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Buvez du cacao Van Houten !

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    Buvez du cacao Van Houten !
    Ornela Vorpsi

    Non, ce n’est pas ce que vous croyez, je ne fais pas de publicité, du moins, pas celle d’une boisson chocolatée mais de ce livre que je brûle de vous donner envie de lire.
    Bevete cacao Van Houten !, une des nombreuses nouveautés de cette rentrée est un recueil de 13 nouvelles, dans une belle traduction de l’italien de Marianne Véron, le troisième ouvrage de l’auteure après Nothing Obvious (ed. Scala, Milan 2001) et Le pays où l’on ne meurt jamais (ed. Actes Sud 2004).
    Une petite infidélité à l’Algérie pour l'oeuvre de cet écrivain (photographe, peintre et vidéaste !) originaire d'Albanie exilée à Milan puis à Paris qui m’a très agréablement surprise et qui finalement, ne fut pas si dépaysante...
    J’ai lu ce livre d’un trait, non pas tant comme on boit du petit lait mais plutôt comme on dévore une boîte de chocolats fins, comme autant de mariages réussis aux arômes doux-amers, suaves ou corsés, aux saveurs multiples ; je les ai dégusté en une soirée, en laissant trois misérables au fond de la boite qui disparurent dès le lendemain.


    On entre dans ce livre sous le regard de L’Observateur, qui nous invite à suivre ces quelques 13 rounds, à poser au long de ces petites histoires albanaises, italiennes ou parisiennes qui flirtent avec le conte et la fable, un regard sur des personnages ni héros ni anti-héros, simplement très humains.

    L’auteur explique : « J’ai découvert à seize ans dans les vers de Maïakovski un fait historique, une anecdote qui m’a marqué pour toujours. La société Van Houten, déjà réputée à l’époque pour l’excellence de son cacao (nous sommes en 1910), eut une idée macabre et géniale : acheter le dernier vœu d’un condamné à mort pour promouvoir sa sombre poudre.
    En guise de dernière volonté, l’homme face à la foule devait crier le slogan « Buvez du cacao Van Houten ! ». Sa famille recevait en contrepartie une coquette somme d’argent la mettant pour quelques temps à l’abri du besoin. L’homme cria. Mon âme d’adolescente aussi.
    [...]
    Je ne pouvais donner un autre titre à ce livre dont les histoires ramènent toutes à cette boisson fascinante qu’est l’être humain, capable de se vendre jusqu’à son dernier souffle. J’avais une promesse à tenir, gardée longtemps secrète : envers l’homme qui a crié, envers l’entreprise qui a acheté, envers l’humanité qui me peine. »

    Il aurait pu m’être difficile de choisir un extrait à vous présenter pour vous donner envie d’obtenir un visa pour Rome comme Teuta avec le concours « gracieux » de Mauro de Via dei Gracchi, de découvrir Le prix du thé, à boire ou à fumer..., de traverser avec l’innocente mais triste Valbona les pages d’une Petite vie d’homme, de vous pencher dans Précipice sur « cette mère [qui] détestait profondément son fils » et la question de la l’esthétique d’un sac Vuitton, où vous demander avec « l’image » De la beauté si lors d’une crémation, « ...la silicone brûle à la même température que le corps ? ».

    Le passage suivant m’a pourtant paru s’imposer et devrait être familier aux FAistes lecteurs de contes :
    Vendredi soir, à Milan, une jeune gogo dancer « prête pour la première fois son image sur un ring de boxe », deux, trois heures de travail pour 200€. Le match se termine dans un retournement de situation tragique...

    (...) J’entre dans la petite pièce, j’ôte le body, les sandales, le collant. Il est minuit moins cinq. J’ai vu deux hommes se battre violement pour gagner. Moi, je touche deux cent euros. Je claque la porte du vestiaire, je me vois déjà monter dans un taxi, rentrer, prendre une douche, me glisser sous les couvertures. En définitive, je suis contente. Je sors du stade, le public est encore là, le brouhaha persiste. J’entends dire : « L’italien est mort. » Le régime qu’il a suivi lui a été fatal. (...)
    L’établissement est entouré d’un jardin aux pelouses fraîchement tondues. Je suis là, au milieu du gazon, au lieu d’attendre dans la file de taxi qui me ramènera chez moi.
    Je commence à creuser un petit trou dans la terre. Elle est noire, fraîche, humide. Elle pénètre sous mes ongles. Le trou que je creuse est encore trop petit pour que je puisse lui confier les ténèbres qui sont en moi à la place de mes poumons, et encerclent mon estomac et mon cœur. Je pense aux légumes, - traîtres, avec leur air d’innocence. J’entends encore des voix lointaines provenant du stade, la mort aussi doit être débattue. Je continue à creuser.
    Quand j’étais petite, on m’avait raconté une histoire, un élément de ce récit n’est pas sans rapport avec ce que je fais en ce moment, ce trou que je creuse, moi, la fille du ring, souriante et à moitié nue il y a moins d’un quart d’heure pour deux cent euros.
    Il était une fois un roi. Le roi eut un fils. Le fils de ce roi naquit avec de grandes oreilles d’âne. Le roi fut fort affligé de ce mauvais sort. Cachant à tous la tragédie, il fit porter à son fils un grand chapeau qui dissimulait totalement ses oreilles. A part lui, personne ne connaissait ce secret, dont le fardeau grandissait chaque jour ; le roi éprouvait le besoin déchirant de le révéler à quelqu’un. Un beau jour, il sortit de son château, et ses pas le menèrent dans une prairie déserte de son royaume. Il creusa un trou et à pleins poumons, il hurla dans la poussière : « le fils du roi a des oreilles d’âne ! » De nouveau : « Le fils du roi a des oreilles d’âne ! » Et une autre fois encore. Après quoi, le roi se sentit tout léger, ayant confié son terrible secret à la terre. Il n’est pas dans la nature humaine de garder un secret, et la terre saurait bien mieux le garder en son vaste sein.
    Confessé et allégé, le roi reboucha le trou et rentra chez lui le cœur en paix.
    Quelques temps plus tard, un paysan qui passait près de l’endroit où le roi avait enfoui la vérité tragique, voyant l’abondance, si surprenante dans cette région, de la flore, s’arrêta pour cueillir une tige et y tailler une flûte. Une fois la plante bien nettoyée, il prit la flûte entre ses lèvres et en joua. Et voilà que la flûte chantait : « Le fils du roi a des oreilles d’âne, le fils du roi a des oreilles d’âne. »
    La terre n’avait pas su garder le secret.

    Je vois que le trou est maintenant assez grand. Pour ce que je veux y faire, cela devrait aller. J’approche mes lèvres du sol humide et je me mets à hurler. (...)
    C’est un livre que je ne regrette pas d’avoir « essayé », pas un roman à l'eau de rose ou aux saveurs édulcorées mais qui vaut son pesant de thé.

    Un petit clin d'oeil...
    Telle est ma subtile histoire d’amour avec les crèmes et le thé : égaré dans ma recherche, je m’efforce de regarder avant de jeter.
    Ce n’est pas par hasard si je connais cette histoire, si elle m’a suivie jusqu’à l’âge adulte : accepter avant de refuser ?
    Toujours ? Disons presque toujours. Qu’il soit question de crèmes, d’hommes, de femmes, de thé, de pierres ou d’eaux, j’essaie de les frotter contre ma « chaîne », avant d’examiner cette dernière.
    Peut-être que je me mens.
    in Le prix du thé

    Quel rapport entre le thé, les « chaînes », la pierre philosophale... A vous de voir.

  • #2
    Bonsoir,

    Merci pour ces extraits et pour cette découverte. Cet auteur rappelle à mon avis Kafka dans sa vision percante et ses moqueries. Je crois que ses ecrits sont de ceux qu'on lit plusieurs fois en découvrant à chaque fois du nouveau. Je lui souhaite plus de succès.

    Quand à l'histoire du titre, elle aussi macabre que drôle. Personnellement, je blâmerais la société VAN Houten pour cette idée sordide. Mais bon l'histoire se situe en pleine période des ruées vers l'or qui se poursuivent encore aujourd'hui, mais sous un masque d'humanisme. Heueusement que ce genre de pratique a été rejeté par le consommateur. Sinon l'histoire des combats organisés qui sont une réalité actuelle, ca me rappelle personnellement Rome et sa barbarie.

    Pour ce qui est de la relation entre les éléments que vous avez cité, je recite encore le passage: "Qu’il soit question de crèmes, d’hommes, de femmes, de thé, de pierres ou d’eaux, j’essaie de les frotter contre ma « chaîne », avant d’examiner cette dernière."

    Apparemment, après chaque épreuve l'auteur remet en question ses propres repères. Enfin, c'est ce que j'ai compris.

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    • #3
      Bonsoir,

      Merci Virginie pour cette découverte d'un auteur que je ne connais pas. J'ai lus ta contribution comme une volute qui s'échappait du cacao Van Houten. Toi qui brule de donner l'envie de lire ce livre, tu as réussis .
      Là je lis Secret man et j'ai encore un autre livre qui m'attend mais je l'achèterai et je te donnerai mon avis.

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