Deux solutions pour ce peuple
par Kamel Daoud
Le peuple étant convaincu que entre lui et le système Bouteflika, l'un des deux est bien mort, tous se posent cette question de fond : qu'est-ce qui sauvera ce pays, mis à part Dieu ? Deux réponses, selon les caractères. La première théorie veut que l'Algérie soit un pays qui se porte mieux lorsqu'il n'existe pas. Comprendre : lorsqu'il est colonisé. C'est pendant qu'il se fait violer que le pays a un peuple, peut compter sur lui, le mener à la guerre et à la victoire, le voir venir debout comme un seul homme. Colonisée, l'Algérie est héroïque, splendide dans la peine, souffrante et lyrique, unie et solide. La conclusion est que pour retrouver l'honneur et la nation, il faut attendre une nouvelle colonisation et sa conséquence, une nouvelle décolonisation qui ébahira le monde. L'autre argument de cette théorie est que les Algériens ne peuvent espérer des élites dirigeantes cultivées ou la discipline des piétons et des troupeaux que lorsqu'ils se font coloniser. La misère et la force nous éduquent, selon cette thèse, mieux que la loi et l'école gratuite. Les périodes entre deux colonisations sont les plus mauvaises pour ce pays et sa biographie, et les plus douloureuses au toucher entre deux indépendances. Attendons donc le nouveau colon qui nous punira de n'avoir pas su mériter l'indépendance et nous donnera l'occasion de mériter des galons en le combattant. C'et la théorie « Sid Fredj/Aurès ». par Kamel Daoud
La seconde solution est dite celle du dictateur illuminant. Messali en a été l'ébauche émotionnelle et Boumediene l'incarnation militaire. Selon cette thèse, pour que le pays se relève, il faut un homme fort. Vraiment. Pas une grande gueule, ni un doux démocrate, ni un général inquiété par ses pairs, ni un mannequin recruté pour recevoir les Présidents occidentaux en visite. Cet homme fort serait à la fois militaire, civil, du DRS, de l'ANP, du peuple, d'en bas, d'en haut, de l'ouest et de l'est. Il prendra le pouvoir par les cheveux et le peuple par les oreilles. Il dictera ses règles, écrasera toute opposition sans passer par le palais de Justice. Il fermera le pays pour trois ans de ménage à coup de bâton et de gâchette, surveillera le moindre cageot de citron, dégalonnera ceux qui l'ont nommé pour avoir de l'air et les remplacera par des fenêtres pour mieux surveiller tout le monde. Fort, il mettra à son service des hommes forts qui utiliseront la force pas pour manger mais pour que les Algériens apprennent à se laver les mains, n'agressent pas les femmes seules après 20 heures, traversent aux passages cloutés, ne volent pas énormément et refassent les trottoirs avec du ciment et pas avec de la salive. Cet homme est, en effet, selon une psychologie post-coloniale, espéré par tous, même par les démocrates. Il n'aura ni ministres, ni concurrents : seulement des téléphones, son regard dur, un nationalisme ombrageux mais intelligent, des cadavres en exemple et une vision claire de ses propriétés. Pour les Algériens, c'est simple : quand cet homme est là, tout le monde est discipliné ; quand cet homme n'est pas encore né, tout le monde fait ce qu'il veut.
Deux solutions, pas trois, pour sauver l'Algérie des Algériens.
Le Quotidien d'Oran .
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