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Le Maroc expliqué à un écrivaillon marocain

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  • Le Maroc expliqué à un écrivaillon marocain

    Le Maroc expliqué à un écrivaillon marocain
    23 Mai 2009

    Cet article est un commentaire adressé au courrier des lecteur du magazine Telquel n° 371

    Monsieur Abdellah Taïa,
    J’aurais aimé ne pas vous écrire cette lettre, mais comme des millions de mes concitoyens, je me suis senti blessé, directement concerné par vos propos.

    Dans votre lettre ouverte récemment publiée dans TelQuel, et que vous destinez à votre mère (mais vous dites que vous vous adressez aussi à tous les Marocains), vous expliquez que pour mieux vivre votre liberté, pour ne plus avoir honte de votre homosexualité, vous prenez la parole. Vous dites haut et fort que vous défendez la Maroc, que vous faites entendre la voix de la jeunesse marocaine que vous présentez comme la victime d’un système écrasant, celui incarné par ceux que vous appelez les « casseurs ». Vous vous inscrivez explicitement dans la démarche d’un écrivain qui a choisi de s’exposer publiquement pour servir d’exemple, de modèle et c’est une démarche qui est bien généreuse, quand on a votre notoriété. Seulement voilà : vous ne dites pas tout, vous ne dites que votre Maroc. Et je suis sûr de ne pas me tromper en affirmant que personne, non personne, ne se reconnaît dans ce pays que vous pensez connaître mieux que n’importe qui.
    Vous ne nous offrez que la partie infectée du fruit. Le cadeau est empoisonné et je suggère que chaque Marocain vous retourne votre lettre avec un accusé de non réception en prime.

    Je conteste donc.

    Je proteste contre le fait qu’un écrivain utilise le « je », qui est ici celui de l’auteur réel et non du narrateur de l’une de ses fictions, et ne soit pas conscient du poids de ses mots, de leur impact sur les esprits de ses lecteurs. Comme l’expliquait Jean-Paul Sartre jadis, l’écrivain est responsable quelque part de ce qui se passe après l’écriture. Il doit donc faire preuve de la plus grade prudence, non seulement dans ce qu’il écrit ou dit publiquement, mais aussi par rapport à l’image qu’il projette et qui risque de devenir pour certains un modèle à suivre.

    De ce point de vue, je vous reconnais le don d’être ambigu, sinon paradoxal jusqu’à la perfection. Car je lis un texte où l’auteur exprime sa révolte contre un certain système social, politique… L’acte est louable et on ne peut qu’adhérer au projet. Mais je lis aussi un texte où il est question d’une affaire familiale, qui relève de l’individuel, du purement personnel. Il y a une incohérence admirable dans cette démarche qui consiste à imposer avec violence sa vision, sa nature, ses goûts, mettant les uns et les autres dans l’embarras, les exposant à l’humiliation quotidienne. Dans le contexte social qu’est le nôtre, revendiquer la reconnaissance de votre mère (je ne parle pas encore des autres), la forcer à répondre à ce qu’elle peut considérer comme une « honte », c’est lui faire très mal. Vous dites que vous en avez assez de baisser les yeux. Cela vous aide maintenant de savoir que ce sont vos parents qui vont marcher les yeux baissés ? Vous avez une drôle de façon d’aimer vos parents, d’aimer le Maroc !

    Accusé de non réception, encore !

    Pourquoi rendre publique cette affaire ? Pour punir votre mère de vous avoir protégé, aimé, fait ? Vos choix ne regardent que vous sur le sujet de l’homosexualité. Pourquoi en faire endosser la responsabilité aux autres ? Vous me faites penser à celui à qui ont fournit une arme, à qui on apprend à tirer, à se défendre, et qui commence sa séance d’entraînement par la pointer sur ses proches. Vous reconnaissez ainsi vos dettes envers votre mère, mais vous la remboursez en une autre monnaie, à votre façon, comme vous dites. Exemplaire, votre reconnaissance ! Mais vous êtes mal dans le rôle de la victime. Cette lettre donne l’impression d’un acte de vengeance et je suis sûr que vous en êtes conscient. Je m’inscris en faux contre votre manière de revendiquer votre liberté et qui consiste à traîner dans la boue ceux qui vous ont construit !

    « Je viens du Maroc. Je connais le Maroc. Réussir, exister, c’est avoir de l’argent. Ecraser les autres avec son argent. Depuis que je suis né, en 1973 à Rabat, c’est cela l’idéal marocain, le modèle à suivre… Moi, je refuse cet idéal marocain stérile. Cette platitude. Il ne me convient pas. Je le dépasse. L’idéal marocain, moi, à mon petit niveau, je le réinvente. Je le remplis avec un nouveau contenu, avec du sens, du courage et du doute. »
    Ce sont vos mots.

    Qu’il me soit permis de douter de votre connaissance du Maroc. Vous connaissez – ou n’avez voulu connaître – que la face obscure. Ce serait absurde de nier que ce Maroc existe, mais ce que vous ne dites pas, c’est que ces valeurs sont en passe de devenir universelles, je devrais dire étaient, car la crise actuelle est en train de faire réfléchir les uns et les autres, de remettre certaines pendules à l’heure. Et je refuse que vous disiez que c’est cela l’« idéal marocain ». Ce ne sont pas nos valeurs et ne le seront jamais. Vous n’avez pas à « dépasser » cet idéal car il n’existe pas. Vous ne pouvez pas « réinventer » la Maroc, car il existe, le Maroc authentique, avec ses traditions ancestrales, sa culture, son histoire, le courage de ses hommes, son immense espoir, sa jeunesse, ses principes, sa morale… Ce Maroc est en vous, mais vous refusez de le voir. Comme les jeunes que vous défendez, vous donnez l’impression d’avoir perdu vos repères.

    Le Maroc connaît une crise très grave, la crise la plus dangereuse de son histoire : une crise de valeurs, une crise d’identité. Notre jeunesse souffre en silence parce qu’un certain système oeuvre à la désarmer, à la vider de tout ce qui pourrait un jour lui servir de repère. Nos jeunes ne parlent plus, ne savent plus ce qu’il faut défendre ou dénoncer, prendre ou délaisser. Nos jeunes ne savent pas ce qu’il faut construire, ni comment, ni avec qui.

    Les symptômes du mal-être marocain sont de plus en plus visibles : analphabétisme, drogue, prostitution, violence dans la rue et dans les écoles, intégrisme, délinquance, absence de la fibre patriotique, absence de civisme, etc. etc. Mais comme vous, et parce qu’ils commencent malheureusement par ne voir que la face obscure, ils renient symboliquement leurs parents, se révoltent pour se révolter. Vous rendez-vous compte que vous êtes en train de scier la branche sur laquelle vous êtes assis ? Prenez-vous conscience du danger de votre acte ? Vous ne dites pas aux jeunes que, lorsqu’on est en danger de noyade et que si on ne sait pas nager, le plus urgent est de s’agripper à la première planche venue. Une fois sur terre, nous pouvons inventer ou réinventer. Il y a urgence à se saisir de ce qui est solide : nos valeurs. La modernité, ça se fait avec ce qu’on a de bon, même si cela semble démodé.

    Vous écrivez donc :

    « Le monde traverse une crise sans précédent en ce moment. Le monde fait son autocritique. Bouge. Le monde accueille Barack Obama comme un immense espoir… Je ne suis pas le seul au Maroc, ma mère. Quelque chose a commencé dans ce pays. Une réelle rupture par rapport aux générations précédentes, qui soit ont abdiqué, soit ont été récupérées. Nous, c’est le 21ème siècle. On essaie de nous intimider. De nous ramener à un soi-disant ordre moral, nous faire revenir à nos soi-disant valeurs fondamentales. Lesquelles d’abord ? Et qui décide que c’est de ces valeurs-là que le Marocain d’aujourd’hui a besoin ? »

  • #2
    (suite)

    Parce que vous croyez que M. Barack Obama va sauver le Maroc ? Vous pensez réellement que le modèle américain « bouge » dans le bon sens et que nous devons nous en féliciter ? Il faudrait donc attendre que la Maison Blanche nous dise quoi faire pour sauver nos jeunes de cette inqualifiable démission ? L’administration de M. Obama va peut-être « réinventer » pour nous l’amour du voisin, le respect dû aux parents, la tolérance, la générosité, la dignité… ? C’est cela, l’espoir de notre jeunesse ? C’est cela votre projet ? Réveillez-vous, Monsieur ! Cela existe encore au Maroc et il faut vraiment avoir l’esprit tordu pour ne pas le voir. Dites aux jeunes que cela existe en eux, chez leurs aînés, dans les campagnes, dans les régions reculées de notre pays, notre pays que vous prétendez connaître. Dites aux jeunes de s’agripper à cela, de revenir à cela. Car le Nouvel Ordre Mondial n’inventera rien, rien, cela est encore dans la partie éclairée de notre Maroc. Mais vous préférez le nier pour pouvoir dire et écrire « je le dépasse », « il ne me convient pas ».

    Parce que, en plus, vous nous rappelez (un peu trop, peut-être) que vous écrivez, que vous racontez des choses dans vos livres, que vous faites des conférences, que vous donnez des interviews… Je croyais la chose innocente, ayant lu votre lettre la première fois. Mais cela ne répondait pas aux questions que je me posais : pourquoi un écrivain, un romancier dit avoir besoin d’écrire une lettre à sa famille ? Pourquoi l’écrit-il ? Pourquoi la publie-t-il ? Pourquoi mêle-t-il son sort à celui de sa famille et pourquoi lui est-il nécessaire de le faire savoir ? Votre vie privée n’appartient qu’à vous et, du moment que vous vous trouvez dans le « pays des droits de l’homme », comme ils disent, vous ne risquez rien. Pourquoi vous exposer publiquement alors ? Où se trouve l’urgence ?

    Mes questions restent sans réponses… Vos explications ne sont pas convaincantes. Vous tenez un discours qui vous rend opaque. Vous êtes dans le culte de votre propre personne, lorsque vous demandez qu’on vous qualifie de « mathali » et lorsque vous considérez que c’est « un mot, un petit mot tout simple ». Tout vous porte à penser que la star parisienne que vous êtes devenu maintenant n’a qu’à ouvrir la bouche pour révolutionner le Maroc « stérile », le féconder. Vous n’exigez rien, car vous êtes dans le rôle du généreux guide. Vous laissez croire que c’est vous qui donnez.

    Et si c’était, encore une fois, un moyen de vous assurer un peu plus de notoriété en faisant parler de vous ? Cela fait augmenter les ventes et les conséquences n’en sont pas fâcheuses sur les droits d’auteur, sur les petits cachets qui encouragent à faire des tournées pour parler des livres, du Maroc, des tabous, des interdits… Un coup médiatique ? Oui, pourquoi pas ?
    Je me rends compte que je me compromets en vous écrivant, parce que j’entre un peu dans votre jeu. Mais me taire aurait été la pire des compromissions.

    Je conteste votre façon de vous faire (re)connaître. Un écrivain vaut pour ce qu’il écrit, pas pour ce qu’il est vis-à-vis de la sexualité : La notoriété, la célébrité que vous assurent maintenant les médias, là-bas, vous mettent à la page et, si vous n’avez que ça à offrir aux lecteurs, cela finira par lasser. Ici, au Maroc, on l’a déjà compris. Vos hôtes le comprendront aussi, soyez-en certain. On ne construit pas avec le bruit. Rien. Jamais. Je sais que cela vous distingue des autres de vous situer dans la marginalité, dans la revendication de ce qui fait peur ou honte, mais on ne sent pas la sincérité qu’éclaire la modestie et l’humilité. Votre acte est incompréhensible vis-à-vis des règles les plus élémentaires de la morale : être prêt à sacrifier sa vie pour protéger les siens, reconnaître ses dettes et les restituer dans la même monnaie, pas à votre façon, mais à la façon de ceux qui vous ont prêté.

    Avec votre permission, M. l’auteur, je demande pardon à Mme M’Barka, votre mère, et lui dis de continuer de prier pour vous : « Allah yssamah alih ! ».


    Auteur : Mohammed Benjelloun (Professeur Universitaire, El Jadida)

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