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Dessillements par temps de crise - Paul Jorion

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  • Dessillements par temps de crise - Paul Jorion

    20 avril 2009
    « En temps de crise tout se passe comme en temps ordinaire, si ce n’est que les principes implicites apparaissent dorénavant en surface ». Et cette émergence, cette visibilité soudaines, modifient la perception collective des situations, écrit Paul Jorion, qui établit un parallèle avec la notion de « percolation », utilisée en physique pour décrire le processus où les « cellules qui étaient jusque-là isolées communiquent soudain et se transforment en un réseau ».

    Par Paul Jorion, 18 avril 2009
    Ce texte est un « article presslib’ » (*)
    Mes amis aux US m’envoient des e-mails incendiaires : ils relaient les éditorialistes, blogueurs, etc. que vous connaissez déjà, les Simon Johnson, Chris Hedges, Paul Krugman. etc. Tous mes correspondants, comme toutes leurs sources, ont désormais atteint le seuil critique de l’indignation, du sens de l’outrage, tous dénoncent la mise en coupe réglée du pays par l’« oligarchie », la mise au pas de l’administration Obama par Wall Street : JP Morgan, Goldman Sachs et les hedge funds dirigent désormais les Etats-Unis en la personne de Timothy Geithner, Larry Summers ou Rahm Emanuel. Aux abois il y a quelques mois, Wall Street a été remis sur pied à grands coups de dizaines de milliards de dollars généreusement offerts par le contribuable américain et ceux de leurs dirigeants qui ne sont plus aux manettes de ces banques, c’est tout simplement parce qu’ils sont, devinez où ? aux rênes du gouvernement, occupant souvent d’ailleurs des positions définies comme « représentant du public », comme ironise à ce sujet Chris Martenson.
    J’y vois là la confirmation du théorème dont je vous ai déjà parlé, conçu il y a vingt ans : « En temps de crise tout se passe comme en temps ordinaire, si ce n’est que les principes implicites apparaissent dorénavant en surface ». Certains affirmaient que JP Morgan et Goldman Sachs dirigeaient les États-Unis depuis un siècle environ et que seuls quelques initiés le savaient. Quoi qu’il en soit, la chose est vraie aujourd’hui, cela fait les gros titres des quotidiens et la une du journal de vingt heures. La question que nous nous posons bien sûr vous et moi, c’est si cette visibilité accrue fait une différence.
    L’histoire suggère que oui. C’est une chose de se douter de quelque chose et c’en est une autre d’avoir le nez écrasé dessus. « Se douter de quelque chose », c’est un peu comme la vision périphérique : c’est là mais on peut l’ignorer si on veut. Quand c’est au plein milieu de votre champ de vision, de celui des membres de votre famille et de vos amis, de celui de vos voisins de palier et des gens qui attendent le bus en votre compagnie, c’est une autre affaire. Parce que ça devient alors un sujet de conversation, et d’entendre que votre indignation n’est pas simplement une expérience intérieure, comme une rumination causée par une digestion difficile, cela donne à votre expérience, valeur d’universalité : ce n’est plus « moi » qui pense cela, c’est « tout le monde ». Et cela, cela vous donne à vous et à ceux à qui vous parlez, une détermination dont le degré n’est pas du même ordre de grandeur que celui de la rumination individuelle : de « courageux mais pas téméraire » vous basculez au (très périlleux d’ailleurs) sentiment de toute-puissance que vous confère la présence d’une foule tout autour de vous.
    Vous me dites dans vos commentaires : « Il y a des initiatives du même genre que la vôtre, ici ! Il y a des gens qui pensent comme vous, là ! ». Et ceci évoque une notion de physique, celle de percolation. Un petit mot d’explication : la percolation c’est un phénomène critique, c’est la transition qui s’opère quand des cellules qui étaient jusque-là isolées communiquent soudain et se transforment en un réseau. Et ce que ce réseau permet c’est qu’il existe désormais une multitude de chemins qui permettent d’aller d’un bout à l’autre du système sans que le parcours ne s’interrompe nulle part et ceci, quel que soit le point d’entrée : c’est l’eau qui traverse le café moulu dans le percolateur, c’est l’éponge qui s’imbibe entièrement alors que seule sa base est en contact avec l’eau. La percolation couvre ce qui pourrait se passer, et ce à quoi vous m’encouragez d’ailleurs : parler d’une seule voix avec d’autres qui disent des choses très proches de ce que je dis moi-même, pour permettre la connexion des efforts de même nature où chacun est désormais en communication avec tous les autres et une transition s’est opérée qui a transformé une collection de « mois » isolés en un « tout le monde » collectif.
    Quand la percolation a eu lieu, le système tout entier est prêt à basculer d’un état dans un autre, comme ces images, faites pour intriguer les enfants, où l’on voit un objet bien distinct si l’on fixe sa vision sur les surfaces en blanc et un tout autre - qui était pourtant déjà là - lorsque le regard se concentre maintenant sur les surfaces en noir.
    Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment La crise. Des subprimes au séisme financier planétaire L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008) et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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