume. Le tout sans oublier que 5 chiites siègeront dans ce corps de 150 membres. Et que l’ensemble de ces nouveaux arrivants a une moyenne d’âge de 40 ans, contre 70 précédemment, ce qui rajeunit tout de même cette instance d’une génération. Et ce alors qu’a été décrétée, en parallèle, la création de deux nouvelles instances : une Haute Cour administrative, et une Cour suprême ?
Un changement d’orientations ?
On le voit bien, dans l’ensemble, le tout n’est donc pas qu’affaire de remaniement institutionnel ; on touche aussi à des courants et orientations idéologiques, et donc à des personnes. Or, certaines de ces personnes que le roi Abdallah a décidé d’écarter s’étaient démarquées, jusqu’à peu, par des déclarations parfois tonitruantes. Il en va ainsi du cheikh Saleh al-Luhaidan, auteur en janvier d’une fatwa qui avait dénoncé les manifestations critiquant l’offensive israélienne à l’encontre de la Bande de Gaza, et qui avait décrété en septembre 2008 la licéité de l’assassinat des responsables de chaînes télévisées qui permettaient la diffusion de programmes « immoraux » et « démoniaques » ; nommé à son poste depuis 1992, il est aujourd’hui remplacé à la tête du Haut Conseil judiciaire par Saleh al-Hmayyed, jusqu’ici chef du Conseil de la Shoura.
De même, le cheikh Ibrahim al-Ghaith, chef de la Commission de la Vertu et de la Prévention du Vice, instance connue pour donner aux membres de la police religieuse (les fameux motawwa’) ses ordres en termes de respect de la bienséance islamique et notamment de surveillance de la tenue des femmes ainsi que de respect des horaires de fermeture des magasins durant les appels à la prière, sera remplacé par le cheikh Abdulaziz al-Humaiyen.
La nomination de ce dernier est de bon augure, et dépasse le seul cadre formel ou symbolique. Celui-ci n’a en effet pas hésité à déclarer à la chaîne d’informations à capitaux majoritairement saoudiens al-Arabiya que l’instance qu’il présidera dorénavant tentera « d’être au plus près du cœur de chaque citoyen ». Pas de quoi s’attendre à ce que tombent voiles et abbayas et s’affichent les mini-jupes, bien entendu ; mais cet attachement annoncé à la présence d’un climat social moins sévère, s’il se vérifie, incarnera une sérieuse rupture avec des décennies d’exercice sévère par les motawwa’ de leurs prérogatives sécuritaro-religieuses.
Enfin, il convient de ne pas oublier cette première que représente la nomination d’une femme, Noura Fayez, membre de l’institut saoudien pour l’Administration publique, au rang de ministre déléguée pour l’éducation des femmes. Une décision limitée en termes de représentativité des femmes sur l’échiquier politique saoudien, mais non moins importante pour qui sait combien l’accession des femmes à des rangs publics importants est loin d’être aisée dans un pays aussi conservateur. N. Fayez aura ainsi à composer directement avec un membre de la famille royale, le nouveau ministre de l’Education et gendre du souverain saoudien, le prince Faysal ben Abdallah.
Un besoin structurel
Ces décisions, dont nous avons exposé ici les principales parmi tant d’autres, et qui devraient être suivies de réformes complémentaires dans les mois et années à venir, s’avèrent donc tout sauf feintes. Elles marquent une volonté de changer maintes orientations du pays, et confirment le caractère réformateur connu mais non abouti jusqu’ici que l’on croyait pouvoir déceler chez le roi Abdallah. Certes, celui-ci, âgé de 84 ans maintenant, sait qu’il y a lieu de donner au royaume certaines impulsions nécessaires pour la sauvegarde des intérêts nationaux.
Dans le même temps, on ose penser que son attitude est commandée par la perception d’un ensemble de périls nationaux qui continuent à inquiéter la famille royale. Plus que tout, en effet, les Saoudiens s’interrogent sur deux enjeux majeurs : d’une part, les radicalismes engagés, qui ont fait des jeunes Saoudiens les recrues privilégiées pour des organisations telles al-Qaïda. Celle-ci a réussi à frapper ces dernières années les Etats-Unis, la Jordanie, l’Egypte, mais aussi l’Algérie, le Maroc et l’Arabie Saoudite tout en attirant dans ses rangs en Irak de larges contingents issus de la jeunesse du royaume.
La suite...
Avec les réformes d’ampleur qu’il a annoncées le 13 février dernier, le roi saoudien semble avoir opté pour des évolutions qui ne sont pas des moindres. Touchant à trois domaines clés - le religieux, le judiciaire et le militaire -, elles viennent en effet tout simplement recalibrer le cœur de la machine institutionnelle nationale. Quatre ministres clés sont ainsi remplacés : ceux de l’éducation, de la santé, de l’information et de la justice. Et il en va de même concernant les chefs de la banque centrale, du Haut Conseil judiciaire, du Conseil de la Shoura (Majliss al-Shoura), de la Commission de la Vertu et de la Prévention du Vice, et de la Commission nationale pour les droits de l’homme.
Le tout sans oublier que la Commission des Grands Oulémas, corps de savants religieux faisant autorité dans le pays, aura dorénavant 21 membres issus de courants divers du sunnisme, et non plus de la seule école hanbalite, connue pour son rigorisme. De même, le Conseil de la Shoura, sorte de corps législatif dénué cependant d’une pleine consécration de ses prérogatives judiciaires, voit 79 de ses membres remplacés.
Ce Majliss al-Shoura est d’ailleurs un cas intéressant : s’il aura maintenant dans ses rangs un membre de la famille royale, il n’inclura pas moins des représentants de l’ensemble des provinces administratives saoudiennes, ainsi que des membres issus des principales tribus du royaume. Le tout sans oublier que 5 chiites siègeront dans ce corps de 150 membres. Et que l’ensemble de ces nouveaux arrivants a une moyenne d’âge de 40 ans, contre 70 précédemment, ce qui rajeunit tout de même cette instance d’une génération. Et ce alors qu’a été décrétée, en parallèle, la création de deux nouvelles instances : une Haute Cour administrative, et une Cour suprême ?
Un changement d’orientations ?
On le voit bien, dans l’ensemble, le tout n’est donc pas qu’affaire de remaniement institutionnel ; on touche aussi à des courants et orientations idéologiques, et donc à des personnes. Or, certaines de ces personnes que le roi Abdallah a décidé d’écarter s’étaient démarquées, jusqu’à peu, par des déclarations parfois tonitruantes. Il en va ainsi du cheikh Saleh al-Luhaidan, auteur en janvier d’une fatwa qui avait dénoncé les manifestations critiquant l’offensive israélienne à l’encontre de la Bande de Gaza, et qui avait décrété en septembre 2008 la licéité de l’assassinat des responsables de chaînes télévisées qui permettaient la diffusion de programmes « immoraux » et « démoniaques » ; nommé à son poste depuis 1992, il est aujourd’hui remplacé à la tête du Haut Conseil judiciaire par Saleh al-Hmayyed, jusqu’ici chef du Conseil de la Shoura.
De même, le cheikh Ibrahim al-Ghaith, chef de la Commission de la Vertu et de la Prévention du Vice, instance connue pour donner aux membres de la police religieuse (les fameux motawwa’) ses ordres en termes de respect de la bienséance islamique et notamment de surveillance de la tenue des femmes ainsi que de respect des horaires de fermeture des magasins durant les appels à la prière, sera remplacé par le cheikh Abdulaziz al-Humaiyen.
La nomination de ce dernier est de bon augure, et dépasse le seul cadre formel ou symbolique. Celui-ci n’a en effet pas hésité à déclarer à la chaîne d’informations à capitaux majoritairement saoudiens al-Arabiya que l’instance qu’il présidera dorénavant tentera « d’être au plus près du cœur de chaque citoyen ». Pas de quoi s’attendre à ce que tombent voiles et abbayas et s’affichent les mini-jupes, bien entendu ; mais cet attachement annoncé à la présence d’un climat social moins sévère, s’il se vérifie, incarnera une sérieuse rupture avec des décennies d’exercice sévère par les motawwa’ de leurs prérogatives sécuritaro-religieuses.
Enfin, il convient de ne pas oublier cette première que représente la nomination d’une femme, Noura Fayez, membre de l’institut saoudien pour l’Administration publique, au rang de ministre déléguée pour l’éducation des femmes. Une décision limitée en termes de représentativité des femmes sur l’échiquier politique saoudien, mais non moins importante pour qui sait combien l’accession des femmes à des rangs publics importants est loin d’être aisée dans un pays aussi conservateur. N. Fayez aura ainsi à composer directement avec un membre de la famille royale, le nouveau ministre de l’Education et gendre du souverain saoudien, le prince Faysal ben Abdallah.
Un besoin structurel
Ces décisions, dont nous avons exposé ici les principales parmi tant d’autres, et qui devraient être suivies de réformes complémentaires dans les mois et années à venir, s’avèrent donc tout sauf feintes. Elles marquent une volonté de changer maintes orientations du pays, et confirment le caractère réformateur connu mais non abouti jusqu’ici que l’on croyait pouvoir déceler chez le roi Abdallah. Certes, celui-ci, âgé de 84 ans maintenant, sait qu’il y a lieu de donner au royaume certaines impulsions nécessaires pour la sauvegarde des intérêts nationaux.
Dans le même temps, on ose penser que son attitude est commandée par la perception d’un ensemble de périls nationaux qui continuent à inquiéter la famille royale. Plus que tout, en effet, les Saoudiens s’interrogent sur deux enjeux majeurs : d’une part, les radicalismes engagés, qui ont fait des jeunes Saoudiens les recrues privilégiées pour des organisations telles al-Qaïda. Celle-ci a réussi à frapper ces dernières années les Etats-Unis, la Jordanie, l’Egypte, mais aussi l’Algérie, le Maroc et l’Arabie Saoudite tout en attirant dans ses rangs en Irak de larges contingents issus de la jeunesse du royaume.
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