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Les talibans se disent garants d'un Islam authentique

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  • Les talibans se disent garants d'un Islam authentique

    La parodie de justice entamée, il y a quelques années, avec la première exécution publique par des talibans, à présent regroupés sous la bannière du Tehrik-e-Taliban Pakistan [TTP, Mouvement des talibans pakistanais], connaît un succès qui ne se dément pas. Ces dernières semaines, les Pakistanais ont eu la joie d'assister à plusieurs exécutions et flagellations, et même à quelques amputations. Pour ceux qui n'auraient pas pu participer à ces réjouissances en direct, des vidéos ont gracieusement été mises à disposition afin que tout le monde puisse être témoin de la vague d'horreur qui frappe actuellement le pays [notamment dans la vallée de Swat].

    Cette conception de la justice telle qu'elle est pratiquée par les talibans n'est toutefois pas une spécificité musulmane. L'Europe aussi a connu sa période de justice-spectacle au Moyen Age, entre le XIe et le XIIIe siècle. Déjà à l'époque, les châtiments publics et l'asservissement des corps symbolisaient la soumission à un nouveau régime politique cherchant à remplacer toute forme d'autorité préexistante.

    La période médiévale est néanmoins révolue depuis longtemps et, en considérant les talibans comme une résurgence de ces temps anciens, nous occultons les particularités de leur pensée politique et rhétorique. Ce faisant, nous nous empêchons également d'appréhender leur idéologie comme une réaction spécifique à la modernité et au colonialisme. Le retour de la justice-spectacle n'est en effet pas nécessairement la réitération de pratiques médiévales anciennes, mais peut être observé comme une réponse aux angoisses postcoloniales de pays qui se sont vu confisquer leur histoire par des empires plus puissants qu'eux. Les talibans ne font que répondre à ce sentiment d'étrangeté que ressentent bon nombre de Pakistanais et qui les incite à rejeter en bloc tout élément de modernité comme n'étant pas authentiquement pakistanais ou musulman. En se positionnant clairement aux antipodes de la modernité, les talibans prétendent donc à l'authenticité. Personne ne sait ce qui se serait passé sans la période coloniale [qui dura jusqu'à la création du Pakistan, en 1947]. Toute une partie de notre histoire est donc reléguée au rang de fiction, ce qui offre aux talibans une occasion unique de s'appuyer sur une logique imparable. Le rejet de la modernité est nécessairement le moyen de renouer avec notre histoire telle qu'elle aurait dû se passer, sans l'ignominie de la conquête britannique.

    L'illusion de cette authenticité réinventée, que tant de Pakistanais s'empressent d'embrasser, ne doit pas être considérée comme un retour au passé mais plutôt comme une création particulièrement inventive. En tant que réponse à la modernité et par son rejet des structures institutionnelles, l'idéologie des talibans s'occupe surtout de procédure et de logique, de légitimité et de raison, et se soucie bien plus d'être politiquement pertinente que d'être religieusement exacte. Les chefs talibans ne font d'ailleurs pas mystère de leur manque d'instruction. Ils se moquent ouvertement des procédures et des obligations légales de la jurisprudence islamique classique et n'ont aucun scrupule à choisir quelles lois coraniques méritent d'être appliquées. Dans ce jeu arbitraire, les châtiments définis par le hadd [corpus de châtiments figurant dans la charia], propices à marquer les esprits, sont désignés comme les lois fondamentales du Coran, tandis que les notions de grâce et d'équité, bien plus présentes dans les textes sacrés, sont commodément ignorées. Le savoir sous toutes ses formes, religieux ou politique, est ouvertement méprisé, et le pouvoir trouve son origine dans la soumission visible et viscérale des corps. En fait, les talibans ne sont pas une survivance des temps médiévaux mais une création entièrement postmoderne, en rébellion à la fois contre la modernité et contre la rationalité.

    Il va de soi que les contradictions dans le mode opératoire des talibans, qui utilisent des moyens sophistiqués pour tuer, mutiler, déclencher des bombes et propager des informations, sont soigneusement occultées. La diffusion de vidéos de leurs exploits sur téléphone portable et leur usage quotidien d'innovations technologiques pour espionner les forces de sécurité n'affecte en rien leur prétention à l'authenticité prémoderne. En résumé, il est temps d'analyser le discours idéologique des talibans non seulement en termes structurels mais également en prêtant attention au type d'islam qu'ils défendent à travers le spectacle de flagellations et d'amputations. En les abordant comme un phénomène postmoderne, une révolte contre la raison et les traditions de l'islam classique, nous les priverons de l'argument d'authenticité qu'ils brandissent avec succès devant tant de Pakistanais.

    La reconnaissance d'une telle dichotomie permettra à leurs adversaires d'être perçus non plus comme les simples serviteurs des Américains et des Européens mais comme des êtres conscients que tout retour à un prétendu passé précolonial ne peut être qu'un mensonge. Tant que les Pakistanais n'auront pas compris que la purification promise par le retour à des pratiques médiévales et par une opposition systématique à l'Occident et au concept de modernité n'est qu'une illusion, il n'est guère d'espoir d'échapper au spectacle barbare de femmes flagellées et d'hommes décapités.

    Par Rafia Zakaria, The Friday Times-Pakistan , Courrier International

    Quetta, 24 avril 2009
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