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La Vérité dans la poésie kabyle chantée

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  • La Vérité dans la poésie kabyle chantée

    La poésie Kabyle interroge l’être et le monde

    Comme dans les sciences empiriques où le doute méthodique sert à annihiler les préjugés inhibiteurs et les idées préconçues, le questionnement sur la vérité tel que pris en charge par la chanson kabyle prend l’aspect de la remise en cause des certitudes établies, de lézardes dans les murs du dogme et d’appel à la démystification et la dénonciation d’une situation oppressante. Instrument littéraire par excellence, la chanson kabyle à texte a servi et sert toujours de réceptacle aux inquiétudes et aux revendications de la société. Aussi, le thème de la Vérité se trouve-t-il récurrent tel un leitmotiv dans un grand nombre de textes anciens ou récents.

    Le chanteur à thèmes sociaux et politiques, Slimane Azem, se pose allégoriquement la question de savoir pourquoi cette vérité trompeuse de la figue sèche qui présente des dehors alléchants alors qu’elle est rongée par les vermines en son sein. Un autre poète humoriste et satirique, Slimane Chabi, pose le problème de la vérité en termes de choix a posteriori :

    « La vérité et le mensonge sont des jumeaux

    Ne souscris à l’un ou à l’autre

    Qu’après les avoir éprouvés »


    L’angoisse du doute et la recherche de la vérité

    Réellement, le choix de la vérité est un chemin plein d’embûches et il n’y a pas de voie royale pour y parvenir si ce n’est l’effort à la mesure du défi.


    Matoub Lounes disait dans Atarwa Lhif (1985)

    «C’est la vérité blanche comme suaire

    Qui a fait que

    Dans tous ces pièges je me perds»

    Alors, la tâche devient presque chimérique, et il est même probable que si la vérité nous “cherchait”, elle ne nous trouverait pas selon Lounis Ait Menguellat :

    «Où est le chemin

    Que nous cherchons en vain ?

    Où est la vérité

    Qui nous cherche sans nous

    trouver ?»
    (Amacahu-1982)

    Ferhat Imazighen Imoula chante, dans un poème de Mohand U Yahya, ces vers :

    «Ce que j’ai écris a une

    seule face

    C’est la Vérité blanche

    comme linceul

    Mais la vérité n’a pas

    de place

    Elle est crainte de tout

    le monde»

    Des certitudes pas très sûres

    D’après Montaigne, «il n’y a rien qui demeure ni qui soit toujours Un». La vérité protéiforme, insaisissable, fuyante comme le mercure a été approchée par la chanson kabyle dans ses textes les plus élaborés comme ceux de Lounis Ait Menguellet :

    «Apprends-moi, ô toi ma vie ce que sont

    La vérité et le mensonge

    J’aime le mensonge dès qu’il me satisfait

    Ô ma vie tu m’abreuvais de mensonges

    Que tu as érigés en maîtres de la parole

    Tu me montrais la Vérité écervelée

    Entre nous tu bâtis un mur

    Je t’ai demandé la vérité

    Tu me dis : viens la voir

    Et quand j’y étais ce fut comme

    Si je marchais sur une hache »


    La Vérité fatale, irréfragable, est cependant toujours là, à nous suivre, à nous harceler. :

    « Par-dessus ma tête, ô toi ma vie !

    Tu me suis telle une ombre.

    Comme l’épée de Damoclès

    Quand le fil se rompt

    Tu m’envoies ad patres »

    Lorsque l’homme n’est pas maître de son destin, il s’avoue difficilement cette vérité. Or, “il est établi que la vérité de l’homme est d’abord ce qu’il cache” (A. Malraux in Antimémoires 1967).

    Ruses et traquenards

    “On sème nos manigances d’un peu de vérité” disait Montaigne, et l’on reçoit comme réplique et explicitation la strophe d’Aït Menguellet qui dit :

    «Nous savons manier

    la vérité

    Et la semer de traquenards

    Lorsque notre frère nous sollicite» (in Aït Menguellet - 1984)

    Aït Menguellet ne s’est pas contenté de faire ce triste constat de travail de sale besogne de manipulation de la vérité, mais il est allé plus loin en situant ce penchant dans un contexte de vice rédhibitoire similaire au péché originel qui a frappé l’humanité à ses débuts.

    Lors d’un “forum” qu’il a convoqué pour nous dans son poème Ass Unejmâa (1981), Lounis établit une relation dialectique entre vérité et mensonge, joie et tristesse, propreté et saleté.

    Comme le jour et la nuit, la dualité vérité/mensonge colle à notre destin comme la chaleur au feu. Lors de la présentation des attributs convoqués pour ce forum,

    « Arrive la vérité talonnée par le mensonge.

    Nous mangeons au même râtelier, lui dit-elle,

    Qui de nous pourrait lâcher son compagnon ?

    J’existe par sa grâce

    Elle existe par ma grâce

    A chaque fois qu’elle faillit

    Moi, je viens prendre sa place »

    Cette scène théâtralisée dans une chanson nous montre une partie du génie et du talent extraordinaires de L. Aït Menguellet.

    Dans le même album, un poème rend compte du cycle infernal : mensonge, arbitraire, vaillance, vérité, ordonnés dans un arbre généalogique(lignée) :

    “Le mensonge engendre

    l’injustice

    L’injustice est mère de la peur

    La peur engendre la vaillance

    La vaillance se distingue

    en grandeur.

    La vaillance engendre la vérité

    La vérité sur ses confins

    Accouche du mensonge

    Le mensonge engendre l’injustice

    Ainsi tourne le monde !»

    La parole muselée et les libertés confisquées des années de braise n’ont eu d’exception que les allégories et les paraboles que nos poètes ont puisées dans le génie populaire et dans leurs talents propres pour briser le mur de l’arbitraire et de la tyrannie. S’adressant aux potentats pendant les années 70, Ferhat avertissait : “A quoi sert de fuir la vérité ?Si tu es sauf aujourd’hui, demain elle te rattrapera”. Dans le même esprit, Aït Menguellet, disait dans Amacahu (82) :

    “O toi qui a peur de la vérité !

    Elle repousse à chaque taille’’

    Ben Mohamed supplie la vérité de garder la tête haute. «Vérité, redresse-toi, Ne fléchis pas ; Quiconque de nous tombe, l’autre montera la garde», écrit-il.

    Parmi les conseils que le sage donne à son fils pour en faire un Prince (Ammi, 83), Lounis met en relief la manipulation de la vérité :

    “Sache comment parler

    Choisis le mensonge efficace

    Si tu sais manier le mensonge

    Ceux à qui tu t’adresses

    Laisseront la vérité pour

    te croire’’

    Seule la vérité…

    Bien que la raison humaine prenne plus facilement le moule de nos opinions que celui de la vérité, il reste toujours vrai, comme l’écrit Pascal, que tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité et ne servent qu’à la relever davantage.

    ‘’Voilà qu’il me dissimule la vérité, alors que ses yeux la disent toute grande’’ :C’est en ces termes que la mère d’un jeune homme mort sur les chantiers de l’émigration réplique à un de ces anciens compagnons de retour au pays et qui lui a caché la vérité par des circonlocutions sages mais inutiles. Cela se passe dans la chanson Silxedma n Luzin s Axxam (Lounis, 78). Un deuxième ami de son fils finit par dire la vérité à la vieille femme, Vérité qui ne saurait être tronquée.

    Dans son album Asefru (86), Aït Menguellet fait parler un personnage qui s’adresse à son frère de qui le séparent le parcours et l’intérêt immédiat :


    ‘’Si je me suis trompé de chemin

    Je ne suis après tout qu’un

    être humain

    Peut-être ai-je mal soupesé

    (…) Je viens te demander où est la vérité, dis-moi !’’

    Slimane Azem, Ferhat, Matoub, Aït Menguellet et beaucoup d’autres parmi les chanteurs de la nouvelle génération ont tous quêté, interrogé, célébré la vérité dans leurs poèmes, chacun selon sa sensibilité et son style propres. “Celui qui quête la vérité y parviendra” nous dit Ferhat dans 20 ans di lâamris (82).

    Vérité tue, non dite, escamotée, scotomisée, dévoyée, mystifiée, manipulée, édulcorée, autant de dénaturations de la réalité dictées par la cupidité, l’appât du gain et le sadisme mégalomane. “L’espoir, quand il n’est pas un mirage, prend racine de vérité”. C’est Lounis Aït Menguellet qui conclut ainsi dans le magazine de l’émigration L’Appel (juillet 83).

    Amar Naït Messaoud, La Dépêche de kabylie
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